El Tres de Mayo – 1814 Francisco Goya

 

Francisco Goya (1746-1828)

 

La fusillade du 3 Mai 1808 – El Tres de Mayo

1814

Huile sur toile
Dim 268 x 347 cm
Conservé à Madrid au musée du Prado

 

Le peintre

Goya est né dans le royaume d’Aragon, près de Saragosse le 30 mars 1746.
Il commence à peindre à l’âge de 13 ans dans l’atelier de José Luzan.
En 1763, il part à Madrid où il fait ses débuts dans l’atelier du peintre Francisco Bayeu.
En 1770, Goya séjourne à Rome ou il découvre les Caprici (architectures oniriques) de Tiepolo.
En 1771, après des séjours à Rome et à Parme où il étudie les œuvres des grands maîtres, il rejoint Saragosse. Une de ses premières commandes est la décoration du plafond de la chapelle.
En 1775, il s’installe à Madrid. Il réalise les cartons de tapisserie pour la manufacture royale Santa Barbara. Puis il grave les œuvres de Velasquez.
Goya est fasciné par les possibilités expressives des nouvelles techniques de gravure, qui lui donnent la possibilité d’atteindre un public plus large que la cour de Charles III et de Charles IV.
En 1783, il entre au service de Don Luis, frère du roi et réalise plusieurs portraits de famille, dont La familla del infante Don Luis –1784
En 1785, il est nommé directeur adjoint de l’Académie de San Fernado.
En 1786, il devient le peintre du roi d’Espagne Charles III, puis de son successeur Charles IV. Il peignit maintes fois ces rois d’Espagne et leur famille, pas toujours de la façon la plus flatteuse.
En 1789, la révolution française éclate, les espagnols qui partagent les idées révolutionnaires sont arrêtés ou exilés. Goya est tenu éloigné de la cour.
En 1792, il tombe gravement malade et devient sourd.
En 1799, il est nommé premier peintre de la cour d’Espagne. Il réalise ses plus grandes œuvres dont la coupole de la chapelle royale San Antonio de la Florida à Madrid, le portrait de la Famille de Charles IV – 1800 et la controversée
Maja nue –1795-1800.
En 1808, l’Espagne est envahie par les troupes napoléoniennes.
En 1810, il peint le portrait du roi joseph et réalise dans un même temps une série d’eaux fortes dénonçant les crimes commis par les troupes françaises.
En 1814, il peint Dos de Mayo et Tres de Mayo qui commémorent l’insurrection madrilène lors de l’invasion de l’armée française.
En 1819, il s’installe dans une maison où, en réaction à sa surdité, il recouvre les murs de « peintures noires ».
En 1824, mécontent de la situation politique en Espagne, il s’exile en France et s’installe à Bordeaux.
Il meurt le 18 avril 1828, à l’âge de 82 ans, vieux, triste et oublié.
En 1899, son cercueil est transféré à Madrid dans la chapelle San Antonio de la Florida.

Francisco Goya est un peintre et graveur du début du XIXe. Ses œuvres contiennent les prémisses du mouvement expressionniste en peinture.

 

Le tableau

Durant la période romantique l’exploration de la raison et de la folie fut liée au concept du sublime, qui mêlait douleur, plaisir et terreur.
Ce romantisme étrange se développa dans un contexte de violence et de troubles politiques, sur fond de Révolution et de guerres napoléoniennes.

Géricault en France, J.F. Füssli et W. Blake en Angleterre, Goya en Espagne, furent les principaux représentants de cette forme d’art.

Dans ce tableau, Goya exprime son allégeance politique en illustrant les atrocités de la guerre. Goya a peint ce tableau six ans après les faits.
Il est associé à El dos Mayo qui illustre la charge des mamelouks.

Ces deux tableaux sont des tableaux commandés par le conseil de Régence qui dirigeait l’Espagne après la guerre d’indépendance. Les tableaux devaient perpétuer les exploits les plus notables et héroïques de l’insurrection glorieuse contre le tyran français.

Cette peinture a été considérée comme le symbole le plus fort de l’indépendance et de la défense des libertés par le peuple espagnol.

La fusillade du 3 Mai 1808 représente une exécution survenue à Madrid durant l’occupation française de l’Espagne. Des soldats de l’armée napoléonienne fusillent 43 Madrilènes arrêtés de la veille en représailles d’un soulèvement contre l’occupation de l’Espagne par les français.

 

Composition

C’est une composition efficace :

Au premier plan
À droite du tableau s’étale une ombre qui met en valeur la gauche du tableau où les rigoles de sang des morts entassés les uns sur les autres se mêlent à la terre fortement éclairée par une lanterne posée au sol.

Au deuxième plan
La composition juxtapose le peloton d’exécution, efficace et bien disposé, les visages des soldats étant masqués au spectateur, et un groupe confus de condamnés, dont un prêtre en soutane noire.
Le personnage central est légèrement décalé sur la gauche du tableau, il se détache du groupe parce qu’il est représenté à plus grande échelle que les autres infortunés qui l’entourent. Il porte des vêtements clairs, il est à genoux dans la lumière. Ses bras  levés dans un geste de supplication écartent les pans de sa chemise, offrant sa poitrine dénudée aux balles des fusils. Le reste du groupe est désorganisé.. Ils sont vêtus de vêtements sombres et leurs visages sont à peine esquissés.  Seules leurs gestuelles sont discernables et portent le cri de désespoir des hommes sur le point de mourir.
Derrière eux le long du flanc de la colline se tient une foule confuse qui se cache le visage pour ne pas voir le massacre qui les attend.

