Colonel Acland et Lord Sydney : les archers – 1769 – Joshua Reynolds

Joshua Reynolds (1723-1792)

 

Colonel Acland et Lord Sydney : les archers

1769

Huile sur toile
Dim 236 x 180 cm

Conservé à la Tate Gallery qui l’a acquis en 2005.

 


Le peintre

Joshua Reynolds est né dans le Devon au sein d’une famille relativement aisée.
Joshua Reynolds occupe une place centrale dans l’histoire de l’art anglais.
Il dispose d’un réseau social et professionnel extrêmement développé. Il fréquente à la fois des artistes et aussi de grands savants, d’importants critiques et des écrivains.
Il entretient de nombreuses relations au sein de la noblesse britannique et a ses entrées à la cour du roi George III.
Reynolds a des liens en Italie, en France et aux Pays-Bas où il a séjourné à plusieurs reprises.
Sa carrière de portraitiste est lancée à son retour d’Italie en 1753.
Son art du portrait se nourrit de la peinture d’histoire et de références à l’Antiquité.
Reynolds a joué un rôle central dans l’activité de la Royal Academy, institution fondée en décembre 1768 et dont il a été le premier président, probablement à la demande du roi.
À la tête de la Royal Academy, Reynolds a prononcé entre 1768 et 1790, 15 discours à l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes. Ces textes dans lesquels il propose un programme théorique et pédagogique destiné aux jeunes artistes ont exercé une grande influence.

Reynolds forme un grand nombre de peintres qui joueront un rôle important entre la fin du XVIII et le début du XIXe, comme Turner.

 

Le tableau

Reynolds a peint ce double portrait peu de temps après avoir pris ses fonctions de premier président de la Royal Academy of Arts.

Ce grand double portrait représente à l’échelle grandeur nature deux jeunes aristocrates.
À gauche se tient Lord Sydney, en avant à droite, le colonel Acland.

Couvert de commandes tout au long de l’année, Reynolds consacre son mois d’août à des projets personnels.
Ainsi en va-t-il de ce double portrait de jeunes aristocrates, exposé à la Royal Academy en 1770.

Ce tableau est resté plusieurs années dans l’atelier de Reynolds.

En 1779, la veuve d’Acland l’achète.

 

Composition

Au premier plan, sont représentés en pied, deux hommes de profil et en action. Ils bandent leur arc à l’orée d’une forêt aux tonalités automnales.
L’un utilise un petit arc à double courbure, l’autre un arc long.
Ce sont deux chasseurs émérites à en juger par le gibier qui s’entasse à leurs pieds.

Le peintre les représente s’apprêtant à décocher une flèche sur une cible hors-champ.
Les deux aristocrates visent en parfaite harmonie rythmique.

Les diagonales inversées des deux personnages alliées aux verticales des arbres et des arcs génèrent une formidable énergie.

Reynolds choisit avec justesse de représenter ses personnages à l’orée d’un bois, ouvrant sur un vaste paysage vallonné et un ciel anglais chargé de nuages qui filtrent la lumière éclairant la montagne et installent une profondeur de champ.
Cette ouverture sur un paysage donne une respiration à la composition.

Les personnages sont vêtus de vêtements inventés par Reynolds.

La lumière est au loin.
Au premier plan les visages des personnages sont éclairés par une lumière  qui entre par la gauche de la composition et flatte les étoffes vertes et brunes des personnages.

Les empâtements et touches de pinceau apparentes évoquent la facture des œuvres tardives de Titien.

La composition fait apparaitre un souci de plaire au regardeur.

Le travail sur les ombres et la lumière, les formes et les costumes, ainsi que les couleurs choisies qui vont subtilement du vert à l’ocre font penser à une inspiration vénitienne.

 

Analyse

Les années 1760 voient s’ouvrir en Angleterre une période d’intense innovation picturale.

Reynolds s’inspire de son voyage en Italie (1750-1752) et provoque un bouleversement important dans la peinture anglaise du XVIIIe. Ce voyage le décide à introduire
le « grand style » dans la peinture anglaise en choisissant des sujets classiques, historiques, allégoriques et bibliques qui illustrent la splendeur des civilisations de l’Antiquité grecque et romaine.
Selon Reynolds la peinture d’histoire devait illustrer l’histoire classique, la mythologie ou des événements historiques récents tout en délivrant une leçon de morale.

La peinture néoclassique n’eut jamais les mêmes connotations politiques en Angleterre qu’en France, grâce à la stabilité relative du pays et à son isolement géographique qui le préservait des révolutions faisant rage en Europe et en Amérique du Nord.

