Mains tueuses

Le bracelet de jais enroulé autour du poignet nous informe qu’il s’agit d’une servante. Elle écrase entre ses ongles, mains jointes, une puce.

Ce geste disgracieux consistant à se débarrasser de la vermine était un geste d’hygiène élémentaire et un signe de misère chez les gens du peuple qui portaient longtemps les mêmes vêtements sans se laver.

La Tour baigne son tableau d’une lumière christique, il éclaire la servante comme ses Marie-Madelaine.
Il crée une ambiance mystique.

La Tour installe un contraste puissant entre la noblesse picturale et la trivialité du sujet, entre l’opalescence de la lumière, les volumes des formes et le réalisme cru du personnage.

Cette toile est fascinante.
La Tour peint une atmosphère intimiste, un chef d’œuvre d’austérité.

La femme à la puce  a été réalisée entre 1632 et 1635
Ses dimensions : 121 x 89 cm
Pour voir le tableau,  aller sur l’index des artistes à Georges de La Tour ou
au musée lorrain de Nancy,  le Palais des ducs de Lorraine.

Le massacre des innocents – 1611-12 Rubens

Rubens (1577-1640)

 

Le massacre des Innocents

1611-1612

Huile sur panneau de chêne

Dim 142 x 182 cm

Conservé au Musée des Beaux-Arts de l’Ontario -centre de Toronto au Canada

 

Le peintre

Né à Siegen, en Allemagne, Rubens se forme à la peinture à Anvers avant de rejoindre l’Italie en 1600. Il passe huit ans en Italie, d’abord comme peintre de la cour de Vincent 1er de Gonzague, duc de Mantoue, puis à Rome. Il s’immerge dans l’art et la culture italienne, dessine et copie des œuvres d’art et des antiquités, modifie des dessins qu’il achète à d’autres artistes afin d’entrer en dialogue compétitif avec eux. Sa collection de dessins, conservée dans son atelier à l’usage de ses assistants et collaborateurs, jouera un rôle crucial dans son processus créatif.
À l’arrivée de Rubens à Rome, en juillet 1601, Annibale Carrache triomphait avec ses fresques tout juste achevées de la galerie Farnèse, et plusieurs ensembles majeurs de Caravage venaient d’être installés dans leurs églises. Les innovations de ces peintres exerceront une influence déterminante sur Rubens, tout comme les statues antiques romaines, le plafond de la chapelle Sixtine de Michel-Ange et les chambres de Raphaël au Vatican. En 1603 et 1604, Rubens est envoyé par le duc de Gonzague à Madrid, où Philippe III rassemblait davantage de peintures profanes de la Renaissance vénitienne qu’on en trouvait alors à Venise. Les couleurs vives et somptueuses de Rubens devaient beaucoup à Titien et à d’autres vénitiens.
L’apprentissage de Rubens est métissé entre les terres flamandes et les ateliers italiens.
De retour à Anvers en 1608, il connaît rapidement la gloire, le succès matériel, une ascension rapide. Rubens réagit dynamiquement au renouveau catholique des élites de la maison des Habsbourg. Il réalise pour les églises des Pays-Bas de nombreux retables, dont le plus saisissant est l’Érection de la croix-1609-1610 de l’église Sainte-Walburge. Il fonde à Anvers un vaste atelier avec une production très variée : grands ensembles allégoriques destinés aux princes mécènes, natures mortes, peinture d’histoire, images pieuses, gravures réalisées d’après ses peintures.
Antoon van Dyck y travailla et devait contribuer grandement à la productivité de l’atelier.
Rubens a également collaboré avec d’autres artistes, comme avec Jan 1er Bruegel ou Frans Snyders.
À la fin de sa vie, Rubens voyage beaucoup pour effectuer les commandes de sa clientèle internationale et les missions diplomatiques que lui confient les souverains des Pays-Bas espagnols.
Diplomate érudit, courtisan parfaitement cosmopolite, il est promu chevalier à deux reprises et réalise des commandes majeures pour presque toutes les grandes cours d’Europe.

 

Le tableau

C’est une œuvre de jeunesse de Rubens, il produit sa version de l’épisode biblique peu après son retour d’Italie.

C’est un tableau monumental, lisible et naturaliste.

 L’épisode biblique du meurtre :
« Alors Hérode, se voyant joué par les Mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants jusqu’à deux ans » (Matthieu. 2, v 16-18).

Rubens met en scène dans ce tableau cet évènement à la fois effroyable et choquant de beauté.

En 1780 ce tableau est considéré comme étant de la main d’un assistant de Rubens, Jan van den Hoecke.

C’est au début du XXe que la paternité du tableau est rendue à Rubens.

Vendu chez Sotheby’s en 2002 pour environ 55 millions d’euros, c’est le tableau du maître le plus cher de tous les temps.

 

Composition

Rubens compose un espace dynamique et vigoureux vibrant de mouvement.

La cadre est serré sur la douleur et la terreur des mères.
Le premier plan est réservé à l’action où les figures sont enchevêtrées.

Rubens peint un essaim de soldats en train de piétiner et poignarder les enfant et leurs mères.

Le chaos règne.

Les soldats d’Hérode, certains en armure, d’autres nus afin de montrer leur puissance physique et leur anatomie parfaite, arrachent les enfants aux bras de leurs mères désespérées avec une grande violence.
Leurs victimes forment une masse entremêlée, au sein de laquelle on identifie une vieille femme ridée, des femmes plantureuses et des bébés inertes, au teint terne, gisant à terre.

