La bataille d’Alexandre – 1529 Albrecht Altdorfer

Albrecht Altdorfer (1480-1538)

 

La bataille d’Alexandre

1529

Huile sur toile

Dim 158,4 x 120,3 cm

Conservé à la Pinacothèque de Munich – Allemagne

 

Le peintre

On ne sait rien de la naissance et de la formation d’Altdorfer, mais on sait qu’il a vécu à Ratisbonne en tant que conseiller du gouvernement local et architecte officiel.
En 1526, il est élu au Conseil intérieur de la ville de Rastibonne.  Il est probable que les obligations liées à cette charge entravèrent son travail d’artiste.
À ce titre, il fit construire des fortifications dans la perspective d’un siège imminent des turcs, en 1529.

Parmi les maîtres du XVIe Altdorfer fut le plus novateur des peintres de batailles.

 

Le tableau

Ce tableau est une commande du duc Guillaume IV de Bavière pour inaugurer sa campagne contre les turcs qui envahissaient l’Autriche et menaçaient la Bavière.

Ce tableau fait partie d’une série de seize panneaux commandée par le duc Guillaume IV de Bavière, réalisée par divers artistes sur une période de plus de quinze ans. Cette série illustrait les exploits héroïques de huit hommes et huit femmes, des scènes issues de la bible et de l’antiquité.

Le duc Guillaume IV de Bavière souhaite avoir l’histoire de l’humanité sous les yeux, des modèles du comportement princier et des vertus chevaleresques.
Le duc Guillaume IV veut pouvoir observer d’un coup d’œil les grands épisodes qui ont façonné l’Histoire.

En 1528, Altdorfer renonce à la charge de maire de Ratisbonne et entreprend ce tableau, la bataille historique d’Issos en Asie Mineure (333 av. J.C.), une des trois batailles opposant Alexandre le Grand au roi perse Darius.

Ce tableau assoit la renommée d’Albrecht Altdorfer.

La bataille d’Alexandre est saisi en 1800 pendant l’occupation française de Munich et transporté à Paris. Ce panneau aurait suscité l’admiration de Napoléon, qui le tenait pour la plus grande peinture de bataille de tous les temps.
La légende accroche le tableau dans la salle de bains de Napoléon à Saint Cloud.

 

Composition

Ce tableau représente la bataille d’Issos au cours de laquelle le roi macédonien Alexandre le Grand rencontra pour la première fois son adversaire le roi des perses Darius et défit son armée en 333 av. J.C.

Altdorfer montre l’action dans une perspective à vol d’oiseau sous un ciel dramatique, au cœur d’un ample paysage représentant les côtes d’Asie Mineure.

Sur une surface de près de 2 m2, Altdorfer déploie un paysage grandiose, et représente des milliers de soldats en masse compacte.
Altdorfer peint le choc entre les cavaliers et les fantassins armés de lances qui se livrent un combat pour le sort de l’humanité.  Les combattants sont figurés avec une méticulosité, un amour des détails et une précision extrême. Cette éloquence met en valeur le tumulte qui mêle corps de chevaux et de cavaliers imbriqués dans la lutte, forêt de boucliers et de lances ondoyant dans l’immensité du champ de bataille.

La composition déroule un vaste panorama qui se dilue dans le ciel où s’affrontent les nuages.

Altdorfer façonne un espace qui dynamite sa composition.
Cette spatialité doit beaucoup à Mantegna.
Altdorfer use de la perspective en mouvement.
Les plans se heurtent dans cette composition tournante.
Ses perspectives de biais zigzaguent dans le paysage et créent une profondeur de champ.
Torsions et raccourcis de perspectives sont mis en image avec virtuosité.
Altdorfer ne construit pas les perspectives avec exactitude, il privilégie l’effet afin de procurer la sensation d’une espace dynamique.

Altdorfer remonte la ligne d’horizon, la grande ligne convexe de l’horizon favorise une perception accrue de l’espace.

