Nature morte – 1936 – Giorgio Morandi

Giorgio Morandi (1890-1964)

 

Nature morte

1936

Huile sur toile
Dim 32 x 37 cm

Conservé au Musée de Grenoble, France

 

Le peintre

Giorgio Morandi est né à Bologne.
Dans cette ville il étudie les Beaux-Arts et devient professeur de gravures.
Il enseigne la gravure de 1930 à 1956.
Morandi a vécu toute sa vie à Bologne avec sa mère et ses trois sœurs dans une maison de la via Fondazza.
Sa chambre de 9 m2 est son atelier. Il y dort et y travaille jusqu’à sa mort.
Cette vie modeste et solitaire il la passe à faire de la peinture une perpétuelle expérimentation formelle. Il broie lui-même ses couleurs.
Morandi se déplace très peu de chez lui.
Il se rend plusieurs fois à la biennale de Venise, où il est premier prix en 1948. IL va aussi à la biennale de Sao Polo, il est premier prix en 1957 et à la Documenta de Kassel.
Il exposa pour la première fois en 1914, puis la même année à Rome aux côtés des futuristes. Si les futuristes visaient à expérimenter le mouvement grâce à une décomposition et une fragmentation des formes, Morandi conféra une dimension monumentale à des objets beaux et simples.
Toute sa vie, en affinant son style, Morandi peint des natures mortes, les paysages de Grizzana, le petit village des Apennins où il passe ses étés, ainsi que quelques rares autoportraits.

 

Composition

Six objets, une composition simple.
Le fond est neutre, les matières clairement différentes, la lumière subtile et apaisante.

Un petit bol, une carafe, un sucrier, deux bols bleus empilés, sont disposés les uns à côté des autres, une boule de hochet est appart.
Morandi a disposé les objets sur une ligne diagonale, les objets sont bien encrés sur la table, fixés par leur ombre.
La boule de hochet devant crée un plan.

La gamme chromatique est une harmonie, couleur  dragée et meringue.
La couleur jaune ajoute une teinte subtile à la palette qui décline des tons de blancs nacrés.
Le mastic de la table et l’ocre du mur évoquent Chardin.
Les bols bleus ajoutent une note de gaité et s’opposent au jaune de la boule de hochet.

Il n’y a ni transparence, ni brillance.

L’opacité totale des objets de ce tableau permet à Morandi de jouer avec la forme et la matérialité.

Les bols bleus sont comme une ponctuation au bout de la ligne.
Ces objets inanimés ont une présence anthropomorphe.

L’atmosphère évoque Vermeer.
Morandi peint un quotidien doux et apaisé à partir d’objets ordinaires qu’il simplifie.

La lumière frappe les objets.
L’ombre de la boule de hochet se poursuit par l’ombre du bol.
L’ombre de la carafe est parallèle à l’ombre du bol.
Ces ombres stabilisent les objets.

Ces ombres créent une composition dynamique en accord avec les courbes douces des bols et la solide verticalité de la carafe.

 

Analyse

Les natures mortes de Giorgio Morandi sont des œuvres simples mais évocatrices, individuelles et pourtant universelles par leur traitement de la forme et du contenu.

Il y a dans l’œuvre de Morandi une sureté de développement, une raison mystérieuse qui préside à la succession des idées.

C’est le secret de sa sagesse qui semble un élément essentiel de sa réussite.
Morandi a une surprenante capacité à inventer pour que ses compositions soient autant que possible exactes et dépouillées.

La succession, dans l’espace et dans le temps, des bouteilles à travers toute son œuvre, parallèlement à la surface de fond de ses natures mortes, est une conception plastique qui lui a permis d’inventer une variété infinie de formes à la limite de l’abstraction, dans la mesure où ce terme peut être employé à propos du primitivisme de Piero ou de Seurat.

À partir de 1920, Chardin a été un modèle constant pour Morandi.
Quant à Cezanne, il a toujours été une référence morale, un continuel objet de méditation, une source majeure pour Morandi.
L’artiste possédait des dessins de Poussin et leur influence sur certains de ses propres dessins est évidente.
Morandi observe les maîtres anciens, Giotto pour lui, a découvert l’espace dans la peinture.
Il prend à Paolo Uccello, la trame géométrique de ses compositions.
Il s’intéresse à Renoir pour la couleur et ses fleurs et, au Douanier Rousseau.

En prenant en compte toutes ces influences, Morandi crée son propre style autour des années 20. Son style pictural témoigne du soin qu’il accordait à la structure et au dessin.
Son travail est une longue recherche de l’essence de la forme, tendant petit à petit vers l’abstraction.

