Mois : juillet 2024
le jeu – Berthe Morisot
le jardin – Berthe Morisot
Grand dragon rouge – 1805-1810 – W.Blake
Conservé à la National Gallery of Art de Washington D.C.
Grand dragon rouge et femme vêtue de soleil – 1803 – W.Blake
Conservé au Brooklyn Museum à New-York
La parabole des vierges sages et folles – 1799-1800 – W.Blake
Conservé au Metropolitan Museum of Art, à New-York
La création d’ Adam – William Blake 1795
Conservé à la Tate Gallery à Londres
La mer du temps et de l’espace – 1821 – William Blake
William Blake (1757-1827)
La mer du temps et de l’espace
1821
Estampe en couleurs rehaussée à l’encre et à l’aquarelle sur papier
Dimensions approximatives : 57 x 61 cm
Collection particulière
Le peintre
Fils d’un bonnetier, William Blake est né à Londres où il a vécu la plus grande partie de sa vie.
Blake écrit ses premiers poèmes à l’âge de 12 ans. Ses premiers poèmes publiés le sont en 1783, il s’agit « d’Esquisses poétiques ».
Enfant il est placé dans une école d’art, avant d’être placé à 14 ans en apprentissage chez le graveur James Basire. Puis il étudie à la Royal Academy.
Il rejette l’enseignement de Sir Joshua Reynolds, directeur de l’Académie dont il est l’élève en 1779.
En 1784, avec l’héritage de son père, il ouvre une petite maison d’édition d’estampes.
Aidé de son épouse, il imprime ses propres livres de poésie selon le procédé de la gravure enluminée, où les textes et les décors sont gravés à l’acide, les couleurs rajoutées à la main.
À la fois artiste et artisan, il faisait tout lui-même : il possédait ses propres presses, éditait ses livres et imprimait ses gravures.
William Blake est un graveur, un peintre, un écrivain et le théologien d’un panthéon qu’il a imaginé.
Il est attentif aux créateurs de son temps.
Toujours à contre-courant, son imaginaire le porte plus vers le gothique que vers le néo-classicisme à la mode.
Il choisit la poésie plastique du Moyen-Âge. Il incarne l’inspiration hallucinée propre au romantisme anglais.
Une vie intérieure puissante, une simplicité mystérieuse guide son pinceau.
C’est le choc des contraires qui provoque le surgissement de la force créatrice.
Blake est dans une recherche mystique permanente.
Blake doit une bonne part de sa célébrité à ses manuscrits enluminés dont le graphisme tendu est rehaussé d’un chromatisme puissant.
Nourri des pages les plus héroïques de la Bible ou de Shakespeare comme de Milton et de la Divine comédie de Dante, Blake a également puisé son inspiration chez Michel-Ange et dans les noirceurs éblouissantes de son ami Füssli.
D’une culture immense Blake n’était pas un suiveur.
Sa vaste culture philosophique, artistique et littéraire a enrichit l’idéal mystique et philosophique de toute sa vie.
Déterminante sur ses contemporains, son influence est également indéniable chez les préraphaélites, mais aussi sur la modernité avec André Gide, André Breton et les surréalistes.
Le tableau
Ce tableau a été découvert tardivement en 1947, retrouvé sur le dessus d’un placard, dans une maison de campagne du Devon, en Angleterre.
Composition
Cette composition met en évidence la perfection du trait associée à la puissance évocatrice.
Cette scène montre des nymphes, des naïades, un char fendant les flots tirés par quatre chevaux, un temple classique et un second char dans les nuées tiré également par quatre chevaux fougueux.
L’homme, légèrement excentré vers la gauche, les bras tendus au-dessus des flots, accroupi, le regard accroché à celui du regardeur pourrait être Ulysse à moins que ce ne soit Blake.
Revêtu d’une robe foncé, rouge-brun, il attire l’attention du regardeur.
La femme à ses côtés serait Calypso. Cela justifierait son geste.
Trois naïades au premier plan tirent sur le fil.
A droite se trouvent les trois destins, Clotho, Lachesis et Atropos, qui tournent, mesurent et coupent le fil de la vie et déterminent le destin de l’homme.
