Orfèvre dans son atelier (Saint Éloi) -1449 Petrus Christus

 

Petrus Christus (entre 1410 et 1420 – fin 1475 ou début 1476)

 

Orfèvre dans son atelier (saint Eloi)

1449

Huile sur panneau de chêne

Dim 100 x 97 cm

Conservé au Métropolitan Museum of Art, à New-York.

 

Le peintre

Sa date de naissance n’est pas connue.
Il serait né entre 1410 et 1420, probablement à Baerle, près d’Anvers-région rattachée au duché de Bourgogne au XVe.
Petrus Christus aurait été un élève de Jan Van Eyck à Bruges.
Trois ans après la mort de Van Eyck, en 1444, les archives révèlent que Christus s’acquitte du droit de bourgeoisie de la ville de Bruges, afin de pouvoir y exercer le métier de peintre. Entre 1446 et 1463, il réalise de nombreux tableaux.
Vers 1463 il devient membre de la Confrérie Notre-Dame de l’Arbre Sec qui est dédiée à la Vierge et a une fonction sociale de charité. Le duc de Bourgogne en était membre, cette confrérie rassemblait toute la haute société de Bruges.
Ce qui signifie que Christus était reconnu comme un grand peintre.
Les historiens envisagent un séjour en Italie.
Petrus Christus, avec Dirk Bouts, sont les premiers artistes flamands à introduire dans leurs tableaux, la perspective linéaire des artistes italiens.
Le retable du saint Sacrement -1464-68, Dirk Bouts.

 

Le tableau

Ce tableau a plusieurs titres : Saint Eloi (couple bourgeois chez un orfèvre)

Commandé par la guilde des orfèvres de Bruges, le tableau est acquis par le Métropolitan Museum of Art en 1817.

On considérait que le personnage principal représente saint Éloi qui est le saint patron des orfèvres.
Aujourd’hui, l’hypothèse retenue est qu’il s’agit du portrait d’un orfèvre ayant vécu à Bruges au XVe.

L’orfèvre pendant un temps, était affublé d’une auréole.
Une restauration au XIXe a mis en évidence que l’auréole était un repeint, un ajout ultérieur, il fut décidé de la supprimer pour retrouver la composition d’origine.

Le tableau représente un couple fortuné rendant visite à un orfèvre pour négocier l’achat d’un anneau.

 

Composition

Christus représente un artisan dans son atelier entouré d’objets de sa fabrication, recevant des clients.

C’est une composition géométrique, rythmée par les lignes verticales coupées par le comptoir de l’orfèvre qui barre la composition d’une grande horizontale au premier plan.
Le comptoir coupe le buste de l’orfèvre à mi-corps, faisant de sa représentation un portrait. Le personnage est présenté de façon résolument frontale. Il est assis au centre de la composition ; ses deux avant-bras délimitent son espace.
Sa place prééminente est renforcée par la couleur rouge de son habit.
Cette construction donne au personnage une grande présence.
L’orfèvre a un visage sculpté d’ombres et de lumière, ses deux grands yeux noirs, son regard en coin, sont soulignés par une ombre et de longs sourcils d’où part un nez très droit. Il est représenté en train de peser un anneau nuptial.

Les deux autres personnages sont debout dans son dos. La femme se tient devant le comptoir à la droite de l’orfèvre. L’homme qui l’accompagne est juste derrière elle. Il la tient par l’épaule dans un signe de complicité. Ces deux personnages arborent de vêtement somptueux. Le soin porté au détail des étoffes supplante la représentation de leurs visages moins travaillés que celui de l’orfèvre.

Dans ce tableau le regardant a la perception de l’espace.
Christus a introduit une perspective linéaire dans sa composition, conduite par les lignes obliques générées par les étagères.
Il représente l’espace en ouvrant une fenêtre au fond du tableau, dans la partie supérieure. Les moindres détails du décor s’adaptent à la perspective.

Petrus Christus exploite la lumière.
Dans cette composition, elle fuse de la fenêtre, tamisée par les carreaux typiques des intérieurs flamands. C’est une lumière nette qui affaiblit les modelés des visages et les oppose aux zones d’ombre avec des lignes sèches.

Sur l’étagère des objets précieux ou finement ouvragés rappellent que le tableau est une commande de la guilde des orfèvres.