Au troisième plan
Une colline à gauche du tableau ferme la composition et repousse les madrilènes vers les soldats
Une église et son clocher se détachent de la nuit à droite du tableau.  Les bâtiments sont en  partie dissimulés par l’avancement de la colline.

À l’arrière-plan
Le ciel est noir, épais. Un ciel de nuit sombre, sans étoiles, qui ferme le tableau dans sa partie supérieure et diffuse une atmosphère de drame.

On observe le parti-pris de laisser inachevé les zones secondaires du tableau.

Le croisement de toutes les lignes qui traversent le tableau s’achève sur la poitrine dénudée de l’homme à la chemise blanche. On remarque la diagonale qui passe par ses bras levés et file vers le clocher, celles qui passent par les soldats napoléoniens et celles qui suivent les canons des fusils.

Les soldats en rang serré forment un mur. La rigidité de leur position comme celle de leurs costumes traduisent leur intention inflexible, immuable.
Contrairement aux madrilènes, chaque soldat est dessiné avec précision, leur uniforme, leurs bottes, leur sabre (à la mamelouk) et leur paquetage, nous permettent de savoir qu’ils appartiennent à l’infanterie napoléonienne.

La lumière provient de la lanterne posée au sol devant la ligne des soldats, elle accroche la chemise blanche du personnage en joue et l’éclaire telle un projecteur.

L’influence de Rembrandt est perceptible dans la mise en scène de la lumière.

La finesse et la transparence du clair-obscur rappelle les tableaux du Maître. Goya travaille la couleur de ses pigments et les modèle.

Dans ce tableau, il attire l’attention du spectateur au centre de la composition en faisant surgir le personnage en pleine lumière.

L’atmosphère sombre du tableau, sa facture libre et fluide sont les caractéristiques de ses dernières œuvres.

 

Analyse

Ce tableau est le symbole des répressions injustes de toutes les révoltes du monde.

Comment Goya nous délivre ce puissant message et fait de cette représentation un tableau universel :

Au-delà de la dénonciation de l’injustice et de la cruauté de la fusillade, ce tableau palpite et cette palpitation prend le spectateur à la gorge.

Goya peint des hommes ordinaires comme des héros de son temps, il veut refléter les horreurs de la guerre d’indépendance espagnole et mettre en avant l’héroïsme et le sacrifice des madrilènes.

Goya cache les visages des bourreaux et met la lumière sur les victimes.

En concentrant la lumière sur le personnage central, Goya rive l’œil du spectateur sur lui et influence sa vision de la scène.

Le regard du spectateur s’accroche au regard intérieur du suppliant.

Il est l’antihéros, un homme anonyme dont la mort sera le symbole du courage du peuple espagnol.

Le spectateur le voit comme une nouvelle version du Christ.

Les autres madrilènes groupés à gauche du tableau, portent des vêtements sombres, peu détaillés, la confusion s’exprime par le flou qui dilue les silhouettes à peine esquissées.
On ne retient que leurs gestuelles d’où se dégage une grande énergie. L’énergie du désespoir.

Chaque soldat porte un uniforme de laine de teintes différentes, ce qui les individualise et rend la scène plus difficile à regarder. En effet il ne s’agit pas d’une force de frappe qui obéit aveuglément mais d’individus avec l’intention de tuer et tirant dans le tas, ne faisant pas la distinction entre rebelles et innocents.

C’est une composition qui raconte, Goya introduit le concept du temps en représentant les morts au premier plan, puis les prisonniers qui vont être exécutés dans le moment et en dernier la file des hommes qui seront fusillés peu après.

En introduisant la notion du temps dans la fusillade, le passé, le présent et le futur, Goya renforce la violence du tableau et intensifie sa charge émotionnelle.

C’est une œuvre romantique qui exacerbe les passions.
La peur, la foi, l’esprit de révolte et l’innocence d’un côté et la répression de l’autre.

El Dos de Mayo et El Tres de Mayo sont des tableaux « monuments » dans l’histoire de la nation espagnole.

Bien après la seconde guerre mondiale, ce sont les photographes qui ont pris le relais faisant du langage de Goya un langage universel.
Le sang de El Tres de Mayo nous renvoie aux images sanguinolentes des attentats d’aujourd’hui.

Les tableaux de Goya en mettant en exergue les relations violentes entre les êtres humains, participent à la construction de notre vision du monde réel.

 

 

Conclusion

El Tres de Mayo a inspiré de nombreux peintres, entre autres, Manet et Picasso.

Goya est à la fois, un courtisan obligé et un chroniqueur intransigeant.

Contrairement aux peintres contemporains, il ne magnifie pas la guerre et montre tout.

Son œuvre nous parle des pouvoirs et des impuissances de sa peinture.

« Mais où trouvent-ils ces lignes dans la nature ? Moi je ne vois que des corps éclairés et des corps qui ne le sont pas… Mon pinceau ne doit pas voir mieux que moi » écrit Francisco Goya.

Goya artiste au caractère rebelle, sarcastique et provocateur, a laissé un grand nombre d’œuvres fascinantes où s’expriment les contrastes entre la noirceur et la lumière, entre l’horreur et le cri du vivant.