L’intensité dramatique est palpable.
La lutte des corps humains est rendue avec un réalisme extraordinaire.
La sensation auditive est ressentie dans les expressions des visages.

La composition croise les diagonales.
Les diagonales donnent le mouvement et dynamisent la scène.
En s’entrechoquant, elles  lient les éléments du tableau.
La diagonale qui passe par la femme en robe rouge s’oppose à la diagonale du spadassin qui poignarde une vieille femme.
Les femmes forment une frise, elles sont sur un même ligne horizontale.

La diagonale amorcée par l’architecture académique à l’arrière-plan donne de la profondeur à la composition.
Cette perspective est stable, héritée des préceptes renaissants.

Rubens mélange les genres, classique pour l’architecture et le fond du tableau, baroque pour le premier plan et les personnages.

Le peintre soigne sa mise en scène : La robe rouge de la femme au centre de la composition évoque le sang et attire notre regard sur une mère qui défend son enfant bec et ongle.

Rubens fait cohabiter les tons chauds et froids.
La gamme chromatique est dominée par le rouge qui contraste avec la couleur safran d’une robe à droite et s’oppose à la moire grise de la robe de la femme accroupie à gauche et au pan de tissu bleu de l’homme de droite.
La couleur de la peau s’inscrit dans un nuancier allant de la chair ivoirine à l’incarnat bistre.

Rubens tire parti de ces crimes atroces pour montrer sa maîtrise du dessein, de la composition, du coloris.

 

Analyse

Le massacre des innocents est un thème populaire dans la peinture.

Les artistes de la Renaissance, fascinés par l’Antiquité, reproduisent souvent cet épisode de la Bible.
Ce thème incontournable a été peint par Giotto dans la chapelle Scrovegni.
Du XIIIe au XIXe, les plus grands peintres ont donner leur interprétation, Donatello, Guido Reni, Cornelis Schut…
En France on retrouve le thème sur les bas-reliefs de la cathédrale de Chartres, sur les vitraux de la cathédrale de Reims et sur une châsse conservée à Limoges, dont les parois sont toutes dédiées à cet assassinat collectif.
Il y a également une version de Poussin : Le Massacre des Saints Innocents

La scène déborde de violence et les nombreuses références à l’art antique et à la Renaissance italienne démontrent que Rubens a toutes les qualités d’un peintre érudit.

-La mère accroupie est inspirée de la Vénus antique de la collection de la famille Gonzague à Mantoue.
-Les lutteurs, une statue de la villa Médicis à Rome inspire le soldat levant son glaive pour transpercer une vieille femme.
-Le groupe du Laocoon inspire le soldat dont la jeune femme à demi-nue tente d’arracher les yeux
-Le marbre de trois putti endormis de la villa Borghèse à Rome inspire les corps blêmes des enfants massacrés
-Le Christ de Michel-Ange sur sa toile la Résurrection inspire les traits du soldat sur le point de massacrer un enfant à droite de la composition.

 En comparaison avec la gracieuse composition de Raphaël, l’interprétation de Rubens est plus réaliste et plus tragique.

Dans ce tableau Rubens retrouve l’humain et honore la mémoire.

Rubens sollicite notre regard et nous montre.
Le peintre implique le regardeur dans sa toile.

Rubens élabore son imaginaire pictural, la scène s’ajuste à son univers.

La démonstration par Rubens de la matérialité du corps humain est aussi saisissante que l’impuissance des jeunes vies déjà perdues.

Les femmes, courbées, cassées, en parti dénudées, incarnent la pulsion de désespoir et de rage.
Rubens concentre les femmes sur un même ligne qui donne à leur détermination et leur lutte une grande force.
La nudité masculine met en relief la beauté des corps.
Ces corps sont marqués par le style baroque qui rejette l’immobilité. Pour les corps des soldats Rubens empreinte le baroque éloquent de Michel-Ange.

Rubens peint la chair vivante et palpable.

Rubens est à la fois baroque et classique, clair et ordonné.

Son classicisme hérité est en tout point indémêlable de sa folie créatrice.
Les corps sont matière, juxtapositions, superpositions.
L’exposition des chairs donne à voir les replis de l’âme.

Rubens est exalté par le corps qui se voit, se touche, se ressent.

La sauvagerie narrative du tableau s’exprime par la violence de la touche.

La composition en diagonales met en lumière les corps et répond à la prédilection de Rubens pour les monticules de chair.
Les corps sont agglutinés les uns aux autres, l’éclairage est braqué sur leur nudité

Rubens révèle le double statut des corps : corps de récit et corps de peinture, corps de chair et corps de pure violence.
Sa pensée est précise, son contenu est clair.
Tout est fixé par la peinture.
Rubens dessine des corps en mouvement qui expriment le dynamisme et le drame.
Le tableau tire sa force de l’action qui se déroule sous nos yeux en temps réel.

La lecture du tableau se fait de manière linéaire.
Les regards confirment ce que les mains exécutent.
Formes et forces s’entrelacent.

La force, l’énergie, la puissance de séduction sont les médiateurs de la pensée de Rubens. 

 

Conclusion

Pierre-Paul Rubens, un des artistes les plus polyvalent du XVIIe, connut la gloire internationale de son vivant. Sa riche palette vénitienne, ses compositions dynamiques, sa technique fluide et sa grande maîtrise des tonalités ont fortement influencé  nombre de ses contemporains.

Reconnu pour sa carrière prospère et son style, Rubens influencera plusieurs générations de peintres.
Il est considéré comme étant l’apogée du style baroque.