Officier et jeune-fille riant -1657 Vermeer

 

Johannes Vermeer (1632-1675)

 

 Officier et jeune-fille riant

 Vers 1657

Huile sur toile

Dim 50,5 x 46 cm

 

Conservé dans la collection Frick à New-York.

 

Le peintre

Vermeer est originaire de la ville de Delft.
Vermeer vécu et exerça son métier de peintre à Delft.
Aucune source écrite nous révèle son destin d’artiste (ses maîtres, sa formation, son apprentissage).
Il commença son apprentissage artistique probablement à la fin des années 1640.
Aucun indice nous permet de savoir s’il a voyagé en Italie, en France ou dans les Flandres.
Les archives concernant ses relations avec d’autre peintres sont aussi vagues. Nous savons seulement que Leonard Bramer fut témoin lors de son mariage avec Catharina Bolnes en 1653 et qu’il apposa une signature au bas d’un document avec Gérard ter Borch deux jours après son mariage.

Au moment où Vermeer entamait sa carrière de peintre au début des années 1650, l’art à Delft subissait de profonds changements.
À la fin des années 1650, Vermeer abandonne les scènes bibliques et mythologiques pour s’adonner à la peinture de genre et aux paysages urbains.
L’arrivée à Delft de Pieter de Hooch et de Jan Steen a peut-être motivé ce changement d’orientation.
Aucun document ne suggère que Vermeer aurait connu Jan Steen et Pieter de Hooch, actifs tous deux à Delft dans les années 1650.
Le parallélisme des œuvres de De Hooch et de Vermeer indique, selon toute vraisemblance, qu’ils se connaissaient.
Ces deux peintres ont créé un style nouveau de peinture de genre à Delft.
En 1653, Vermeer reçoit la maîtrise de la guilde des peintres de Saint Luc.
La guilde de Saint Luc, patron des artistes, contrôlait la production et la vente des tableaux, gravures et sculptures.

Les tableaux de Vermeer témoignent d’une technique exceptionnellement raffinée et complexe et d’un travail plus long que la moyenne. Vermeer pouvait investir le temps nécessaire parce qu’il recevait des revenus réguliers d’un mécène. Pieter Claesz van Ruijven que des héritages et des placements judicieux ont rendu riche a été identifié comme le principal commanditaire du peintre.
Il est certain que Vermeer a acquis une réputation d’artiste sérieux et novateur dans les années 1660.
En 1671-72, il est élu doyen de la guilde de saint Luc.
En mai 1672, il est convoqué à la Haye en tant qu’expert de peintures italiennes.
Bien que respecté dans le milieu artistique de Delft (ses toiles avaient une grande valeur marchande à sa mort), Vermeer fut victime du climat économique désastreux qui suivit l’invasion de la Hollande par le roi de France, Louis XIV en 1672.
Vermeer mourut à Delft, trois ans plus tard en laissant d’énormes dettes à sa famille. Sa femme Catharina Bolnes dut tout vendre pour honorer les dettes : tableaux, mobilier et maison.

 

Le tableau

En 1657 au moment où Vermeer peint son tableau, la Hollande vit son siècle d’or, économique et artistique.

Le protestantisme bannit des églises les peintures religieuses. C’est l’époque où les maîtres flamands inventent les scènes de genre avec la représentation du quotidien, de l’intimité bourgeoise, qu’ils subliment avec génie.

La jeune-femme ressemble à la femme de Vermeer, Catharina Bolnes, qui a probablement posé pour ce tableau.

Le tableau portait autrefois une fausse signature de Pieter de Hoogh, un artiste dont bon nombre de tableaux de genre intérieur ressemblent à ceux de Johannes Vermeer.
De Hoogh était un contemporain de Vermeer et a travaillé à Delft pendant longtemps.

Ce tableau a été acquis en 1911 par Henry Clay Frick

 

Composition

C’est une scène d’intérieur bourgeois.

Vermeer représente une relation gaie et intense dans un espace domestique.

Un intérieur peint selon la tradition néerlandaise incorporant une fenêtre composée de morceaux de verre sertis de plomb, les chaises aux têtes de lions, une carte murale de la Hollande.

Le cadrage très serré évoque les cadrages de nos photographies contemporaines.

