Lady Bampfylde – 1776 Joshua Reynolds

Joshua Reynolds (1723-1792)

 

Lady Bampfylde

1776

Huile sur toile

Dim 238,1 x 148 cm

Conservé à la Tate Gallery, à Londres

Le peintre

Joshua Reynolds est un peintre graveur et essayiste britannique.
Il a grandi dans un milieu lettré.
De 1740 à 1743 il suit les cours du portraitiste Thomas Hudson.
C’est un peintre voyageur, financé par ses sœurs.
En 1749, il part pour Lisbonne, Gibraltar, puis Minorque.
En avril 1750 il s’installe pour deux ans à Rome.
En 1752, après Florence, Bologne et Venise, il arrive à Paris.
En 1753, il s’installe à Londres.

Le séjour romain déstabilise le jeune peintre, en anatomie comme en géométrie, il cherche à percer les secrets des grands maîtres.
Notes de son carnet de voyage à Rome, vers 1751 : « Les peintres vénitiens donnent plus d’un quart du tableau à la lumière…un autre quart au plus fortes ombres possibles et le reste aux demi-teintes, tandis que dans les ouvrages de Rembrandt par exemple, la masse des bruns est huit fois plus importante que la masse des clairs. »

En 1768, Georges III fonde la Royal Academy, institution dont l’objectif est la promotion des arts visuels par des expositions et l’organisation d’un enseignement. Joshua Reynolds est son premier président.
En 1775, Reynolds est élu membre de l’Académie de Florence
En 1778, ses sept premiers discours sont publiés.
En 1784, à la mort de Ramsey, il est nommé premier peintre du Roi George III.
En 1790, il expose pour la dernière fois à l’Académie Royale.
En 1792, il est enterré dans la cathédrale de Saint Paul.

 

Le tableau

Lady Bampfylde (née Catherine Moore, ainée des quatre filles de l’amiral Sir John Moore) épouse Charles Bampfylde, député du Devon et d’Exeter, le 9 février 1776. Ce portrait a été commandé pour célébrer le mariage du couple.
Les séances de poses ont lieu en 1776. La toile est achevée en 1777.

Dans cette toile, Lady Bampfylde est une déesse de l’amour.

Cependant son mariage contredit ce portrait.
Son mari dilapide sa fortune pendant les premières années de leur mariage et Lady Bampfylde aurait trompé son mari. Cette union est malheureuse.
Moins de dix ans après la réalisation du portrait, le couple s’est séparé.
En 1823 Charles Bampfylde a été assassiné par un serviteur et neuf ans plus tard Lady Bampfylde décède.

Le tableau a été légué à la Tate Gallery en 1918, par Alfred de Rothschild.

 

Composition

Le tableau représente Lady Bampfylde, en pied et de face.
Un léger contrapposto donne de la vie à son attitude.
Elle est appuyée sur un piédestal, tout près du bord du tableau.
Elle est vêtue d’une élégante robe blanche taillée dans un tissu fluide et vaporeux qui ondule.
Son visage est de 3/4, la tête légèrement inclinée.
Son regard attentif est dirigé vers l’espace du regardant.
La teinte rosée de ses joues relève son visage diaphane, elle a la grâce et le port de tête qui sied à son rang.
Sa coiffe est relevée en un chignon vertigineux. Un savant entremêlement de rubans retient son imposante chevelure.
Un collier de perles orne discrètement sa gorge.
Son bras gauche repose contre un piédestal, devant lequel se dresse un lys blanc.

Au premier plan, diverses fleurs sont éparpillées sur le sol au pied de la Lady. On reconnaît des marguerites, des gentianes et un minuscule dahlia pompon rose.

De grands arbres sur la droite du tableau forme une masse sombre qui occupe les 2/3 de l’arrière-plan de la toile et mettent en valeur la carnation laiteuse de la Lady.

Sur la gauche de la toile, un sentier, l’orée du bois, ombré de lumière s’étire en paysage. Au loin sont visibles deux pics rocheux en perspective atmosphérique.

Un ciel nuageux complète ce décor.

La posture de lady Bampfylde imite celle en miroir de la célèbre sculpture de la Vénus de Médicis. Une statue de marbre représentant la déesse grecque de l’amour. Cette statue est considérée comme l’incarnation de la beauté féminine.
Si les mains de la statue antique sont pudiquement posées sur sa poitrine et son entrejambe, celles de Lady Bampfylde sont inclinées, la droite vers la hampe de lys blanc, symbole de pureté et la gauche tient une pensée qui cache son décolleté.
La Lady semble tenter de dissimuler sa pudeur comme la sculpture.

 Une lumière douce baigne cette composition.
Elle éclaire la robe, fait scintiller les cheveux et les fleurs de lys.

Reynolds joue du contraste entre clarté et obscurité.

 

Analyse

Lady Bampfylde : Un portait dans le « grand style » anglais :

A/ Mise au point :

Au cours du XVIIIe, le terme de « grand style » faisait référence à une esthétique idéalisée dérivant de l’art classique.
Les attitudes et les gestes des portraits « grand style » imitaient ou s’inspiraient de ceux des sculptures antiques ou des peintures de la Renaissance, elles-mêmes influencées par les œuvres de l’Antiquité.

Sir Joshua Reynolds eut énormément d’influence dans cette tendance.

Si le portrait était une branche artistique florissante, c’est la peinture d’histoire qui jouissait de la plus grande considération ; C’est pourquoi il parut évident à Reynolds que, pour élever le statut du portrait, il était nécessaire de créer un nouveau style pictural allégorique et didactique associant les deux.