La plaine et les soldats occupent le premier plan qui prend la moitié du tableau. Au-delà, mer, fleuve, île et collines  jusqu’à l’horizon,  prennent les couleurs du ciel qui occupe le tiers supérieur de la composition.

Dans l’axe de la composition et le registre supérieur, un cartouche montre du doigt le héros, Alexandre poursuivant Darius, au centre du premier plan.
La cordelette et l’anneau, accrochés au cartouche, se trouvent au-dessus d’Alexandre et le désigne dans la foule des soldats.

Les imposantes armées grecque et turque sont dominées par ce cartouche, flottant dans les nuages, entre la lune montante et le soleil couchant.

L’inscription parfaitement lisible est en latin : « Alexandre le Grand vainc le dernier Darius, après que 100 000 fantassins sont tombés et 10 OOO cavaliers ont été tués dans les rangs des perses, et que la mère, l’épouse et les enfants du roi Darius, qui s’est enfui avec à peine 1000 cavaliers, ont été capturés. »

Altdorfer peint une atmosphère lumineuse.

À droite de la composition et posé sur l’horizon, un soleil couchant éclairant la mer et les nuages indigo, qui ont des nuances de gris clair ourlé de blanc.
On distingue les sept bras du delta du Nil.
En haut, à gauche de la composition, un croissant de lune s’inscrit dans l’angle, doublé par un halo de nuages sombres qui conduit le regard jusqu’à la mer rouge, séparée du delta par un isthme.

Altdorfer engage la nature dans la bataille.
Ce conflit entre les forces de la nature fait écho à la bataille historique qui se déroule au premier plan, dans la plaine.

La gamme chromatique va du jaune pâle au rouge sang, avec des ombres or, pourpres et foncées et des lumières froides, brillantes sur l’eau et les collines.

Ce paysage parsemé de monts, de collines, de fleuves, de villages et de châteaux, vibre avec les innombrables armures de combattants qui luisent sous un ciel immense parcouru de nuages tumultueux.
Les couleurs éclatantes détachent les soldats dans ce paysage puissamment éclairé.

La précision est le maître mot du peintre.
Altdorfer peint l’Égypte et l’Afrique, la mer rouge, les montagnes du Sinaï, la côte de la péninsule arabique et une île hérissée de monts, Chypre.

Altdorfer emprunte le nombre supposé exact des combattants, des prisonniers et des morts à l’historien romain Quinte-Curce (Ier siècle ap.J.C.)

Dans ce tableau les soldats ne sont que des éléments s’intégrant dans un paysage impressionnant. Une forêt de soldats écrasés par le décor.
Altdorfer transpose la réalité sur un plan poétique et lyrique.

La lumière de son tableau crée une atmosphère surnaturelle.

La nature et le ciel amplifient le drame de l’affrontement des deux armées et témoignent du sens du récit du peintre.

Le regardeur a une vue en plongée de la plaine où se déroule la bataille, c’est un premier plan extensible. Il voit la scène de près, avec un angle de vision très ouvert, l’œil remonte sur l’horizon, produisant une impression d’espace.

Alexandre est sur le point de capturer Darius qui s’enfuie sur son char.

Cette composition aspire le regardeur.


Analyse

À l’époque de la Renaissance, les pays germanophones, loin d’être unifiés, étaient des principautés très indépendantes dont les villes riches et très actives sur les plans commercial et intellectuels encourageaient la production artistique.
Si de nombreux peintres allemands furent influencés par les œuvres flamandes, d’autres élaborèrent leur propre style.

Albrecht Altdorfer était fasciné par les paysages, qui jouèrent un rôle dominant dans ses tableaux, les personnages étant souvent totalement soumis à la splendeur de la nature.

Malgré ses activités concrètes, les peintures d’Altdorfer possèdent un caractère rêveur. Il y explore la majesté de la nature et les jeux de lumière, y compris dans certaines scènes nocturnes.