Les personnages sont saisis en pleine action,
comme sur une image « arrêtée ».

Vermeer a un sens infaillible de la composition.
La scène est structurée par des lignes horizontales et verticales simples et par des angles droits.

C’est une composition minutieuse.

Le sujet principal est la jeune-femme.

Vermeer couvre l’intégralité de sa chevelure d’une cape, afin d’attirer l’attention sur son visage baigné dans une douce lumière entrant par la fenêtre entrouverte – sur la gauche du tableau.
Elle porte un corsage jaune, sa robe est protégée par un tablier bleu -noyé dans les ombres de la table.
La jeune-femme tient un verre de vin dans ses mains.
La jeune-femme est en compagnie d’un soldat.

L’homme a vissé sur sa tête un imposant couvre-chef en poil de castor.
Cette coiffe nous indique que c’est un soldat.
L’homme assis sur une chaise, porte une veste écarlate et une écharpe noire.
Il occupe le premier plan et tourne le dos au regardant.

Cette mise en scène transforme le regardant en témoin secret de la scène.

Sur le mur du fond, une grande carte de 1621 représentant la Hollande et la Frise-Occidentale est accrochée. Celle-ci se réfère à une carte réelle conçue par Balthasar Florisz van Berckenrode en 1620.
Elle est représentée de façon à couvrir la partie haute du mur devant lequel Vermeer a assis la jeune-femme.
Vermeer s’attache à rendre la texture, l’épaisseur lourde, du papier vernissé. Il souligne les contours de la masse de la terre lui donnant ainsi une présence physique saisissante.
Vermeer associe la représentation de la carte à son art de peindre.

Le peintre, en représentant une carte « décorative », combine l’art et la science.

Le tableau respecte la perspective linéaire, le point de fuite de la fenêtre est à mi-hauteur entre les yeux du soldat et de la jeune-fille. En plaçant le visage sombre du soldat au premier plan à gauche du tableau et en rendant le personnage nettement plus grand que la jeune-femme, Vermeer renforce l’impression de profondeur.

La lumière est traitée de façon raffinée et subtile.
C’est une lumière tamisée. Elle entre à travers et par la fenêtre ouverte et illumine le visage souriant de la jeune-femme.
La lumière se reflète sur le verre de vin que la jeune-femme tient à deux mains. Elle scintille sur son corsage jaune et fait briller les dorures de la chaise.
Le peintre a recherché un effet de clair-obscur.

Vermeer crée divers effets lumineux en jouant avec l’épaisseur de sa peinture : les ombres sont des passages finement peints, et les reflets sont formés d’épaisses couches de pigments.

Vermeer peint les étoffes et les matériaux en sachant rendre l’émotion des personnages. Toutes les composantes du tableau jouent en complète harmonie.

L’exécution méticuleuse, dissimulant la trace du pinceau ; le moelleux de la touche, les jeux subtils de la lumière, la délicatesse de la palette et le rendu des textures sous différents éclairages confère au tableau son aspect photographique.

 

Analyse

 I- La représentation d’une pièce supposant l’existence d’un regardant et le rendu des reflets de lumière sur les étoffes et les personnages impliquent une certaine compréhension des problèmes scientifiques tels que l’évaluation et la représentation bidimensionnelle de l’espace.

A/ Sa technique de la perspective

Quand il peint des scènes de la vie de son temps, Vermeer utilise la perspective comme outil premier de structure, à la fois pour créer une composition réaliste et pour assurer son potentiel d’expression.

Vermeer est conscient de l’illusion spatiale qu’il entend créer et il y parvient en combinant son habileté à construire l’espace.  Son talent s’exprime dans les domaines de la composition, de la couleur, de la technique et de l’iconographie.

Le peintre partage la fascination de ses contemporains delftois pour les effets d’optique. Si dans ses premiers tableaux la perspective est indécise, avec Officier et jeune-fille riant Vermeer met au point une technique dont il se servira pour toutes ses toiles à venir.

Vermeer déplace le point de fuite vers le bord du tableau.
L’angle visuel est réduit à 30°.
Vermeer place sa toile sur un panneau avec un clou de chaque côté du tableau, au niveau de la ligne d’horizon.
Des fils attachés aux clous permettent de tracer à la craie les diagonales de ses constructions.
Officier et jeune-fille riant est la première toile où il utilise un fil attaché à une pointe.