Dans ses quinze conférences données à la Royal Academy entre 1769 et 1790 et rassemblées en un recueil intitulé Discours sur la peinture,Reynolds s’efforça de convaincre les peintres de tendre vers la généralisation et l’idéalisation plutôt que de se contenter de copier la nature.
Exprimant dignité et respectabilité, les sujets devaient être représentés en pied et grandeur nature, au cœur d’une composition incluant fréquemment des structures classiques suggérant culture et sophistication.

Seuls les sujets héroïques ou aristocratiques étaient dignes d’être peints selon le « grand style ».

Certaines œuvres devinrent si célèbres qu’elles furent copiées un nombre incalculable de fois : le portrait du roi Georges III tout juste couronné réalisé par Allan Ramsay en 1761-62 fut copié 36 fois seul et 150 fois avec celui de la reine.

 B/ Le grand style et Reynolds

Pour Reynolds le « grand style » est la quête de la perfection.

Reynolds recherche une beauté idéale. Le peintre représente le monde tel qu’il se présente dans son esprit et non, tel qu’il est.
C’est la beauté filtrée par l’intelligence.
Cette esthétique est décisive dans la recherche du « grand style ».

Le « grand style » est intellectuel.
C’est par l’idée que le peintre doit puiser en lui la beauté des formes.
Le « grand style » est dans l’invention, dans la composition, dans l’expression, dans le coloris et dans l’art du draper.

Le « grand style » invoque la primauté du dessin sur la couleur.

Reynolds a une référence italienne : « si le « grand style » devait être personnifié, Michel-Ange en serait l’incarnation. ». Ce grand artiste incarne à ses yeux, la peinture par excellence. Raphaël et Michel-Ange sont les représentant du « grand style » en peinture.

C/ Le « grand style » et le portrait chez Reynolds :

Les années 1770 marquèrent la période la plus classique et académique de la carrière de Reynolds, c’est au cours de cette période qu’il peignit plusieurs portraits allégoriques.

Le peintre doit présenter un aspect idéalisé du portraituré, l’ennoblir. Idéaliser c’est négliger « tous les petits défauts et particularités du visage, et, dans le vêtement, changer la mode du jour en costume d’aspect moins éphémère, qui ne rappelle aucune idée commune à cause de son caractère familier ».
Reynolds ajoute : « c’est une tache très difficile d’ennoblir le caractère d’un portrait sans nuire à la ressemblance, laquelle est le premier objet des exigences des personnes qui se font peindre ».
Il dit aussi : « un peintre d’histoire peint l’homme en général, un peintre de portrait un homme particulier ».

De nombreux portraits de femmes de Reynolds évoquent la mythologie et rivalisent avec la peinture d’histoire.

Le portrait de Lady Bampfylde -1776,
consacre son adhésion au « grand style ».

Regards sur trois de ses portraits :
-Celui des sœurs Montgomery : Trois femmes ornant un terme d’Hymen –1773 (leur attitude classique et pleine de grâce est empruntée au Triomphe de Pan –1635 de Poussin).
-En 1776, Reynolds peint un Saint jean Baptiste au désert, il le représente enfant, sa pose évoque celle du tableau de Raphaël. La toile se réapproprie l’iconographie traditionnelle sur le même thème, tout en détournant la peinture d’histoire au profit de l’enfant, au profit du portrait.
-Le portrait de Lady Georgina Spencer –1775-78, le modèle tenait salon dans les milieux politiques et littéraires. Comptant parmi les femmes les plus en vue de son époque, elle était toujours à la ponte de la mode, adorée du Prince de Galles et amie proche de Marie-Antoinette. Reynolds exécute ce portrait deux ans après son mariage à l’âge de dix-sept ans avec le cinquième duc du Devonshire. Imprégné du travail des italiens, Reynolds travaille ses ombres et sa lumière comme chez Véronèse.


D/ Évolution du « grand style »

Dans la peinture du Nord :
Parallèlement, les portraits de Pierre-Paul Rubens et d’Anton Van Dick, inspirèrent un nouveau type de peinture « grand style ».
Leurs tableaux représentent des sujets appartenant à la petite noblesse ou à l‘aristocratie urbaine.

En Angleterre :
Contrairement à Reynolds, Gainsborough préférait peindre des amis plutôt que des personnes publiques.
Certains des plus beaux portraits de cette période sont de la main de Gainsborough. Le peintre était à l’antithèse de tous les principes qu’enseignait Reynolds, rejetant l’idéal intellectuel et académique de celui-ci pour un autre, davantage ancré dans la vie contemporaine.
Avec son portrait intitulé Garçon en bleu, réalisé en réponse à l’un des discours de Reynolds, Gainsborough démontra qu’une œuvre pouvait transmettre le sens du beau même sans formation classique ni règles rigides.

Cette forte rivalité artistique n’empêchait pas les deux artistes de se vouer mutuellement une grande estime.

Reynolds rendit hommage à son compagnon dans sa conférence d’adieu donnée en décembre 1790, faisant de Gainsborough le premier de tous les peintres de l’école anglaise en devenir.

 

Conclusion

Reynolds est considéré comme l’un des artistes les plus importants du XVIIIe.

Il a joué un rôle central dans la création de la Royal Academy of Arts et a été élu premier président.

Son influence sur le monde de l’art fut reconnue par le titre de chevalier en 1769.

L’œuvre de Reynolds est devenue un outil d’analyse pour un style construit sur l’idéalisation et la citation référentielle.

Dans une oraison funèbre en hommage à Reynolds, Burke réunit théorie et peinture : « Ses peintures illustrent ses leçons et ses leçons semblent inspirées de ses peintures. » Il en est ainsi de l’enseignement du « grand style ».

La recherche du « grand style » qui repose sur la recherche du « beau idéal » deviendra au XIXe, le néoclassicisme.