Mois : février 2020
Saint Michel terrassant le dragon dit le Grand Saint Michel – 1518 – Raphaël
Les trois philosophes – 1509 – Giorgione
Giorgione (1478-1510)
Les trois philosophes
1509
Huile sur toile
Dim 123 x 144 cm
Conservé au Musée d’Histoire de l’Art de Vienne
Le peintre
Giorgione est l’un des quatre grands maîtres vénitiens avec Tintoret, Véronèse et Titien, qui s’illustrèrent pendant la Renaissance.
S’il possède son langage et sa sensibilité propre, Giorgione est résolument vénitien par le traitement de la couleur et la conception de la composition.
La vie de Giorgione demeure un mystère, les spécialistes hésitent à lui attribuer certaines œuvres.
Originaire de Castelfranco en Vénétie, il se forme auprès de Giovanni Bellini puis travaille pour le palais des Doges et sur les fresques du Fondaco dei Tedeschi (entrepôt des marchands allemands) à Venise.
Il meurt en pleine gloire, avant 1510, sans doute de la peste.
Le tableau
C’est une scène diurne peinte en extérieur.
Un jeune-homme est assis sur le sol de pierre. À côté de lui, debout, un savant entre deux âges et, un vieillard, à ses côtés.
Les trois hommes sont perdus dans la contemplation.
Composition
Le décor scinde la composition en trois plans et met en scène les personnages.
Au premier plan :
Trois dalles taillées dans la roche se superposent en créant de la profondeur. Sur ces dalles se tiennent trois hommes.
Un jeune-homme portant la toge grecque est assis au centre de la toile. Il semble observer un rocher (qui se dresse sur la gauche et occupe la moitié du tableau). Il tient une équerre et un compas.
À ses côtés un adulte portant un turban et une tunique de style arabe, est debout. Il regarde devant lui, comme s’il se préoccupait du moment présent.
Quant au vieillard qui se tient également debout, il cherche la sagesse en lui-même. Sa longue barbe blanche et son vêtement à capuche le désignent comme un sage juif. Il tient un parchemin sur lequel est dessiné un croissant de lune.
Au second plan, une barrière :
Végétale à droite du tableau -une rangée d’arbres donne le tempo,
Minérale à gauche du tableau – un grand rocher s’ouvre sur une grotte qui est le quatrième « personnage » de l’histoire.
À l’arrière-plan :
un village est serti d’un paysage de montagnes qui barrent l’horizon où pointe le soleil.
Seul le second plan est obscur, rappelant les atmosphères de Léonard de Vinci. Le contraste entre les zones de lumière et d’ombre module la profondeur de l’espace.
Le ruisseau, partant du bas inférieur gauche du tableau s’étire dans une diagonale qui conduit le regard vers la lumière de l’arrière-plan et découpe le tableau en deux parties, le rocher à gauche et les personnages à droite.
La palette chromatique du premier plan est réjouissante, vert et blanc (pour le jeune-homme), violet et rouge (pour l’adulte) terre de Sienne et jaune-doré (pour le vieillard) ; les couleurs chatoient dans la lumière.
À l’arrière-plan, le soleil qui se couche (ou se lève) éclaire de ses teintes douces et chaudes le fond du tableau au pied de la montagne devenue bleue avec la perspective atmosphérique.
Cette lumière atmosphérique installe une atmosphère de mystère.
Chez Giorgione, la lumière sert la couleur, noie les contours et fonde les figures dans un flou hérité du sfumato de Léonard de Vinci.
C’est une composition sereine, équilibrée et vibrante de couleurs.
Analyse
Giorgione a peint cette toile au début du XVIe en gardant le mystère des trois hommes. Ce tableau est une énigme.
Le peintre voulait-il représenter la quête universelle de l’homme à travers trois âges de la vie ?
Trois races différentes ?
Trois religions ?
L’équerre et le compas signes de la terre et du ciel, sont les symboles de la recherche intérieure. Le compas ouvert est une marque de connaissance. Il repose sur l’équerre, signe que l’esprit domine la matière.
Le tableau serait celui de l’homme en quête de son accomplissement.
Le tableau symboliserait les trois religions monothéistes : judaïsme, christianisme et islamisme.
Le tableau serait une illustration de la métaphore de Platon sur le passage de l’ignorance au savoir -de la grotte sombre à la lumière du jour ?
D’autres penchent pour la représentation de trois philosophies, celle d’Archimède (philosophe mathématicien et ingénieur), celle d’Averroès (philosophe théologien et juriste) et celle de Pythagore (philosophe présocratique et scientifique). Ou d’une allégorie des trois âges de la philosophie, l’Antiquité, le Moyen-Âge et la Renaissance. Ou de l’illustration du récit virginien où Énée avec ses deux compagnons, est devant le rocher – le Capitole.
Les feuilles de figuier sur les bords de la grotte pourraient symboliser la chute d’Adam et Ève…
Des historiens voient les rois mages. Allusion à la carte astronomique que tient le vieillard. Allusion également aux repentirs qui affublent les personnages de signes les désignant comme les rois mages.
En les supprimant ces indices (repentirs) Giorgione a voulu agrandir le champ des possibles interprétations.
Giorgione peint directement à l’huile sur la toile, sans dessin préparatoire. Cette technique permet une grande spontanéité dans la création et génère de nombreuses modifications en cours de réalisation -ce sont les repentirs- qui permettent de suivre le cheminement de la pensée du peintre.
Les repentirs sont mis en évidence par les rayons X et la reflectographie.
Toutes les interprétations sont crédibles.
La pluralité du sens a sans doute été voulue par le commanditaire du tableau, Taddeo Contarini, homme très riche et cultivé, qui voulait allier le plaisir de la contemplation esthétique à la beauté de l’énigme.
La signification de cette peinture demeure un mystère pour les historiens de l’art.
Conclusion
Compte tenu de sa brièveté, la carrière de Giorgione est impressionnante : excellent coloriste, il emploie des tons intenses pour créer des scènes novatrices, poétiques et souvent énigmatiques -comme c’est le cas avec Les trois philosophes.
Ses thèmes originaux plaisent à une élite humaniste qui apprécie ses énigmes littéraires à la fois raffinées et complexes.
Giorgione a profondément influencé Titien, ainsi que toute une génération d’artistes, ses traitements des tons et des paysages firent de nombreux émules, à Venise et au-delà.
Les tableaux de Giorgione avec leur contenu littéraire, poétique et philosophique, témoignent à l’aube du XVIe, de l’existence d’un mouvement novateur à Venise, un grand essor culturel qui revêtira tout son éclat à la génération suivante.