Cette nouvelle technique deviendra la méthode dont il se servira jusqu’à sa mort.

Vermeer devient remarquablement habile à enduire ses peintures de couleurs pour créer des effets d’optique et de texture simulant la réalité et pour mettre en valeur une  ambiance.
Il était extraordinairement conscient de l’impact psychologique de la couleur.
Vermeer met au point une conscience raffinée de l’importance de la perspective lui permettant de créer l’illusion de l’espace tridimensionnel et d’influencer la perception du regardant.
Il réussit, sans se servir de la chambre noire, à créer des images qui paraissent
« photographiques » et font que le regardant croit vraiment voir la scène.


B/ Son utilisation sporadique de la chambre noire

La complexité du style de Vermeer implique que ses tableaux transcrivent de véritables images de chambre noire, comme le suggèrent ses effets visuels les plus frappants. On pense aux gouttelettes de peinture semblant souligner les reflets de lumière de Vue de Delft. Un autre effet observé dans les chambres noires se retrouve dans les tableaux de Vermeer, la réduction du rendu de certains objets à de simples contours flous.

La simplification de l’information visuelle, dans certains de ses tableaux, se rapproche de la façon sélective du regardant dans la vie courante.
Les déformations optiques, obtenues de manière scientifique, permettent à Vermeer de substituer la réalité avec des trompe-l’œil.

Le souci de Vermeer d’atteindre à l’harmonie et à l’équilibre des lois naturelles expliquerait son usage de la chambre noire.

La chambre noire est une boîte percée d’un trou sur l’une de ses faces ; en passant par le trou, la lumière projette sur le fond de la boîte une image inversée qui pouvait être décalquée. L’image crée était mise au point par une lentille convexe sur une surface située en face de la source lumineuse.
La chambre noire fonctionne comme une caméra en projetant une image.

Vermeer l’utilise pour délimiter le cadre de sa vision et introduire des effets d’optiques, de lumière et de couleur invisibles à l’œil nu.
Vermeer l’emploi en complément de la science de la perspective pour parfaire sa création artistique.

L’intérêt de Vermeer pour la chambre noire porte autant sur l’aspect philosophique du système que son application artistique.

 

II – Vermeer peint un tableau intimiste

A/ La représentation de la carte murale, un tableau dans le tableau

Dans plusieurs de ses tableaux on retrouve sur le mur une carte de la Hollande.
Ce décor était courant dans les riches intérieurs néerlandais.
La carte que Vermeer a placé sur le mur du fond est assez précise pour qu’on puisse l’identifier et retrouver l’édition qui a servi de modèle au peintre.
Elle représente une situation politique abolie et est donc périmée.

Pour Vermeer, la carte constitue une description du territoire qu’elle représente . Elle articule un savoir dans une figure.
Dans ce tableau la carte n’a pas le rôle de faire acquérir ou vérifier une connaissance au regardant. Vermeer intervertit l’emplacement des couleurs conventionnellement destinées à distinguer terre ferme et surface aquatique. Dans cette carte de la Hollande et de la  Frise, la terre est bleue, la mer est beige.

Les cartes de Vermeer suivent la même loi que sa peinture, elles subissent le même traitement et elles ont la même fonction que les tableaux qu’il accroche dans ses toiles, elles sont une image dans l’image, un tableau dans le tableau.


B/ La carte joue un rôle majeur dans l’articulation du message iconique du tableau.

La carte appelle à l’interprétation
Par associations et recherche de symboles :

Sa description de la Hollande est comprise comme l’évocation du passé perdu, lorsque toutes les provinces formaient un seul pays.

Le positionnement de la carte au-dessus de la femme peut laisser penser que cette dernière est également un objet de conquête.

Elle fait peut-être allusion au devoir du soldat de protéger son pays natal ou à ses aspirations territoriales.

 

C/ Vermeer pose un regard de poète sur sa scène.

 Officier et jeune-fille riant est un tableau intimiste par l’esprit et par la forme.

Vermeer a la capacité de suggérer plutôt que de décrire.

Dans ce tableau les lignes orthogonales convergent vers un seul point de fuite à mi-chemin entre les deux personnages. Ce point revêt une importance psychologique profonde dans la composition car il fait vivre l’espace entre l’homme et la jeune-fille et intensifie la nature de leur relation.

