Le Havre, bateaux de pêche sortant du port – 1874 – Claude Monet

 

Claude Monet (1840-1926)

 

Le Havre, bateaux de pêche sortant du port

1874

Huile sur toile
Dim 60 x 101 cm

Collection particulière

 

En avril 1874, avec le soutien du marchand d’art, Paul Durand-Ruel, la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs expose ses œuvres au 35, boulevard des Capucines, dans l’ancien atelier du photographe Félix Nadar. Quelques membres furent remarqués par la presse de l’époque, avant de se faire connaître sous le nom d’impressionnistes.

Les trente artistes participant à l’exposition de 1874, cherchaient à échapper à la hiérarchie et aux restrictions imposées par le jury du Salon Officiel, qui refusait chaque année de nombreux tableaux.

Du fait de leur rejet du Salon Officiel, les exposants sont apparentés à des radicaux politiques. La presse est en grande majorité, négative.
L’exposition n’a pas le succès attendu.

Parmi ces artistes, il y avait Eugène Boudin, Paul Cézanne, Edgar Degas, Claude Monet, Berthe Morisot, Camille Pissarro, Auguste Renoir, Henri Rouart, Alfred Sisley.

Suivirent sept expositions semblables au cours des douze années suivantes.
Elles révélèrent certaines des œuvres les plus novatrices et audacieuses du XIXe.

 

Le peintre

Claude Monet a passé une grande partie de son enfance au Havre où sa famille s’installa en 1845.
Adolescent il connut un certain succès avec des caricatures qu’il exposait dans le magasin d’articles pour peintres où Eugène Boudin venait s’approvisionner. Eugène Boudin remarqua le jeune Monet et l’initia à la peinture en extérieur.
En 1859 il entre dans l’atelier de Charles Gleyre, où il rencontre Auguste Renoir. Monet et ses amis préfèrent aller peindre dans la forêt de Fontainebleau, sur les terres des peintres de l’école de Barbizon.
En 1870 il découvre Turner à Londres.
En 1872 il s’installe à Argenteuil et devient le chef de file incontesté de l’impressionnisme.
Cette même année il peint Impression soleil levant.
Il participe aux quatre premières expositions du groupe 1874, 1876, 1877 et 1879.
À partir de 1881, Durand-Ruel lui achète ses tableaux et sa situation financière s’améliore.
Monet travaille ses couleurs, son style évolue.
En 1890 il achète la propriété de Giverny. Et entame ses séries, Les Meules-1891, Les peupliers -1892, et la Cathédrale de Rouen -1892-94
À partir de 1893, il se consacre aux séries des Nymphéas.
Il participe au Salon de 1909, huitième et dernière exposition du groupe.
Monet affecté par les décès successifs de sa femme et de son fils et épuisé, reste cinq années sans peindre. Il souffre de cataracte. En 1911, il écrit à un ami : « Il y a trois jours, j’ai constaté avec terreur que je ne voyais plus de l’œil droit. »
Monet reprend ses pinceaux en 1914 et se consacre à une seconde série de Nymphéas qu’il offrira à l’état pour fêter l’armistice et qui seront accrochés à l’Orangerie, selon ses plans, qu’après sa mort, en 1926.
En 1922 il cesse de peindre, il est pratiquement aveugle.
Sous la pression de son ami Georges Clemenceau il consent à être opéré de l’œil droit et recommence à peindre.
« Je vois le bleu, je ne vois plus le rouge, je ne vois plus le jaune… » Malgré ce handicap, Monet peindra jusqu’en 1926, quelques mois avant sa mort.

 

Le tableau

Au début de sa carrière, Monet représente plusieurs fois sa ville natale du Havre.
Il peint le port du Havre de la manière lâche qui deviendra sa marque de fabrique.

Ce paysage marin arbore des tonalités argentées qui révèlent l’influence d’Eugène Boudin et de Camille Corot.

 

Composition

Le tableau est une vue plongeante du port du Havre.
Monet observe la scène d’une fenêtre.

Les personnages éparpillés par petits groupes paraissent minuscules.

Monet peint la lumière et l’atmosphère de cette vue maritime à un moment précis de la journée, le moment où les bateaux quittent le port.

Les lignes ondulent et évitent la délimitation. Avec l’aide de la juxtaposition des touches de couleurs, les lignes démarquent les différents plans.
Le tableau se compose de trois plans.

Au premier plan un quai très fréquenté.

Au second plan, le bras de mer du port sur lequel sont répartis un grand nombre de bateaux en partance pour le large

Au troisième plan, sur la gauche du tableau, une barrière de bâtiments au centre, l’horizon est bouché par les bateaux et à l’extrême droite une jetée sur laquelle se dresse la capitainerie, ferme la composition.

Ces trois plans occupent les deux tiers du tableau, le ciel ferme la composition et occupe le tiers supérieur du tableau.

Le quai traverse le tableau en diagonale de la droite vers la gauche, il est piqué de petites virgules sombres, ce sont les personnages.

