Boulevard des Capucines – 1873 – Claude Monet

Claude Monet (1840-1926)

 

Boulevard des Capucines –2ème version

1873

Huile sur toile
Dim 80,5 x 60,2 cm

Conservé au musée d’Art Nelson Atkins à Kansas City dans le Missouri, USA.

 

Le peintre

Monet expose ses premières œuvres au Salon de 1866.
Avec la révolution des tubes de peinture et l’accroissement des lignes de chemin de fer, Monet sera un des premiers artistes à peindre en plein air.
Claude Monet inaugure un nouveau style en utilisant systématiquement une touche fragmentée et juxtaposée de couleur souvent pure.
Il perfectionne son art aux côtés d’Alfred Sisley et Pierre-Auguste Renoir qui sera son meilleur ami jusqu’à la fin de sa vie.
Après un séjour à Londres pour fuir la guerre de 1870, puis un été au Pays-Bas, il s’installe à Argenteuil de 1872 à 1877. En 1873, il peint le tableau Impression soleil levant qui fera de lui le chef de file de l’impressionnisme.
Il participe aux quatre premières expositions du groupe, 1874, 1876,1877 et 1879. Monet ne participe pas aux expositions de 1880 et 1881.
Il participera à la dernière exposition des impressionnistes dominée par les pointillistes, Seurat et Signac.
Durant-Ruel lui achète régulièrement des tableaux à partir de 1881 et la situation financière du peintre s’améliore.
En 1890, il achète la propriété de Giverny. Il développe pour cette maison un véritable amour, il y restera la deuxième moitié de sa vie. Monet commence ses premières séries systématiques amorcées en 1877 avec les Gare Saint Lazare, suivront les Meules en 1891, les Peupliers en 1892 et la cathédrale de Rouen de 1892 à 1894.
En 1893, il achète le terrain adjacent à sa propriété qu’il aménage en jardin d’eau. Il cultive minutieusement son jardin et son étang japonais. Il y trouve toute son inspiration. Dans ce coin de paradis Monet reçoit des personnalités, du journaliste à l’homme politique, Georges Clemenceau devient un intime de l’artiste.
De 1899 à 1900, il réalise sa première série des Bassins aux nymphéas, suivie d’une première série de Nymphéas de 1900 à 1907.
En 1914, après un interruption de cinq ans, à la suite de tragédies personnelles, il peint une seconde série de Nymphéas. Cette seconde série fera de lui un précurseur de l’expressionisme abstrait de l’après seconde guerre mondiale.
Ses travaux culminent avec les grandes décorations qu’il offre à l’État pour fêter l’armistice et qui ne seront installés à l’Orangerie selon ses plans qu’après sa mort en 1926.

 

Le tableau

Ce tableau est le deuxième tableau de Monet sur le thème du Boulevard des Capucines peint en 1873.  Cette année-là Monet a peint deux toiles aux dimensions inversées.

Le premier est horizontal, ses dimensions sont 60 x 101 cm et celui-ci est vertical.
Le premier est conservé au musée Pouchkine à Moscou.

Ces tableaux ont été peint depuis le balcon de l’atelier du photographe Nadar, au 35 rue des Capucines.

Monet observe de haut l’animation du boulevard.
À la première exposition expressionniste d’avril 1874, Monet présente la première version, le tableau horizontal.

Quand Monet peint Paris, ce sont toujours des vues peintes d’un balcon.
En 1871, d’une fenêtre d’un café, il peint une Vue du Pont Neuf sous la pluie.
Deux ans après les Boulevard des Capucines, il peint du balcon de l’appartement de Victor Choquet rue de Rivoli, une série de Jardin des Tuileries dont Vue sur le jardin des Tuileries –1876
D’un autre balcon en 1878, Monet peint la Rue Montorgueil.

 

Composition

La vue de Monet bascule dans une composition verticale, sa première version du Boulevard des Capucines avait un cadre horizontal.

C’est une vue plongeante sur un boulevard animé de Paris, de grands immeubles à gauche de la composition, une rangée de grands arbres peu espacés au centre du boulevard, et puis à droite un grand espace où un spectacle de rue retient les passants.

Monet peint un après-midi d’hiver.
La clarté caractérise cette scène.
La clarté et les ombres construisent le tableau.
Monet a peint un temps de neige, les toits, les façades, le boulevard sont balayés de rayures blanches.

Sa composition est voilée par le froid.
Monet cherche à capter un soleil d’hiver.
La neige, le gel font le caractère du lieu, son timbre et son accent.

Sur le large trottoir, à l’aplomb du balcon où Monet a posé son chevalet, se déroule un spectacle de rue.

