Pietà de Villeneuve-lès-Avignon – 1455 Enguerrand Quarton

 

Enguerrand Quarton (1420-1466)

 

Pietà de Villeneuve-lès-Avignon

Vers 1455
Huile et or sur panneau
Dim 163 x 218 cm

Conservé au musée du Louvre

 

Si l’identité de l’artiste ayant peint cette Pietà fait débat, la plupart des spécialistes l’attribuent à Enguerrand Quarton, personnage clé de la peinture provençale.
La Provence se trouvant à mi-chemin du nord et du sud de l’Europe. On note des influences du début de la Renaissance italienne et des peintres flamands.
La tenue du donateur agenouillé à gauche du tableau suggère qu’il s’agit d’un chanoine, peut-être Jean de Montagnac.
Le fond doré souligne la qualité visionnaire du tableau, en contraste avec le traitement plus innovant des figures monumentales.
L’inscription qui borde le panneau déclare : « Ô vous tous qui passez par ce chemin, regardez et voyez s’il est douleur pareille à la mienne ».

 

Enguerrand Quarton

Le peintre est originaire du nord de la France, de Laon en Picardie. Il travaille en Provence entre 1444 et 1466. Ses tableaux les plus célèbres sont
Le couronnement de la Vierge (1453-54) conservé au musée Pierre de Luxembourg à Villeneuve-lès-Avignon
La Vierge de Miséricorde (1452) conservé au musée Condé à Chantilly.
Pietà de Villeneuve-lès-Avignon (1455) conservé au musée du Louvre

 

Le tableau

Au centre la vierge, les traits marqués par la douleur, les mains jointes, porte sur ses genoux, le corps crucifié du Christ.
Saint Jean l’Évangéliste, jeune-homme aux cheveux longs, agenouillé à la tête du Christ, retire avec précaution sa couronne d’épines.
Marie-Madeleine, tenant un vase de parfum -son attribut, sèche ses larmes avec les revers de son manteau.
Le donateur, figuré à la même échelle que les personnages sacrés, porte l’habit du chanoine. C’est un portrait réaliste, son visage est émacié, ses cheveux sont blancs.

 

Composition

La composition frappe le spectateur par sa puissance expressive, son ordonnance monumentale et l’élégance de ses rythmes linéaires.

Les personnages occupant le premier plan se situent dans un espace clairement défini. Le volume des corps et des visages, modelés par le contraste des ombres et des lumières se détachent avec énergie. Dans un même mouvement saint Jean et Marie Madeleine se penchent vers Marie.
Les lignes de force s’équilibrent.
Le corps arqué du Christ au centre de la composition répond aux visages penchés, le bras droit tombant suivant la courbure de ses jambes.

Au second plan, sur la gauche du tableau, définissant l’horizon, on distingue une ville fortifiée avec des minarets et des toits en coupoles, c’est la ville de Jérusalem revisitée (les remparts rappellent la ville d’Avignon) ; sur la droite du tableau les montagnes évoquent les monts de Provence (on pense au mont Ventoux)
Au-delà de la ligne d’horizon le fond est couvert d’or figurant la lumière divine.

Le naturalisme du traitement du paysage se retrouve dans le traitement des personnages.
Sur le corps du Christ apparaissent les marques de la flagellation.
Le donateur a la peau tannée et ridée.

 

Analyse

Le style personnel d’Enguerrand Quarton mêle un sens « aigu » du réel et une volonté décorative née de ses diverses influences

L’influence des décors des cathédrales et des ateliers d’enluminures
Avec le fond d’or, la finesse du dessin, le raffinement et la précision des gestes des personnages.
On note la délicatesse des doigts de jean l’Évangéliste retirant les épines, vu dans un autre tableau provençal, La Pietà de Tarascon (musée de Cluny)
On observe le contraste entre le corps torturé du Christ et son visage ou rien ne transparaît du supplice de la crucifixion.

L’influence du nouvel art flamand des figures des frères Van Eyck
Enguerrand Quarton est attentif aux paysages. À l’instar des flamands, il pousse très loin la représentation du réel et s’attache plus au style qu’à la réalité.
Ainsi il montre le corps raidi par la mort et l’eau qui s’échappe en petites perles translucides de la plaie au côté du Christ.

L’influence des peintres siennois, les fresquistes travaillant à Avignon
Comme ses contemporains d’Italie, il a le goût des vues plongeantes, des perspectives, du sens maîtrisé des volumes et de la structure claire et symétrique de la composition.

Enguerrand Quarton assimile ses influences mais ne les subit pas. Il les synthétise dans un regard neuf, coloré par la lumière forte de la Provence.
Il simplifie les masses et les formes, dépouille sa vision et crée son style propre.

Au XVe apparaissent les Pietà de grand format, destinées à décorer les autels des églises. La représentation de la Vierge portant sur ses genoux le corps de son fils mort est l’un des thèmes les plus répandus en Europe en peinture comme en sculpture.

Dans ce tableau, le thème concentré sur la douleur de la Vierge est associé à celui de la lamentation. La scène de la lamentation représente la Vierge et le Christ mort ainsi que les personnages qui étaient au pied de la croix : Jean l’Évangéliste et Marie-Madeleine.

Ce panneau formait à l’origine la partie centrale du retable de l’église de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon.

En 1824, la Pietà est repérée par Mérimée, inspecteur des monuments historiques.
En 1904, à l’occasion d’une exposition sur les Primitifs français organisée à Paris au Louvre, la Pietà entre dans la lumière.
En 1905, les amis du Louvre achètent le tableau pour le musée.

 

Conclusion

Au début du XVe, la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon se place dans l’évolution vers l’expression des sentiments et l’humanisation des scènes religieuses.

Au-delà du sentiment religieux, la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon continue à émouvoir.

Par son dépouillement et sa rigoureuse simplicité, ce tableau nous communique l’intensité tragique des grands chefs d’œuvre.

A la croisée du Nord et du Sud, ce tableau tout en s’inscrivant dans l’art du Moyen Âge, annonce la Renaissance qui mettra l’homme au centre du théâtre du monde