Vision après le sermon – Paul Gauguin

Paul Gauguin (1848-1903)

 

Vision après le sermon

1888
Huile sur toile
Dim 73 x 92 cm

Conservé au musée National d’Écosse à Édimbourg

 

Cette peinture a été réalisée à Pont-Aven.
C’est l’une des œuvres les plus célèbres de Gauguin
Après un premier séjour en Martinique, Gauguin revient en Bretagne.
Il remarque le tableau d’Émile Bernard Pardon à Pont Aven et s’en inspire pour réaliser Vision après le sermon.
Le tableau représente des villageoises qui viennent d’écouter un sermon faisant référence à un passage de la Bible. Genèse (32 : 22-32) raconte l’histoire de Jacob qui passa toute une nuit à se battre avec un ange mystérieux.

Le peintre avait prévu cette toile pour l’église de Pont-Aven mais, le curé de la paroisse la refuse. Gauguin est très déçu, il pensait avoir rendu le contexte local en peignant les costumes bretons et la lutte bretonne avec la vache comme prix pour le vainqueur.

 

Composition

La composition s’articule autour d’un arbre énorme qui s’étire sur une diagonale traversant la toile.  C’est la colonne vertébrale du tableau et la clef de sa compréhension.

À gauche de l’arbre : des villageoises en costume breton sont en prière et le curé ferme le groupe sur la droite du tableau ; il y aussi une vache a l’air énervé.

À droite de l’arbre : un ange se bagarre contre un personnage, le Jacob de la bible. (L’ange et l’homme -comme la vache, sont représentés à une échelle plus petite).

La composition est aplatie.
Ce tableau ne restitue pas la profondeur, c’est l’opposition des couleurs et la taille des personnages qui contribuent à construire l’espace.

La composition resserrée est renforcée par un effet de cadrage.
En coupant les figures Gauguin fait de ses bretonnes des personnages imposants.

Au XXe, la photographie reprendra ce procédé.

Vision après le sermon est réalisé sous influence :
Les attitudes des lutteurs évoquent une estampe d’Hokusai
Les lutteurs de sumo
La composition montre des similitudes avec les Pruniers en fleurs, Kameido d’Hiroshige et,  avec La lutte de Jacob avec l’ange de Delacroix (1861)
L’absence de modelé, remplacée par l’opposition des couleurs plates et vives est conforme aux estampes japonaises du 18e.
Comme chez les peintres vénitiens, Titien ou Giorgione, on retrouve l’idée de construire un tableau comme un poème.
Mais sans l’espace illusionniste crée par la perspective.

Gauguin s’intéresse à la simplicité des formes, il peint la réalité comme il la ressent.
Il utilise des couleurs forte (le blanc) et arbitraire (le rouge) posées en aplats et cernées, comme cloisonnées. Gauguin aime la couleur rouge.
Le peintre joue sur la capacité de la couleur à traduire une émotion.

Pour Gauguin, le rythme, l’harmonie et le choix de la couleur sont plus importants que la copie du monde réel.

 

Analyse

Gauguin traite un sujet biblique, le texte de la Genèse, la lutte de Jacob avec Dieu.

Gauguin a voulu représenter la lutte intérieure de l’homme.

Une autre interprétation assimile le peintre à Jacob.
Comme lui l’artiste est engagé dans un combat permanent : il affronte la nature avec l’espoir d’en révéler les secrets.

Gauguin présente le sujet comme une hallucination collective.
C’est une vision des femmes sortant de la messe dans un paysage naturel.
La vision cohabite avec le réel.
Il a mélangé le profane et le sacré dans un même espace. La réalité et l’imaginaire se côtoient à l’intérieur du tableau.
Les lutteurs et le groupe de villageoises semblent exister dans une même réalité physique.
Gauguin mêle la réalité prosaïque du monde et le surnaturel.

Le rêve d’un côté et la foi de l’autre : La confrontation de ces deux réalités est extrêmement forte, violente, en rapport avec la composition aplatie et les couleurs très fortes, en particulier le rouge qui relie tous les éléments du tableau.

Cette œuvre ouvre une porte sur un au-delàs.

Gauguin se dégage de la représentation de la réalité pour s’intéresser à d’autres visions, celle du rêve, de l’imaginaire et de la pensée.

C’est la naissance d’un nouveau style pictural, le cloisonnisme. Le peintre l’utilise pour faire cohabiter le réel et l’imagination. La vision du réel est séparée du spirituel par un arbre. Cet arbre permet à deux réalités de coexister dans ce tableau.

Dans sa volonté de symboliser grâce aux moyens de la peinture, ses rêves et ses émotions, Gauguin rompt avec le Naturalisme et l’Impressionnisme.

« Je viens de faire un tableau religieux très mal fait mais qui m’a intéressé à faire et qui me plaît. Je voulais le donner à l’église de Pont-Aven. Naturellement on n’en veut pas[…] Je crois avoir atteint dans les figures une grande simplicité rustique et superstitieuse. Pour moi dans ce tableau le paysage et la lutte n’existent que dans l’imagination des gens en prière par suite du sermon, c’est pourquoi il y a contraste entre les gens nature et la lutte dans son paysage non nature et disproportionné » (lettre de Gauguin à Van Gogh, fin septembre 1888)

 

Conclusion

Le tableau d’Émile Bernard Pardon à Pont- Aven est considéré comme le pendant de Vision après le sermon

Pas à pas au fil des dialogues entre Gauguin connaisseur de l’histoire de la peinture et Bernard jeune artiste prêt à toutes les audaces, une nouvelle façon d’envisager la peinture est née.

Cette première peinture à thème religieux de Gauguin marque une césure dans son œuvre. Cette toile est une messe à la gloire de l’art moderne. Il tourne le dos à l’Impressionnisme et invente le cloisonnisme, il adopte un parti-pris symboliste, une conception globale de la peinture.

Exposé dès 1889 à Paris et à Bruxelles, Vision après le sermon avec son cadrage et sa compositionson sujet imaginaire et religieux, son contre-emploi de la couleur (le vert de la prairie devient son opposé rouge), est considéré comme l’œuvre fondatrice du Synthétisme.

Le chef d’œuvre de la période bretonne de Gauguin amorce les mouvements vers l’Abstraction et le Symbolisme et ouvre la voie à la peinture du XXe et à l’Art Moderne.