Place de la Concorde -1875 Edgar Degas

Edgar Degas (1834-1917)

 

Place de la Concorde

1875

Huile sur toile

Dim 78,4 x 117,4 cm

Conservée au musée de l’Ermitage à Saint Pétersbourg

 

Le peintre

Degas naît dans une grande famille noble de banquiers. Son père, amateur d’art, permet à son fils d’aménager un atelier dans sa maison.
En 1855, il intègre la prestigieuse école des Beaux-Arts, alors sous la direction de Lamothe, un ancien élève d’Ingres. Dans cette école il explore différentes techniques, dont l’huile, le pastel, la craie, le monotype, la photographie et la sculpture sur cire. C’est la ligne et la composition académique qui ont sa préférence et jalonnent ces tableaux. Sa grande maîtrise du dessin le distinguera de tous les peintres de sa génération.
En 1859, il voyage en Italie, à Florence, à Naples et à Rome. Il étudie avec beaucoup d’intérêt l’art ancien.
Degas est un habitué du Louvre où il réalise six cents copies de maîtres.
C’est un peintre de figures, il ne s’intéresse jamais au paysage.
Entre 1865 et 1870, il exposa plusieurs tableaux historiques.
Après la guerre de 1870, il se rendit à la Nouvelle Orléans, en Louisiane où des parents travaillaient dans l’industrie cotonnière. Le bureau de coton à la Nouvelle-Orléans -1873 témoigne de son intérêt grandissant pour les sujets modernes. Ce tableau ne se conforme ni aux conventions du portrait ni à celle de la peinture de genre. Ce tableau est le premier tableau acquis par un musée et le seul de Degas acheté par un musée de son vivant.
Degas s’intéresse aux sujets de la vie contemporaine.
Ses toiles représentent les danseuses, les cafés le soir, les musiciens.

 

Le tableau

La toile représente des amis de Degas marchant sur la place de la Concorde à Paris, le vicomte Louis Lepic avec ses deux filles et l’écrivain Ludovic Halévy.

Le tableau a premièrement appartenu au Vicomte Lepic, puis en 1897, c’est le galeriste Paul Duran-Ruelle qui l’acquiert et le revend au collectionneur allemand Otto Gerstenberg en 1911.

Après la seconde guerre mondiale, l’armée soviétique le transporta dans les réserves de l’Ermitage.

La place de la Concorde représente l’épicentre dans l’ordre politique et symbolique français.

 

Composition

Le tableau représente la place monumentale de la Concorde.

Dans le fond du tableau, encerclant la toile et fermant la perspective, se dresse une architecture diverse, de gauche à droite :
Un bout de la façade de l’Hôtel de la Marine, les immeubles de la rue de Rivoli avec leurs enfilades d’arcades, puis le mur bordant le jardin des Tuileries (un bandeau étroit) et une de ses portes d’accès.
L’ornement principal de la place, l’Obélisque de Louxor, est absent.

Les lampadaires à colonnes rostrales rythment la composition et la stabilisent. Ils offrent des points d’accroche dans la profondeur et à la surface du champ pictural.

Un immense espace vide repousse les personnages au bord inférieur de la toile, au premier plan. Les personnages sont coupés à mi-corps, représentés de trois-quarts et tournés dans des directions différentes.
Le vicomte paraît désinvolte et distrait alors que ses filles Eylau et Jeanine, sont attentives et posées.
Eylau porte un manteau croisé et tient un chien en laisse.
C’est un lévrier, un chien de race avec pédigrée, peint de profil, dans une pose statique et noble, il semble encré dans le sol. Son immobilité et la rigidité de sa posture ont quelque chose d’égyptien.
Ici la noblesse du lévrier est dissociée du Vicomte.
La représentation de Degas est marquée par la figure du chien de Pisanello (cf. le Codex Vallardi : La nature par Pisanello, contient cinq dessins de lévriers) qui est un modèle d’immobilité et de raideur.
L’animal est le seul à s’intégrer dans la perspective de la toile.

L’observateur, l’écrivain, occupe toute la hauteur et borne la toile sur la gauche de la composition.

Un fiacre et un cavalier, à gauche de la toile, traversent l’espace vide et marquent son axe.

Dans le prolongement du fiacre, une fontaine fantomatique, semble flotter dans l’espace pictural.

Degas travaille l’effet d’aplatissement de l’espace, il fragmente ses formes.
La plus grande partie de l’espace est vide.

Un instant capturé comme sur une photographie.

 

Analyse

I – Degas n’est pas impressionniste à 100/100

Insatisfait des limites liées au passé ou sensible aux changements dans l’art contemporain, Degas se tourna vers la capture de la vie quotidienne telle qu’elle se déroulait dans son milieu, le Paris bourgeois.

Degas est l’un des plus actifs organisateurs du mouvement impressionniste, bien que ses conceptions artistiques soient différentes.
Edgar Degas a participé à sept des huit expositions indépendantes organisées par les impressionnistes.