Apollon incarnant le feu dort à côté de son char, ses accompagnateurs aussi ; ils sont sur un nuage dans le ciel.
Blake a probablement reproduit l’île d’Ithaque avec un temple grec (en haut à droite de la composition), un bosquet, des nymphes et des naïades.
C’est ainsi qu’Homère décrit l’île dans son Odyssée au livre XIII.
Dans l’optique mystique et dans celle de Blake, la vie est d’abord un processus spirituel.
Qui dit « vie » dit « mouvement » et qui dit « mouvement » dit « espace ».
La vie est le mouvement même de l’extériorisation.
La vie est par définition ce qui est hors du divin.
La vie est ce en quoi l’homme se reconnait et se connait.
Elle est le mouvement et donc la possibilité d’évolution, soit de progression, soit de déchéance dans un espace-temps distinct.
Tout ce qui prend forme subit emprisonnement et limitation, d’où l’importance, aux yeux de Blake, de la ligne qui délimite les personnages, elle est à la fois forme qui donne à voir et contour qui enferme.
Aux horizontales durent de la gauche de la composition au second plan, répondent les arabesques qui prennent naissance au premier plan et se déroulent sur la droite du tableau, délimitées par des grands arbres.
Les arabesques rebondissent sur un nuage à gauche de la composition sur le registre du haut.
Le regardeur a l’impression qu’une gigantesque arabesque enferme la mer et ses horizontales lugubres.
Ce qui donne une étonnante force expressive à ce tableau est la technique d’impression qu’utilise Blake.
Comme sa forme est déterminée par l’esprit, la matière possède un statut paradoxal : elle est à la fois la prison opaque de la vie et l’unique support dont dispose le regardeur pour reconnaître cette vie.
Pour Blake, le regardeur est du côté de la philosophie des cinq sens ou du côté de la vision divine selon qu’il considère la matière comme seule réalité, obscure et opaque, ou comme possible témoin de l’existence de la lumière.
Le pouvoir évocateur de ce tableau échappe aux modes et aux époques.
Analyse
Oops ! trois petits pas à reculons cette semaine parce que j’avais trop envie de vous parler de Raison et Folie : L’exploration de l’irrationnel et particulièrement de William Blake.
Petit tour d’horizon
Durant la période romantique (fin du XVIIIe au milieu de XIXe), l’exploration de la raison et de la folie fut intimement liée au concept du sublime, qui mêlait douleur, plaisir et terreur et conférait une certaine majesté à l’horreur, à la laideur et à la folie.
Les tableaux et gravures, dérangeants mais imaginatifs, qui émergeaient de cette sensibilité ne connaissaient pas d’équivalent dans les arts visuels, bien que l’intérêt des surréalistes pour l’irrationnel fût parfois considéré comme romantique.
Les artistes romantiques, fascinés par les luttes psychologiques de l’homme, consacrèrent une grande part de leur œuvre à l’exploration du monde macabre et mystérieux du subconscient.
Des tableaux sombres et dérangeants et des images complexes virent le jour, parmi lesquels Le cauchemar -1781 de Füssli ou Le sommeil de la raison engendre des monstres -1799 de Goya.
En Angleterre, Johan Heinrich Füssli et William Blake, tous deux écrivains, graveurs et peintres, furent les principaux représentants de cette forme d’art féconde.
Les sources de Blake étaient d’une grande diversité et son œuvre fit l’objet de nombreuses interprétations, mais l’artiste s’inspira manifestement des œuvres d’Ossian, de Shakespeare et de Dante, ainsi que de John Milton et de la Bible. Peu à peu, Blake construisit sa propre mythologie d’images négatives renvoyant à la déchéance de la race humaine, comme dans la Création d’Adam -1795 et La maison de la mort -1795.
I- Est-il possible de comprendre la peinture de William Blake sans avoir lu ses écrits ?
William Blake est un génie d’une singularité absolue, un génie solitaire, excentrique, visionnaire mais d’une puissance et d’une complexité immense.
Un créateur qui invente une œuvre poétique et plastique sans équivalent dans l’extraordinaire tumulte du Romantisme européen dont il est l’une des plus singulières figures.