 I-   Son somptueux tableau illustrant la bataille d’Alexandre le Grand et de Darius, roi de Perse, est une étude de lumière et de paysage.

Cette peinture est unique dans l’art de la Renaissance du Nord.
La bataille d’Alexandre élève le spectacle du combat d’armées compactes au rang de vision cosmique.

Guillaume IV de Bavière s’inspirait lui-même du grand général grec dont il admirait les prouesses, mais Altdorfer renforça ses aspirations en les présentant dans un contexte universel.

Altdorfer ne pouvant imaginer l’art de la guerre antique, l’architecture ou la mode vestimentaire, s’est inspiré de paysages familiers, les alpes, la vallée du Danube.

Les soldats, les cavaliers, les tentes de campement sont du XVe.
Altdorfer transpose, Alexandre devient l’empereur germanique Maximilien avec son armure flamboyante chargeant les perses aux allures de turcs.

Le coucher du soleil rouge irradie les nuages d’orage au-dessus de l’eau et des rochers. Altdorfer produit un effet dramatique.

Avec son horizon convexe, Altdorfer transfigure la nature et impose une perspective cosmique produisant une des œuvres les plus puissante de l’histoire de la peinture.

On pense aux visions cosmiques d’orages et de cataclysme alpin de léonard de Vinci.

Altdorfer a fréquenté les humanistes de l’entourage de l’empereur Maximilien, avec en premier lieu l’historiographe de la cour, Johannes Stabius qui s’installa à Ratisbonne afin de mettre au point le programme du Triomphe de Maximilien. Celui-ci lui donna sans doute accès à de nombreuses gravures italiennes.

Altdorfer se passionne pour l’agencement spatial des compositions de Mantegna dont les marques de fabrique sont le raccourci avec les figures vues en contre-plongée et les effets produits par les angles de vue insolites.

Par son exceptionnelle abondance de détails, ce panneau s’apparente à d’autres peintures tardives comme Suzanne au bain –1526


II-   Pour Altdorfer la différence de temps n’existe pas
, la bataille est de son temps le XVe et aussi hors du temps.

Le regardeur devient le témoin de la bataille transposée à son époque, il est immergé dans la scène.

Altdorfer joue avec les frontières entre l’espace réel et l’espace fictif.

Passé et présent se confondent dans un seul et même horizon historique.

Altdorfer vit la bataille d’Alexandre ayant eu lieu 1800 ans plus tôt.

Le soleil et la lune se partagent le ciel. Leur affrontement invoque l’aspect intemporel de ce combat.

L’affrontement entre Alexandre et Darius est le combat entre la lumière et les ténèbres qui précède celui ultime de la fin des temps.

La fin des temps appartient au cosmos, la nature se prépare à cette fin et s’éloigne ainsi des hommes. 

Le temps devient un concept, il évolue au fil des siècles.

La bataille d’Alexandre est un témoin incompris, car tout dans la guerre n’est qu’une question de temps.

 La bataille d’Alexandre est représentative de l’évolution de la perception du temps.

 

Conclusion

Ce tableau est au goût du jour. La revalorisation de l’Antiquité est en effet un trait typique de la Renaissance.
Au XVe, les attitudes changèrent, d’abord en Italie puis au Nord des Alpes au XVIe. Les héros supplantent de nouveau les saints et servent de modèles.
Ce phénomène est lié à la décadence de l’Église catholique.  Du fait du retrait de l’Église comme commanditaire, les artistes furent contraints de chercher d’autres champs d’action. Les héros antiques offrent une alternative thématique.

Altdorfer peint un paysage minéral et un ciel fantastique.
Les couleurs claquent, expriment les forces, les rythmes et les mouvances tourbillonnaires du ciel.

Altdorfer implique le regardeur et lui impose l’harmonie guerrière de son tableau.

Altdorfer, artiste visionnaire, crée une bataille imaginaire qui annule le temps, double le monde réel et le surpasse, une bataille cosmique..