Christus étend l’espace pictural au-delà de l’échoppe en peignant le reflet d’un miroir convexe qui montre deux passants dans la rue.

Christus peint, sous le prétexte d’évoquer le patron des orfèvres, une véritable scène de genre.

 

Analyse

 I – Le portrait flamand était apprécié dans toute l’Europe

Les étrangers en visite dans les grandes métropoles marchandes telles que Bruges, faisaient immortaliser leur visage par les maîtres locaux. Les souverains étrangers invitaient les peintres flamands, dont les homologues allemands, français et espagnols imitaient le style.

L’un des portraitistes les plus illustres et talentueux de l’époque fut Hans     Memling, il travaille auprès de Van der Weyden.

Les peintres flamands accordaient une grande importance aux particularités les plus infimes, que ce soit dans les traits d’un visage, le feuilles d’un arbre, les plis d’une étoffe ou le reflet d’un bijou.
Grâce à la technique du glacis à l’huile sur panneau de bois, les artistes appliquaient avec soin de fines couches transparentes de peinture, très peu chargée en pigments, ce qui permettait à la lumière de pénétrer l’œuvre et de la faire luire rehaussant les plus petits détails.

Dans Orfèvre dans son atelier, les objets posés sur l’étagère sont minutieusement représentés. Les cristaux, les coraux, les perles, l’or et l’argent ventent la fierté de l’orfèvrerie.

Le tableau est une commande de la guilde des Orfèvres. Il doit donc être une réclame pour les Orfèvres. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter l’exercice de style de Christus, élève de Van Eyck.

Les multiples détails du décor de l’atelier et le miroir convexe reflétant la place du marché de Bruges rappelle l’esthétique de van Eyck et les Époux Arnolfini
Les jeux des reflets sont aussi une évocation de van Eyck.


II – Avec l’artifice du miroir, Christus devient narrateur.

Le miroir introduit la présence de deux hommes qui assistent avec les personnages de l’échoppe à la pesée d’une bague de fiançailles.
La ceinture disposée en boucles sur la table évoque le mariage.
La signature visible au premier plan introduit le discours indirect.
Les mains des personnages racontent la scène : le jeune-homme du second plan tient dans sa main gauche un présentoir de bagues et enserre les épaules de sa bien-aimée de sa main gauche. La jeune-femme avance son bras et sa main gauche dans un geste d’assentiment vers l’orfèvre.  Celui-ci tient un anneau entre son pouce et son index de sa main droite tandis que de sa main gauche il tient une balance d’orfèvre. On observe que les mains sont idéalisées avec des doigts très longs.

Christus a peint une scène de genre avec des références religieuses.
L’activité de pesée évoque la pesée des âmes lors du jugement dernier.


III – Dans l’articulation et la géométrisation de sa composition Christus plante ses personnages droits « comme des I ».

Cette raideur des attitudes est la marque de fabrique du style de Petrus Christus.

Les personnages de Campin gardent leur distance avec le regardant, ceux de Van der Weyden chavirent d’émotion, entre les deux, les personnages de Christus sont raides avec des gestes raides.

Christus sait reproduire en réalité virtuelle la réalité des intérieurs flamands ainsi que les paysages.
Quant à ses portraits ils ne se départissent pas d’un caractère géométrique.
Le peintre tente de les animer avec des regards en coin, mais ça ne marche pas, la rigidité de la pose l’emporte sur la délicatesse de la figure.

Dans la représentation des personnages, ce qui intéresse Christus est l’impact de la lumière sur les visages.
Plus tôt que de s’intéresser à l’humanité des personnages (caractéristiques de Van der Weyden), Christus sculpte les visages avec l’ombre et la lumière.

Vermeer suivra le même chemin. 

 

Conclusion

Avec sa trentaine de tableaux, Petrus Christus est le peintre brugeois des années 1440 et 1450.
Entre les commandes de banquiers italiens et celle d’aristocrates anglais, Petrus Christus semble avoir eu du succès en tant que portraitiste.

Christus est un passeur,
Après Van Eyck -son maître à qui il emprunte de nombreux motifs (preuve qu’après sa mort il a eu accès au fond de desseins de Van Eyck) et
Avant Memling.

Christus est un peintre éclectique, on devine dans ses œuvres tour à tour, les influences de Van Eyck, de van der Weyden et du maître de Flémalle.

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