Son œuvre mystique dénonce et surmonte les oppositions entre matière et esprit.
Blake est une peintre avec une exigence artistique, que rien ni personne, ni le snobisme des modes qu’il a dénoncés avant tout le monde, ni les moqueries des médiocres, n’a pu faire reculer de sa mission.
Blake demande au regardeur qui contemple ses œuvres une grande exigence.
A/ Pour Blake, la fonction principale du monde matériel est d’orienter le regardeur vers une autre dimension du réel.
Ce monde est le point d’articulation fondamental qui unit les opposés :
Entre la chute et l’ascension, entre l’obscurité et la lueur, entre l’enfermement et la libération, la cécité et la vision, les tendances égoïstes d’une vie définie en termes purement matériels et l’amour de la vie spirituelle.
Dans un but mystique, Blake définit un nouveau concept, un état mental qui est une étape particulière de progression spirituelle. Le cheminement spirituel trouve un mouvement ascensionnel qui le conduit à sa source.
Pour Blake, le but de ce cheminement est la constitution pour l’homme, d’une vie où formes et lumière sont réconciliées.
La lumière échappe à toute saisie par la forme, comme le montre les scientifiques du domaine quantique, étant à la fois onde et particules, la lumière par définition, n’a pas de forme au sens physique du terme.
Blake évoque la vie qui sert la lumière et non, l’individu terrestre.
L’aboutissement est la reconnaissance de la Vie Divine.
Blake appelle à l’éveil spirituel dans laquelle toute mort individuelle, est transcendée dans une communion spirituelle qui tend à l’éternité.
À l’image d’un Lautréamont ou d’un Artaud, Blake s’est mis à l’écoute de ce que, cent cinquante ans plus tard, Jung nommera l’inconscient collectif.
Blake ouvre un champ où Freud, Jung, Kafka viendront plus tard confirmer le bien-fondé de son dire.
Blake estimait que les formes parfaites ne peuvent être reproduites que d’après les visions intérieures et non pas d’après l’observation de la nature.
B/ Son œuvre graphique et poétique est riche d’une symbolique où se réfléchissent les derniers feux des Lumières et la secrète alchimie d’une société britannique en pleine métamorphose.
Blake, intransigeant, excentrique, idéaliste, proclame avec véhémence son exaltation poétique.
Vie-Œuvre-Idéal, une sorte d’entité mystique au sein de laquelle Blake a créé l’image vivante.
Blake écrit :
« Nul oiseau ne vole trop haut s’il vole de ses propres ailes.
Le fou, s’il persévérait dans sa folie, deviendrait sage.
Les joies fécondent. Les peines accouchent.
La citerne contient, la fontaine déborde.
Jamais l’aigle ne perdit plus de temps que lorsqu’il se laisse instruire par le corbeau.
On ne sait jamais ce qu’il suffit si l’on n’a pas connu l’excès. »
II- Le titre du tableau : La mer du temps et de l’espace, évoque clairement le monde imaginaire où l’artiste aime mettre en scène des personnages célèbres.
Ce tableau transporte le regardeur dans un univers nouveau qui défie notre regard et notre compréhension.
A/ L’image définit l’esthétique blakienne.
Les personnages sont peints dans des attitudes de rebondissement ou de chute, de joie ou de défaite.
Le personnage central qui focalise notre attention avec sa robe brun-rouge serait-il Ulysse ?
Les personnages de Blake appartiennent à une mythologie qui lui est propre.
Prisonniers du monde de l’expérience, les êtres humains aspirent à connaître le bonheur sur terre. Le personnage accroupi exprime cela.
Blake proclame son indépendance de pensée.
Blake combat pour délivrer l’homme de toutes les contraintes imposées par des principes rationalistes qui étouffent l’énergie créatrice générée par nos corps.
Le personnage accroupi est le cosmos.
Si la dimension sacrée et sublime de nos cinq sens échappe au regardeur c’est que nous sommes victimes de la tyrannie de la raison. Le regardeur vit replié sur lui-même prisonnier d’un mode opaque et matériel parce qu’il n’a pas su développer les aptitudes qui sont en lui, dixit Blake.