D’autre part la pensée de Reynolds est constamment en mouvement. Après avoir défendu l’idée du « grand style » qui repose sur une idéalisation de la réalité, Reynolds se remet en question et développe une approche plus ouverte et plus adaptée à la réalité des différentes pratiques artistiques de son époque.

L’ampleur du tableau, sa composition dramatique et étroitement organisée et son écho délibéré aux grandes scènes mythologiques du peintre italien Titien témoignent de l’extraordinaire détermination de Reynolds à renouveler l’art britannique au cours de ces années.

Reynolds élève le statut esthétique de son double portrait en empruntant délibérément à Titien, tant au niveau de la lumière, de la composition, que de la pose elle-même.

Reynolds n’a en aucune façon le souci de l’originalité comme une fin en soi.
Reynolds : « si je n’avais jamais vu un seul chef-d’œuvre de Corrège, je n’aurais peut-être jamais remarqué dans la nature l’expression que je trouve dans l’un de ses tableaux… ».

Les allusions à la culture classique sont aux yeux de Reynolds un tremplin pour l’imagination.

Le rapprochement dans son tableau entre modèle vivants et personnages d’histoire, est un moyen de stimuler l’esprit du regardeur.
En s’adressant à l’esprit et à l’imagination du regardeur, Reynolds aspire à faire de la peinture un art noble.

Reynolds écrit « un portraitiste peint un individu et par conséquent un modèle imparfait ».  Reynolds se démarque des artistes qui ne se préoccupent que de ressemblance.
S’il s’intéresse au naturel de la pose et de l’expression, il n’hésite pas à idéaliser les visages de ses modèles.

Reynolds s’intéresse à la forme générale et ne se perd pas dans les détails.

Il sélectionne ce qu’il considère comme des éléments essentiels. Reynolds proscrit l’imitation servile au profit d’un éclectisme bien compris.

Un portrait est fait pour frapper le regard et l’imagination.

Recherché par l’aristocratie comme par les artistes, Reynolds sait évoluer entre un certain formalisme ostentatoire et une veine plus intime.

Reynolds représente un ambitieux « portrait en action » qui lui permet de valoriser ses modèles en les confondant avec les protagonistes d’une peinture d’histoire.

Leurs gestes les rapprochent de certains dieux et héros de l’Antiquité classique (Apollon, Ulysse).

Le langage de l’art chez Reynolds n’est pas un simple jeu sur les couleurs comme dans la peinture vénitienne.

Reynolds privilégie le dessin et la forme, les personnages sont moins importants que la manière dont ils sont représentés.

Les deux aristocrates représentés tirant à l’arc portent des tenues inventées par Reynolds.
Reynolds atténue ainsi la référence au présent en simplifiant les vêtements.
Ces tenues évoquent le Moyen-Âge ou la Renaissance, mais aussi peuvent faire allusion aux bals costumés très en vogue à Londres à l’époque de l’artiste.

Dans la seconde moitié du XVIIIe, le tir à l’arc était devenu un sport en vogue au sein de l’aristocratie et les exploits de Robin de Bois un sujet de fierté nationale.

La figure de l’archer est devenue un point de référence à la mode pour les jeunes hommes privilégiés et un déguisement allégorique populaire pour les portraits contemporains.

Le tableau célèbre l’amitié des hommes en la liant à un passé chevaleresque imaginaire, lorsque deux jeunes seigneurs poursuivaient ensemble des activités
« viriles » sur fond de forêt ancienne.

Ils imitent une chasse médiévale ou de la Renaissance, le gibier amassé à leurs pieds souligne leur sang noble et leur manière aristocratique de chasser.

Dans ce tableau, Reynolds s’inspire de son époque et exprime la sensibilité palpable de son temps.

 

Conclusion

Joshua Reynolds a peint sous le règne de George III, c’est une période décisive de l’évolution de la société, d’affirmation du pays sur la scène internationale et d’essor artistique et culturel.

Outre son immense culture visuelle, Reynolds est un grand spécialiste de Shakespeare au XVIIIe.
Ce qui le fascine chez cet écrivain, c’est sa faculté à séduire le public en transgressant les règles de l’art dramatique, pour créer quelque chose de neuf.

Joshua Reynolds fut le premier président de la Royal Academy of Arts en 1768 où il a joué un rôle central.  Il a mis sur pied l’organisation annuelle de grandes expositions, tradition qui existe toujours.

Joshua Reynolds est un peintre remarquable, doté d’une technique hors pair.
Il est sans doute le portraitiste le plus talentueux de son siècle.