Les passants se sont regroupés, formant une palissade en forme de U, pour assister au spectacle.
Une première ligne ascendante de personnes va de l’angle inférieur droit de la composition à la colonne Maurice, une deuxième ligne de personnes longe les arbres et une troisième ligne descendante de personnes fait face à la première. Cette troisième ligne s’arrête à la hauteur du porteur de ballons roses. Ce rose est la note la plus brillante du tableau. Il attire les yeux du regardeur sur l’espace -de forme trapézoïdale, dégagé pour le spectacle.
L’attitude des trois personnes au centre suppose que la performance vient de s’achever. L’un d’eux porte un chapeau de clown.
Les spectateurs commencent à se disperser. Ce qui expliquerait les trous dans la première lignes de personnes. On remarque aussi dans cette ligne un regroupement de personnes dont une femme portant un manteau rouge foncé. S’adressant à eux un homme sur la droite, légèrement incliné, présente son chapeau comme s’il faisait la quête. Derrière lui il y a deux ou trois artistes dont une femme vêtue de rose, ce qui renforce cette impression.

Les passants qui commencent à se disperser après s’être arrêté pour regarder le spectacle de rue, donne un aspect austère au tableau.

Monet peint une rangée centrale d’arbres minces.
C’est une frontière entre la chaussée et le trottoir.
La chaussée et le trottoir sont deux voies de circulation distinctes.
Ces arbres traversés par la lumière conduisent la perspective du tableau.
Le brouillard envahit le fond de la toile.
Le trait est flouté, Monet tente de capter une moment, une lumière.

Son attention au cadrage et à la profondeur de champ, est palpable.

Monet capture le mouvement et l’énergie de la scène urbaine.
Le boulevard est bondé de piétons et de voitures tirées par des chevaux.
Monet traduit en touches rapides la trépidation de la vile moderne, du quartier du nouvel opéra.
Cette touche rythmée donne vie à son boulevard.

Monet peint l’effervescence de Paris : les passants, les voitures tirées par des chevaux et les arbres se mêlent dans une danse visuelle.

Monet fige sur la toiles les sensations fugitives des passants en les représentant sous forme de pattes de mouches.
Ces petites taches, ces formes imprécises, sans visage, sont chargées d’intention.
Le regardeur les voit bouger ou attendre et comprend que le spectacle de rue est fini et que les passants se dispersent ou vont se disperser.
Monet « donne le La » au regardeur qui devine le sens de la scène.

La vision de Monet est tactile, il peint à tâtons.

Les petits coups de pinceau suggèrent le mouvement de l’air, la légère brume à travers laquelle le soleil brille.

Monet travaille sa lumière en apportant une grande attention à ses couleurs :
Monet crée des teintes atténuées en mélangeant des pigments vifs, qu’il module en modifiant le mélange.
Le ton violet est obtenu en utilisant des quantités de rouge et en augmentant progressivement la quantité de bleu pour obtenir des ombres bleu verdâtre.
Le blanc est utilisé partout où les tons plus clairs sont nécessaires.

La lumière projette ses ombres et ses reflets qui donnent de la profondeur à la scène.

La lumière immense et changeante éclaire les façades, la neige sur les pavés, les arbres frêles qui tremblent. La lumière est un reflet subtil et dansant d’ombres transparentes et mouvantes.

Le brouillard au fond du tableau,  brusque frisson du froid,  glace les couleurs.
Quand Monet peint la pierre des façades, le soleil les fait remuer comme la surface des arbres.

 

Analyse

En avril 1874, la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs exposa ses œuvres au 35 boulevard des Capucines, dans l’ancien atelier du photographe Félix Nadar.
Les participants à l’exposition de 1874, cherchaient à échapper à la hiérarchie et aux restrictions imposées par le jury du Salon officiel, qui refusait chaque année de nombreux tableaux.
Les peintres fustigeaient souvent la façon dont les œuvres étaient présentées au Salon, où elles couvraient les murs, parfois jusqu’au plafond. Dans l’atelier de Nadar, elles n’étaient disposées que sur deux rangées.
Du fait de leur refus du Salon officiel, les exposants étaient qualifiés « d’intransigeants » et apparentés à des radicaux politiques.
Toutefois le terme « impressionniste » revenait le plus souvent pour qualifier leur travail, que d’aucuns condamnaient pour son apparence inachevée.
Le critique Louis Leroy demanda la signification des « innombrables lichettes noires » émaillant le Boulevard des Capucines.
Jules Castagnary publia une critique plus favorable, qualifiant les artistes « d’impressionnistes en ce sens qu’ils ne rendent non le paysage mais la sensation produite par le paysage ».

Cette exposition fut la première ; sept semblables déclarations d’indépendance vis-à-vis d’un jury conservateur et hiérarchisé allaient se tenir au cours des douze années suivantes et révéler certaines des œuvres les plus novatrices et audacieuses du XIXe.

Sur la neige comme sur l’eau, l’obsession de Monet est de capter le reflet, la vie, l’âme de la lumière.

Monet cherche à exprimer une émotion visuelle.
Une perception du moment fugace et des impressions qu’il génère.