Le bras de mer délimité par le quai sur la gauche et le fond du tableau et une jetée sur la droite du tableau, est en effervescence.

De nombreux bateaux s’apprêtent à quitter le port ; leurs hauts mâts dressés toute voile dehors forment un jeu de lignes verticales qui, plantées dans une composition où domine l’horizontalité, apportent de la vie à la scène.

La répartition des bateaux sur l’eau suit les lois de la perspective et marque la profondeur du tableau.

La ligne d’horizon a disparu dans la brume.

Toute la composition baigne dans une douce lumière filtrée par les nombreux nuages qui tissent le ciel.

Les couleurs diluées ou en glacis, sont posées par petites touches légères ou empâtements fins ; Monet module ses couleurs en mélangeant des pigments vifs avec du blanc, il harmonise sa palette autour des bleus, des gris et des roses qui virent au violet dans le ciel et se fondent avec de la terre de sienne au premier plan.

 

Analyse

Monet : « La couleur est mon obsession quotidienne, ma joie et mon tourment. »

Le principe de Monet peindre en plein air et en utilisant une touche fragmentée et juxtaposée de couleurs souvent pures, deviendra celui des impressionnistes.

Monet utilise la couleur pour définir le motif, sans avoir recours à la ligne. La rue Montorgueil peinte quatre ans après Le Havre, bateaux de pêche sortant du port, en 1878, illustre parfaitement ce précepte.

L’eau, la mer et le port du havre ont une puissance d’évocation qui inspirent Monet.

Monet a l’habitude de peindre ce qu’il voit. Et ce qu’il voit est son ressenti.
Monet recherche l’impression vraie.

Il calque son pinceau sur sa sensation.
L’énergie, l’assurance et la légèreté de sa touche font disparaître la ligne d’horizon au profit de la brume et des reflets.
Ses multiples empâtements superposés ont la fluidité des éléments en mouvement.

Sa vision du monde passe par la recherche du rendu de la lumière.

Monet se préoccupe dans ce tableau des reflets entre le ciel et l’eau, entre les nuages et la brume.

Monet a la volonté de restituer l’atmosphère du port.
Il peint tout ce qui bouge avec virtuosité, le vent dans les voiles, les clapotis de l’eau, la brume dans le ciel.
Il fait vibrer l’air et palpiter la lumière.

Le peintre donne une matière à ce qu’il représente

Les couleurs, les mélanges de bleus et de blancs, rendent le volume, la profondeur et la lumière.
La couleur bleue domine la toile et pétille.

Notre regard ricoche sur l’eau.

Mallarmé écrit : « Claude Monet aime l’eau, c’est son don spécial d’en représenter la mobilité et la transparence, eau de mer ou de rivière, grise et monotone, ou de la couleur du ciel. »

Monet s’efforce de saisir la lumière sur la surface de l’eau et sa métamorphose sous l’effet de la brume.

Les éléments figuratifs sont anecdotiques.
Les personnages, les abords du quai, les barques, sont représentés à la seule fin de justifier le travail sur les différents effets de la lumière.

Viendront quelques années plus tard, les tableaux de Londres et de la Tamise que Monet peindra en automne ou en hiver.

Entre la mer et Monet s’interpose les tableaux de Turner et de Whistler qui comme lui ont saisi l’atmosphère brumeuse et romantique de Londres.

Les bâtiments qui longent le quai sont imprécis ils se diluent dans la brume. Plus tard, dans ses tableaux vénitiens, les architectures seront réduites à des apparitions jusqu’à l’irréalité.

Où s’arrête le bras de mer où commence le ciel, la brume escamote les repères.

L’horizon qui disparaîtra dans ses séries de Nymphéas se dissout ici dans le ciel.

Dans ce tableau Monet a réussi avec sa perception de la lumière à nous transmettre la sensation du froid, de l’humidité, de l’air du port.

C’est une atmosphère d’hiver et les bateaux quittent le port.

 

Conclusion

Monet a très vite oublié la couleur noire, pour obtenir une apparente noirceur, il combinait des bleus, des verts et des rouges.

Ce parti pris d’éviter l’emploi du noir fut respecté par son ami Georges Clemenceau le jour de son enterrement. Clemenceau retira le drap noir qui recouvrait le cercueil et le remplaça par une étoffe aux couleurs des fleurs que Monet aimait pour accomplir le chemin de la maison à l’église.

Ses derniers tableaux sont dépouillés de leurs repères spatiaux.
Le ciel puis l’horizon disparaissent.
Les nymphéas se confondent dans une infinité de reflets.
Le regard du peintre ne se pose plus que sur la surface de l’eau.

L’espace réel disparaît au profit de la toile qui devient un espace en soi. 

Les Nymphéas marquent esthétiquement l’entrée de Monet dans le XXe.

Ses dernières œuvres, par leur renoncement au sujet portent en elles la prémonition de l’abstraction.

Parmi les artistes débiteurs de ses innovations, il y a Derain, Joan Mitchell, Sam Francis, Roy Lichtenstein, Gerhard Richter et Olafur Eliasson.