Accroupi, le personnage refuse l’énergie qui l’habite. Les bras tendus, il est comme rétréci.
Il accroche notre regard et nous interpelle. Il est pétrifié.
Le dieu Apollon isolé sur son nuage, dort. Les chevaux de son attelage piaffant suggèrent la menace de la foudre.
Son sommeil retient le souffle de l’orage.
B/ Blake veut que l’homme se réconcilie avec son désir.
Aux représentations des corps statiques fermés à la vie -Ulysse et Calypso, aux constructions géométriques qui emprisonnent les mouvements succèdent des arabesques de joie.
Aux personnages immobiles Ulysse et Calypso, encrés sur des lignes horizontales, répond la légèreté de la partie supérieure et la danse des nymphes. Tout est aéré et tout virevolte.
C’est une danse libératoire et gracieuse.
Les nymphes ont des corps aux lignes fluides et des visages aux traits fins.
Cette souplesse des corps exprime la libération des sens.
C/ Le postulat de Blake : sans contraires, point de progression.
Attraction et répulsion, raison et énergie, sont nécessaires à l’existence humaine.
Les corps des nymphes accèdent à un niveau de conscience et sont transformés par le pouvoir de l’imagination.
Ils rayonnent et disent la primauté de l’esprit sur la matière.
L’énergie contenu par le physique puissant de l’homme accroupi est prête à bondir loin de la pesanteur qui le maintient au sol.
Mais la libération souhaitée de l’âme et du corps et l’espérance que cela représente échappent à l’homme Ulysse, trompé par trop d’illusions : Calypso, ne parvient pas à quitter sa condition mortelle.
La finitude de l’homme coexiste toujours avec son infinitude.
Blake place la gravure de ses corps dans un environnement à la fois temporel et éternel.
Les personnages de La mer du temps et de l’espace sont l’incarnation des contraires, ils ont réconcilié en eux esprit, corps et espace, énergie et raison. Et Ulysse devient Blake.
Conclusion
Son ardeur imaginative, son lyrisme, l’ont condamné à n’avoir de renommée que posthume.
Ce sont les poètes symbolistes à la fin du XIXe, puis plus tard les surréalistes, qui vont révéler ce génie visionnaire au public anglais d’abord puis au public européen.
Blake a été qualifié de préromantique parce qu’il rejetait le style littéraire et la pensée néoclassique ; il fut en butte toute sa vie avec les valeurs de l’Angleterre du XVIIIe.
William Blake : « L’inspiration et la vision étaient, sont et seront toujours, j’espère, mon Élément, mon Refuge éternel. »
William Blake tient une place essentielle.
Ce graveur demeure l’œil sublime et halluciné happant le regardeur dans un saisissement esthétique.
Avec Le génie visionnaire du romantisme anglais, écrit de Blake, Martin Butlin le considère comme « l’un des héritiers les plus singulier du mouvement néoclassique qui domina l’art européen de la fin du XVIIIe au début du XIXe. » si Blake admire le génie de Dante, il en combat la vision punitive et déploiera dans ses gravures sa perception personnelle du Bien et du Mal. Comme Milton, Dante était un poète dont Blake ne partageait pas du tout les conceptions religieuses, mais qui stimulait son imagination.
Blake est un créateur de la plus haute nécessité.
Cette dualité de la vision de Blake, évoque la célèbre tirade d’Hamlet, dans laquelle Shakespeare envisage lui-même deux lectures contradictoires du monde : To be suggère qu’il faut se battre, tandis que le Not to be, implique que la véritable vie est ailleurs, dans quelque dimension spirituelle, constituant la voie de la résignation.
Cette alternative correspond, à l’opposition idéologique radicale entre une conception empiriste et donc matérialiste du monde et de la vie, et une visée idéaliste, dans laquelle le savoir est lié soit aux idées innées, soit à la foi.
Sources :
Patrick Menneteau chez Persée : Vie, formes et lumière dans l’œuvre de William Blake –1999
Patrick Menneteau chez Persée : William Blake : L’allégorie, l’exemple et le sentiment de vérité -1995
Régis Ritz : William Blake, peintre, poète visionnaire : beauté et grandeur de l’homme -2015