Monet ne peint pas ce qu’il voit, il saisit, à travers la vision qu’il en a, ce qui constitue l’essence de la vie et de la lumière.

Monet recherche les sensations visuelles brutes afin d’avoir un regard aussi neuf que possible sur le monde.  Son mode d’expression pour exprimer son ressenti est la recherche de la beauté à travers les formes et les couleurs.

Dans ce tableau, Monet explore la vie urbaine.
Cette vue met à l’honneur les coups de pinceau rapides et visibles du peintre.
Monet s’attira le courroux des critiques conservateurs pour l’aspect inachevé de son tableau.
Même Ernest Chesneau, qui fut captivé par le mouvement qui s’en dégage lorsqu’on l’observe à quelque distance, ne parvint pas à y voir davantage qu’une ébauche, remarquant qu’en s’approchant « il reste un chaos de raclures de palette indéchiffrable. »

Monet aperçoit le soleil même quand le ciel est couvert comme dans Boulevard des Capucines-2èmeversion.

Monet peint par petites touches, loin de la technique académique des années 1860 qui revendiquait une œuvre lisse.
Dans ce tableau il symbolise le brouillard et la neige, ainsi que leurs traces sur les arbres et les immeubles.

Monet peint l’aérien dans ce tableau, le ciel, les nuages, les brumes, le brouillard.

Monet est sensible à la luminosité atmosphérique, il dit « je veux faire de l’insaisissable. C’est épouvantable. Cette lumière qui se sauve en emportant la couleur ».
Monet doit composer avec le temps de l’empreinte lumineuse qui glisse en permanence.

Monet rend visible ce qui échappe à la visibilité du regardeur.

Il cristallise un visible fugitif.
Il note les éclairages, la fugacité de l’atmosphère.
Il peint la lumière, les couleurs chatoyantes de la neige en un chromatisme clair.
Il peint espace et lumière dans la douceur de la palette où le blanc de la neige se fond dans le bleu du ciel.
Le blanc lui sert à rendre la forte luminosité de la neige.

Monet peint le froid et le blanc.

Comme le précise Léonard de Vinci : « la couleur blanche, ou la non-couleur blanche est celle qui reflète toutes les lumières. Le blanc n’est pas une couleur par lui-même, il est le contenant de toutes les couleurs… »
Le blanc égalise tout relief, toute profondeur, tout modelé.
Comme des moires tremblantes, les rayures de blanc qui griffent la toile, insufflent la vie à la composition.

Monet fait revivre sur la toile l’image d’un quartier parisien où l’on perçoit le froid et l’animation.
Il met l’accent sur l’ambiance de la rue sans sacrifier au détail.
Monet peint un ciel de neige avec une lumière diffuse et blanche.
Monet peint la rue, le quotidien, les passants, les voitures, l’air.

Les passants de Monet nécessitent un temps d’accommodation pour le regardeur, une certaine durée de la perception.
À distance, le regardeur a une vue plongeante sur le boulevard.
Les figures peintes à peine visibles donnent au regardeur la sensation du passage.
Elles échappent à la pesanteur, comme des mirages glissants sur la neige.
Monet réussi à rendre la sensation du mouvement des passants, dont les formes se dissolvent et se fondent dans les jeux de lumière.

La  rue enneigée tremble de mille reflets d’ombre et de clarté.
Le brusque frisson du froid glace les couleurs.

Monet est le peintre des miroitements de l’air.

Monet s’éloigne de l’exactitude physique, il peint ce qu’il ressent, il est soumis aux variations de la lumière tout au long du jour.

La peinture de Monet interroge sur le lien entre la beauté naturelle et la beauté artistique.

Cette scène parisienne a permis à Monet de capturer les variations de la lumière et de l’atmosphère en peignant un pan de la vielle époque (les voitures tirées par les chevaux) dans un Paris qui galope vers la modernité.

 

Conclusion

Monnet : « en dehors de la peinture et du jardinage, je ne suis bon à rien ».

Monet est un peintre de l’instant présent qui ne retrace que ce qu’il voit.

Considéré comme le père de l’impressionnisme, la démarche artistique de Monet a évolué au cours du temps.
Il est d’abords séduit par la lumière, les couleurs du sud, les rapports entre le ciel et mer, le soleil puissant de Provence.
Puis, il s’est réinventé, utilisant des couleurs plus claires, effaçant peu à peu son dessin, notamment dans la série des nymphéas qui a ouvert la voie de l’abstraction.
Entre lyrisme et liberté, Monet préfigure l’abstraction. Avec ses nymphéas, il peint son rêve, son émerveillement, les formes s’estompent, um moment de poésie.

Clemenceau : « les nymphéas marquent l’entrée en lice de la lumière surprise en déshabillé de métamorphoses ».

Ces paysages d’eau, ces Nymphéas sont des chefs-d’œuvre considérés comme « le testament d’une vie uniquement consacrée à la peinture ».

« Monet n’est qu’un œil mais quel œil ! » disait Cezanne.