Quand les futuristes rejetaient farouchement le passé et inscrivaient radicalement leurs œuvres dans les premières années du XXe, Morandi faisait preuve d’un classicisme intemporel, évitant les éléments tels que les étiquettes des bouteilles et autres caractères typographiques susceptibles de trahir une époque et un lieu. Cependant son étude minutieuse de la forme et sa palette sourde trahissent une certaine influence cubiste.

Bien que Morandi ne fût que brièvement associé aux peintres métaphysiques, les singulières natures mortes « métaphysiques » qu’il exécuta en 1918-1919 démontrent qu’à l’instar de Carra et De Chirico, il était aussi à même de proposer des juxtapositions énigmatiques faisant figurer des éléments classiques et des éléments familiers, à la fois novateurs et étranges.

La période des années 30 est un période importante parce que le vocabulaire de Morandi est plus construit.

Dans cette Nature morte de 1936, Morandi fait cohabiter de la vaisselle de petit-déjeuner (élément classique) avec une boule de hochet (élément familier).

Durant la majeure partie de sa carrière, il peint des scènes d’objets d’apparence simple dans son atelier.

Peut-être un autre peintre aurait-il inscrit ses objets dans le contexte d’une cuisine ou d’un café.
Morandi les peignaient avec franchise, et n’en fit pas des objets utilitaires, mais des modèles d’atelier.

Il ne leur conféra pas non plus de valeur métaphorique, mais les aborda d’une manière exclusivement picturale, en termes de forme et de couleur, en observant attentivement le placement des ombres et les effets de lumière.

Les natures morte de Morandi furent parfois comparées à des pièces de théâtre, les objets du quotidien étant acteurs d’une pièce silencieuse.

La simplicité et le vide apparent de ces tableaux leur confère une qualité transcendantale ouverte à de multiples interprétations, comme Morandi le remarqua en 1958 : « La matière existe bien sûr, mais n’a pas de signification intrinsèque, comme celle que nous lui attachons. Nous pouvons juste savoir qu’une tasse est une tasse, un arbre est un arbre ».

Morandi a conscience de la faille entre le langage et le réel, la quête de l’essence du réel, l’impermanence, la mélancolie et le vide.

Une quête immense de traversée des apparences, en interrogeant la nature du visible qui démarque une recherche d’absolu et se confond avec la poésie même.

Plus Morandi progresse en dépouillement, en concentration, plus les objets de ses natures mortes prennent l’aspect et la dignité de monuments.

Morandi traverse les apparences du réel, cherche le sens derrière les formes, que découvre-t-il lorsqu’il traverse le voile des apparences.
Cette quête métaphysique avec son regard sur les objets du quotidien, le guide durant toute sa carrière.

Il s’intéresse à la révélation du visible.
Ce tableau est intense, beau et d’une atemporalité unique.

Cette nature morte, très personnelle pour sa composition, son chromatisme et sa lumière porte à l’extrême le désir de pureté de Morandi.

 

 

Conclusion

Tout en étant pleinement conscient des valeurs que l’art moderne a élaboré de 1918 à 1920, Morandi a été avec De Chirico et Carra le plus grand représentant de la période d’art métaphysique, il a été moins que quiconque influencé par les idéologies artistiques internationales.

L’historien de l’art, Roberto Longhi dit de lui dès 1934 qu’il est « l’un des meilleurs peintres vivants d’Italie ».

Cet artiste italien du XXe dialogue avec le travail des maîtres du passé qui l’ont fasciné et influencé sa peinture.
On retrouve dans ses compositions la théâtralité de la peinture espagnole du XVIIe, le naturalisme du Seicento italien, l’intimité et la géométrie de Chardin.

Morandi : « J’ai senti que seule la compréhension des œuvres les plus vitales que la peinture avait produites au cours des siècles passés pouvait m’aider à trouver ma voie ».
Le travail de Morandi échappe à toute classification.

Giorgio Morandi, artiste obsessionnel qui a peint toute sa vie des carafes, des bols et des vases dans des couleurs éteintes est devenu une star internationale.
« Ce qui importe, ne cessa-t-il de revendiquer en préservant sa solitude, c’est toucher le fond, l’essence des choses ».

Giorgio Morandi a fasciné de nombreux artistes, notamment des cinéastes.
Ses tableaux apparaissent dans « La Notte » (1961) de Michelangelo Antonioni, « La Dolce vita » (1960) de Federico Fellini, « En quatrième vitesse » (1955) ou « Amore » (2009) de Luca Guadagnino. Des écrivains comme Pier Paolo Pasolini, Paul Auster ou Don De Lillo le citent.

 

Source :
Article chez Persée de Landini Lando : Une nature morte de Morandi