Cependant contrairement aux préoccupations de ses confrères impressionnistes Degas ne s’intéresse pas aux effets lumineux et atmosphériques.
Il préféra toujours travailler dans son atelier. Il ne partagea pas leur goût pour le plein air, ni leur recherche sur la lumière naturelle.
Il préfère la lumière artificielle, comme celle des lampes à gaz.

Degas défendait le droit de l’artiste à traduire sa volonté artistique.
Sur ce point il est en désaccord avec les impressionnistes qui s’attachent à la spontanéité de la peinture sur le motif.

Il partage néanmoins leur intérêt pour la modernité.
Modernité que l’on retrouve dans ses perspectives inhabituelles et ses cadrages abrupts suggérant le rythme rapide de la vie saisi dans un regard fugitif.
Place de la Concorde en est une démonstration.

II – Ce tableau est un instantané, en rupture avec le point de vue fixe des œuvres passées.

Ce tableau est un remarquable exemple de la vision moderne qui caractérise l’impressionnisme, avec sa perspective zigzaguant et son cadrage arbitraire.

Le Vicomte Lepic et ses deux filles, ainsi qu’un observateur en haut de forme, sur le bord gauche de la toile, semblent représentés, comme aperçus en passant.

La hauteur de l’horizon avance les personnages davantage encore, mais leurs regards divergents -les enfants regardent dans des directions opposées.

Degas voudrait-il souligner le caractère anonyme et décousu de la vie citadine ou, se contente-t-il d’enregistrer des événements extérieurs de façon désinvolte…

Le peintre Max Lieberman, auteur d’une monographie sur Degas publiée en 1922, « goutait le naturalisme caustique et le dédain manifesté pour la tradition académique » de Place de la Concorde

Traité comme une photographie, la toile dégage une impression de nonchalance pour les uns et de malaise étroitement lié à l’histoire de la place, pour les autres.

La toile est dominée par l’absence et le vide.


III – L’influence des estampes japonaises dans ce tableau est manifeste.

Les estampes apportent leurs perspectives renversées, leurs points de vue inhabituels et leur mode de construction spatial comprimé.
Le proche et le lointain sont rassemblés de façon inattendue et audacieuse par l’occlusion du plan intermédiaire, attirant l’attention sur la surface de l’image et ainsi l’artifice de son exécution.

Degas adapte librement les éléments d’estampes japonaises.
Sa toile est plus sombre, plus floue et mystérieuses que les scènes japonaises au graphisme pointu et aux couleurs délavées.

Sous l’influence des japonais, Degas commença à peindre des actrices, des blanchisseuses et des danseuses dans des cadres séduisants et troublants.
Quand il peint ses danseuses, elles sont plus orientales, avec des angles plus osés.
Dans La classe de danse, il utilise l’espace vide du plancher pour diviser la classe entre les danseuses à l’entrainement, les danseuses se relaxant et une matrone lisant le journal.


IV – Degas fut aussi un collectionneur passionné

Il rassembla des œuvres de Gauguin, de Cézanne, de Whistler et Manet ainsi que d’artistes plus anciens comme Corot, Delacroix et Ingres.

L’éclectisme de sa collection reflète la diversité des influences et des idées exprimées dans son œuvre, tel le dialogue entre la linéarité d’Ingres et le collorisme de Delacroix.

Et il collectionnait les marionnettes napolitaines.


V – à partir des années 1880 la peinture de Degas multiplia les auto-allusions.

La longue immersion du peintre dans l’art classique et les néoclassiques comme Ingres eut un effet durable sur l’importance qu’il accordait au dessin, à la forme et à la composition, ainsi que sur la prééminence qu’il accordait au nu féminin.

Ingres avait dit à Degas :
« Dessinez des lignes, jeune homme, beaucoup de lignes ».

Il prend les baigneuses ou les danseuses pour thèmes récurrents.
Le caractère tactile, la répétition et l’étrécissement du champ de vision, caractérisent les séries qu’il réalisa durant la dernière phase de sa carrière.

Sa vue déclina peu à peu, mais si les personnages semblent en suspens, et furent jugés disgracieux par des critiques de l’époque comme aujourd’hui, il est difficile de déterminer si ce phénomène provient de ses troubles visuels ou s’il procède de choix esthétiques conscients.

 

Conclusion

Tous les critiques s’accordent à dire que Degas est le meilleur dessinateur de tous les peintres de sa génération.

Degas eut la chance de bénéficier de  la richesse de sa famille , pendant la majeure partie de sa carrière.
Il se fit remarquer du public en tant que portraitiste et se constitua un groupe de mécènes qui achetaient ses œuvres.

Degas avait un esprit, il charmait ou cassait.

Véronique Bouruet Aubertot, historienne d’art contemporaine, auteur d’un livre Tout sur l’Impressionnisme -Nov. 2016, résume le caractère de Degas :

« À la fois bourru et sensible, arrogant et perspicace, intransigeant et inquiet, Edgar Degas était un homme de paradoxes…il entretenait des amitiés fidèles et se tenait farouchement indépendant des milieux officiels et des modes. »