Le charlatan – 1652 Gerrit Dou

 

Gerrit Dou (1613-1675)

 

Le charlatan

1652
Huile sur panneau de bois
Dim 112 x 83 cm

Conservé à Rotterdam au musée de Boymans-van Beuningen.

 

Le peintre

Fils et élève d’un graveur sur verre, il apprend la gravure sur cuivre et la peinture sur verre avant de devenir, en 1628, le meilleur élève de Rembrandt.

Il peint sur des panneaux de bois qui offrent une surface plus lisse que la toile et se sert d’une loupe pour finir les détails.
Virtuose et méticuleux à la fois, Dou fut le chef de file de la peinture dite « fine ». Il forma Frans van Mieris et Gabriel Metsu.

Dou et van Mieris, avec leur style fin, reçurent certains des plus hauts prix payés pour une peinture du XVIIe. Ils partagèrent cet honneur avec Rembrandt qui commença à peindre lisse dans les années 40 pour passer ensuite à un style plus rude.

 

Le tableau

C’est une scène de rue : Un charlatan extorque de l’argent aux crédules.

La tenue pittoresque du charlatan et son geste ritualisé permettait au public de l’époque de l’identifier aisément.

C’est une peinture de genre du XVIIe représentant des personnages types plutôt que des individus.

Les bases du genre furent posées au XVIe par Bruegel l’Ancien et d’autres, mais ce n’est qu’au XVIIe qu’il s’est imposé comme forme populaire répandue.

 

Composition

C’est une scène d’extérieur, une scène publique.

Une rue de village baignée par la lumière naturelle d’une fin de journée.

Pour être reconnu de loin, le charlatan arbore un ample costume. Pour paraître plus grand, il est debout sur une estrade érigée devant une maison. Pour être plus crédible, il a étalé sur une table devant lui ses ustensiles que surveille un singe. Il se tient sous un parasol comme sous un panache, brandissant son remède à l’intention de la foule. Jeunes et vieux l’écoutent avec la plus grande attention.

Au fond à droite du tableau, le peintre s’est représenté accoudé à une fenêtre, une palette à la main.

Dou privilégie les diagonales se croisant et les angles abrupts.

Au-delà d’une ligne d’ombre qui souligne le bord inférieur du tableau, un désordre traité avec virtuosité est condensé dans une frise : un chien reniflant, un chaudron à demi renversé, des tonneaux, un enfant assis parterre attire un oiseau avec des graines, un paysan tient les poignées d’une brouette débordant de légumes, une femme assise nettoie les fesses d’un bébé …

Les personnages, au pied de l’estrade, forment un groupe. Les obliques qui passent par le chapeau noir de la dame, la toque du monsieur et le chapeau à larges rebords du charlatan, enserrent le groupe dans un triangle.
Leur position respective et leur taille différente, étagent la profondeur de la composition.
On observe une hiérarchie dans les personnages, leurs costumes et leurs attitudes permettent de les différencier.
Deux personnages sont placés clairement en avant par rapport aux autres. Ils sont positionnés en pied et de profil, leur rang social est plus élevé que le reste du groupe. La lumière fait ressortir les textures et les couleurs de leurs habits de bonne facture. À droite du tableau une dame porte un panier au bras, au centre du tableau, un monsieur porte un lapin enfourché sur un bâton qu’il tient sur son épaule gauche.

Une ouverture spatiale dans la partie supérieure sur le côté gauche et au centre du tableau, à l’arrière-plan, aère la composition.

On distingue des constructions urbaines au loin, le clocher d’une église et les toits de maisons ; plus près, un moulin à vent, une rivière, l’arche d’un pont, une grande bâtisse au centre est surmontée d’un belvédère.

Dou montre une extrême habileté à manier la perspective. La principale ligne de fuite traverse le tableau du coin inférieur droit aux ailes du moulin.

Il n’y a pas de vide dans cette composition.

Un arbre mort habillé de lumière élève ses branches tordues jusqu’au ciel, il ferme la composition sur la gauche du tableau.

L’œil du spectateur est focalisé au centre du tableau, attiré par la lumière qui se réfléchit sur le drap blanc posé sur la table du charlatan. Le peintre concentre l’attention du spectateur sur les attitudes des personnages. Le tableau dégage une atmosphère enjouée.
Dans un deuxième temps, le regard suit la rivière pour se perdre dans les volutes des nuages ciselés de lumière.

La lumière entre dans le tableau par la gauche, les ombres du premier plan et du chien nous indiquent son sens.
Un léger clair-obscur met en scène la figure du peintre à la fenêtre.
Dou travaille son tableau avec une lumière d’orage qui met en valeur les nuances de bleus et de gris et module le ciel saturé de nuages jusqu’au bleu-noir du haut de la composition sur lequel se détache le feuillage d’un arbre au rendu métallique.
Elle met également en valeur le sol pavé, irrégulier et recouvert de boue.