Vermeer utilise un autre moyen pour créer l’illusion de la réalité bidimensionnelle. Il peint une chaise et un personnage de dos au premier plan pour placer un obstacle entre les personnages et le regardant.
Il crée un sentiment de profondeur et renforce l’intimité qui imprègne toute la scène.

Vermeer place le regardant dans une position de voyeur observant les personnages, caché par le dos de l’homme.

La chaise est la frontière entre l’univers du regardant et l’harmonieux monde pictural.

Les effets de lumière et de perspective sont travaillés avec subtilité.

Vermeer capture la lumière filtrée à travers les vitraux, ainsi que l’interaction entre la lumière et les objets dans l’espace.
Le peintre connait avec précision les caractéristiques optiques des couleurs et utilise les meilleurs pigments, en particulier l’outre-mer naturel et le jaune de plomb et d’étain qui assurent la luminosité.

Il adapte les dimensions des personnages pour intensifier sa composition et renforcer son propos.
L’homme de ce tableau est trop grand par rapport à la jeune-fille.


D/ Vermeer a le don de savoir transmettre un sens moral latent à ses scènes de la vie quotidienne.

Cette toile transcende la morale.
Son message est diffus et furtif.
Le regardant n’entre pas de plain-pied dans son tableau, empêché par l’homme de dos qui barre le premier plan.

Ce premier plan aux ombres travaillées sollicite notre imaginaire, nous devons décrypter la scène, Vermeer glisse des éléments qui lui donnent un sens.
Le corsage jaune et le tablier bleu sont des vêtements portés tous les jours, Vermeer signifie que le soldat surprend la jeune-femme avec une visite impromptue au cours de ses tâches matinales.
Vermeer représente un couple qui flirte.
L’homme est vu de dos et l’éclairage attire le regard d’abord sur le large sourire de la jeune-femme, pour le porter ensuite sur le verre de vin qu’elle tient à la main. Ce verre est habituellement utilisé pour le vin blanc. – à cette époque le vin coûtait plus cher que la bière.
Ce détail évoque la richesse de la maison.
Le verre de vin est aussi un philtre d’amour.

Ter Bortch a peut-être influencé Vermeer car on retrouve chez lui le thème de l’homme observant une dame qui boit. Chez Ter Borch, le gentilhomme enlace la jeune-femme. Comparée à l’immobilité presque rêveuse de la scène de Vermeer, la version de Ter Borch semble banale.

Le verre de vin crée un lien physique entre l’amoureux et sa bien-aimée.

Son tableau donne une image trompeusement réaliste d’un mode de vie inaccessible et d’une débauche réprouvée, permettant au regardant d’y participer par l’imagination et aussi de se rassurer par la conviction que ce qu’il voit n’est pas la réalité.

Vermeer ne cherche pas le reflet exact de la réalité, il propose une manière de voir.

 

Conclusion

Durant toute sa carrière Vermeer fut extrêmement réceptif aux idées thématiques et stylistiques des maîtres qui l’entouraient.

Vermeer puise la plupart de ses scènes de genre dans des traditions iconographiques bien établies. Ses peintures allégoriques et ses paysages urbains sont empruntés à des sources picturales existantes.

Ce qui le distingue, ce sont les transformations révolutionnaires qu’il apporte à la représentation figurative.
Vermeer épure et idéalise ce qu’il perçoit du monde visible de l’homme.

L’intérêt qu’il porte  aux bases théoriques de la peinture apparaît clairement dans le tableau superbe qu’est L’art de la peinture.

Le regardant ressent intensément dans l’œuvre de Vermeer l’ approche philosophique.
Son classicisme apparaît sous la forme la plus pure dans l’élégance et l’éternelle beauté de La jeune-fille à la perle.

Vermeer fut le seul peintre néerlandais capable d’intégrer la gravité morale profonde de la peinture d’histoire dans ses représentations de la vie familiale.

Vermeer a joui brièvement d’une certaine renommée en son siècle, puis pratiquement oublié au XVIIIe, il est redécouvert par le XIXe et devient un maître universellement admiré au XXe.

On connaît aujourd’hui environ trente-cinq toiles de Vermeer.