En intercalant des zones d’ombre et en juxtaposant ses couleurs, Dou intensifie le désordre visuel. Sur un fond d’ocres de bruns et de noirs, la lumière éclaire des taches de rouge, de bleu et de jaune. Les tons sont équilibrés entre couleurs froides et couleurs chaudes.

Les jeux subtils de la lumière et la délicatesse de la palette, servis par un pinceau plein de vigueur, mettent en relief les textures.

En peignant très méticuleusement, Dou dissimule la trace du pinceau.
La facture est très lisse, la couche colorée est très fine. Ce tableau très dessiné témoigne d’une technique exceptionnellement raffinée.

Dou et ses disciples de Leyde, semblent avoir délibérément élaboré ce style, stimulés à l’origine, par les œuvres anciennes de Rembrandt, plus volontairement réalistes.

 

Analyse

Dans Le charlatan Dou s’interroge sur son identité artistique.

À première vue, le tableau représente une scène comique traditionnelle : un public naïf écoute un faux médecin tentant d’écouler sa marchandise.

Les motifs familiers de la femme nettoyant les fesses d’un nourrisson et de l’arbre mort, au premier plan, indiquent l’inutilité de ces remèdes et de toutes tentatives pour se soustraire à la mort.

Dou se représente dans l’embrasure de la fenêtre située derrière le charlatan, calquant son identité professionnelle sur la sienne.

Le peintre est un illusionniste, une sorte de charlatan

Des textes, comiques et sérieux, évoquaient l’aspect trompeur de l’art, sa capacité à convaincre le spectateur de la réalité de ses représentations.

Dou peint une exhibition théâtrale.
Le charlatan haranguant la foule est le centre de l’attention.

Le charlatan est un trompeur professionnel, abusant de la crédulité populaire en dévoyant les procédés du spectacle afin d’entretenir une illusion.
Par sa sollicitation mensongère du regard, la peinture, celle de Dou surtout, ressemblait au charlatanisme.

Exprimant cette comparaison dans son tableau mystifiant l’œil, Dou forge un art de l’illusion.

Le tableau ouvre une fenêtre imaginaire entre les personnages et les spectateurs.

La scène semble authentique en raison de la multiplicité des activités qui s’y déroulent et de l’attention dispersée des personnages.
On retrouve comme dans toutes les scènes comiques peintes, un désordre délibéré des objets, table, tonneaux, marmite, brouette, paniers…

Dou utilise une lumière rasante au sol pour mettre en valeur son désordre.

Les innombrables moyens naturalistes, souvent contradictoires, employés par les peintres, montrent que le terme « réalisme » est souvent relatif et que la signification dépend du milieu social et du genre pictural qui lui donne naissance.

La variété considérable de procédés réalistes utilisés par les peintres et les dessinateurs hollandais témoigne d’un souci naturaliste plus profond que dans le reste de l’Europe.

Deux aspects du réalisme : le rendu subtil des textures et la prédilection pour les scènes bouffonnes, s’inscrivent dans une tradition hollandaise vieille de deux siècles.

Vers 1430, Jan van Eyck appréciait déjà la finesse des textures et l’absence de traces de pinceaux. Cette prédilection pour l’illusion a été rendue possibles avec l’apparition de la peinture à l’huile.

Si le réalisme hollandais est lié à certains procédés imitatifs, il l’est surtout dû à son choix de thèmes populaires représentant des personnages, des objets, des maisons et des rues. Ce souci de véracité à la fois thématique et esthétique semble particulièrement délibéré dans les tableaux comiques où les hommes sont représentés tels quels ou caricaturés.

Le charlatan s’adresse à un public cultivé qui se sait différent des personnages stéréotypés, paysans naïfs, charlatan, que représentent le tableau.

 

Conclusion

Les tableaux de Dou sont réalistes et détaillés, voire illusionnistes.

Gerrit Dou a eu la chance d’être parrainé par deux riches mécènes, ce qui lui laissa une grande liberté dans le choix de ses sujets.
Ce n’était pas le cas de ses contemporains, conduits à se conformer à des commandes et, souvent, à s’enfermer dans une spécialité.

Dou est considéré comme le plus grand artiste de tous les temps, jusqu’au milieu du XIXe.

Époque où sa technique « fine » est à l’opposé des traits de brosse des peintres et où sa manière appliquée est à l’inverse des préoccupations qui s’attachent aux mouvements de la lumière.

Cette constatation explique pourquoi la notoriété de Dou s’estompa rapidement. D’autre part, Dou ne tarda pas à être supplanté par la découverte de Vermeer et la redécouverte de Rembrandt.