Paul Signac (1863-1935)
Le pont des arts
1928
Huile sur toile
Dim 45,5 x 116 cm
Conservé au musée Carnavalet à Paris
Le peintre
Paul est un enfant unique et choyé de la bourgeoisie commerçante, son père est propriétaire de prestigieux magasins de sellerie.
Son ami Felix Fénéon dit de lui « C’est un exubérant qui se dompte ».
A 16 ans, après la mort de son père, la famille s’installe à Asnières où Paul découvre les joies de la navigation.
C’est l’exposition présentée par Claude Monet en juin 1880 dans les locaux de La vie moderne qui décida de la vocation de peintre de Paul Signac.
Signac interrompt ses études et se lance dans la peinture en autodidacte. Il s’exerce à dessiner sur les bords de la Seine et c’est en Normandie, à Port-en Bessin qu’il peignit ses premières marines.
Signac admire en premier lieu Sisley, contemplé en vitrine, mais surtout Monet qui le reçoit avec bienveillance, tout comme Pissarro qui fut un parrain pour lui.
La dimension affective des choix de Signac est flagrante, il a besoin d’apprécier le peintre autant que ses tableaux. Van Gogh bénéficie de cet élan. Signac est l’un des premiers à apprécier son génie. Après l’épisode de l’oreille coupée, Signac descend à Arles lui rendre visite, contribuant, selon les mots de Van Gogh à « considérablement lui remonter le moral ».
Mais sa rencontre décisive est celle de Georges Seurat en 1884, ensemble ils s’intéressent aux théories de Eugène Chevreul et Charles Henry.
Puis il rencontre Henri-Edmond Cross et Théo Van Rysselberghe.
Peintre reconnu, Signac aux sympathies anarchistes, est devenu une figure saillante de la scène artistique parisienne. Signac est un fidèle lecteur de la Révolte, dans les pages duquel il publie en 1891 un texte soutenant que les artistes les plus révolutionnaires sont ceux qui inventent un langage neuf.
Il est élu président des Indépendants en 1908, et décoré de la légion d’honneur en 1911.
Il est le chef de file du néo-impressionnisme dont il a publié le traité théorique : D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme en 1899. L’ouvrage est consulté par toute une génération de peintres passionnés par la couleur.
Il demeurera pendant près de trente ans au service des nouveaux talents. Cette curiosité est une marque de fabrique, et le regard porté vers l’art d’autrui s’est manifesté chez lui depuis l’adolescence. Son premier achat à la boutique du père Tanguy fut un Cezanne qui sera l’orgueil de ses murs : La Plaine de Saint-Ouen-L’aumône vue prise des carrières du Chou –1880. Sa collection ne cessera de s’étoffer au fil des années au gré des variations de ses moyens. Signac vit au cœur de l’avant-garde et naturellement sa collection se concentre essentiellement sur ses contemporains. Finalement sa collection comportera plus de 400 œuvres.
Signac a une propriété à Saint Tropez, il vit la moitié de l’année dans l’éden tropézien. Il invite beaucoup, les peintres amis se succèdent chez lui. En 1892, il accueille son ami le peintre Luce. En 1904, Signac reçoit Matisse, l’été suivant ce sont Manguin, Marquet, Camoin. Signac aime parler peinture et convaincre des vertus de la division des couleurs.
Deux mois plus tard sera lancé le mot « fauvisme » au Salon d’Automne au sujet de cette bande, à laquelle s’ajouteront d’autres artistes.
Alors qu’il préside les Indépendants et que Cezanne et Pissarro disparaissent, Signac rayonne sur la scène artistique, qu’elle soit française ou internationale. Il est devenu une figure incontournable.
En l’espace de quelques mois sa vie bien orchestrée vole en éclats.
Depuis toujours libre de toute contrainte matérielle, Signac a disposé à sa guise du temps et de l’argent pour vivre au rythme de son projet artistique.
Jusqu’à ses cinquante ans, la vie privée de Signac, très stable, lui permet autant de nombreux voyages que d’acquisitions.
La guerre, un double foyer et la paternité rattrapent brusquement cet esthète devenu à 50 ans père de famille.
Le tableau
Le pont des Arts a été construit de 1802 à 1804.
C’est Napoléon Bonaparte qui ordonne sa construction.
Ce sont les ingénieurs Louis Alexandre de Cessart et Jacques Dillon qui mettent en place ce projet.
Le pont sert uniquement au passage des piétons.
C’est le premier pont métallique de Paris, pour piétons, doté de 9 arches en fonte.
Il est composé de piles et culées en maçonnerie sur lesquelles reposent des arcs en fonte supportant un tablier en charpente élevé à 9,76 m au-dessus de l’étiage. Sa largeur entre les têtes est de 9,80 m.
À la suite d’un effondrement partiel dû à la fragilité du pont qui a subi deux guerres et des accidents de navigation, le pont actuel est reconstruit entre 1981 et 1984, avec une structure plus sûre de 7 arches en acier, en parfait alignement avec le pont Neuf.
Le pont relie d’un côté l’institut de France -6ème arrondissement et de l’autre le musée du Louvre -1er arrondissement.
Sur le pont, la vue est imprenable à l’horizon, sur le pont Neuf ainsi que sur l’île de la cité et les deux bras de la Seine.
À partir de 2008, les parisiens profitent des parapets grillagés du pont pour y accrocher des cadenas d’amour.
Les grillages sont retirés en 2015 et remplacés par des panneaux en verre.
Parmi les plus emblématiques ponts de Paris, le pont des Arts se démarque dans le paysage urbain avec ses arches en acier. Il a inspiré les artistes.
Il doit son nom au palais du Louvre, anciennement « palais des Arts ».
Le tableau est présenté au Salon des indépendants en 1934, n°4109.
Composition
C’est un paysage urbain.
Et une composition frontale et extrêmement mesurée.
Signac peint le pont des Arts qui enjambe la Seine sur 155m de long au cœur de Paris entre le 1er et le 6ème arrondissements. À gauche, le quai du Louvre, à droite, le quai Malaquais ; à l’arrière-plan, le pont Neuf, l’île de la Cité et la flèche de la Sainte-Chapelle.
Signac peint une vue du fleuve avec le pont des arts de mille et une couleurs -selon qu’il est dans l’ombre ou la lumière, baigné dans un ciel bleuté, les arbres de la rive droite sont flamboyants à souhait.
La description de l’eau et du ciel, sont pour Signac un prétexte pour multiplier les variations chromatiques.
Ses touches comme autant de points, sont une nuée vibrante qui épouse les nuances pales du ciel et celles plus foncées dans l’eau du fleuve.
Le tableau est fait de contrastes entre les couleurs complémentaires.
Ces contrastes rendent la toile lumineuse.
Signac a un intérêt très vif pour les théories de la couleur développées par Eugène Chevreul et Charles Henry.
Signac utilise la technique du pointillisme initiée par Seurat.
Le peintre pose ses petites touches en mosaïque.
L’utilisation systématique des petites touches larges et vivement colorées rend la matière de ce tableau uniforme.
Signac juxtapose sur la toile des touches de tons purs contrastées dont l’effet est visible à une certaine distance du tableau.
De multiples bleus et aussi du violet composent le fleuve, le ciel et les immeubles -rive gauche, dans des proportions différentes.
C’est l’utilisation de ces différents bleus qui fait toute la complexité et la richesse de cette représentation.
Au premier plan, rive gauche, Signac exprime l’ombre et les reflets par une alternance sur l’eau de couleurs chaudes et froides.
Rive droite, le quai et les arbres sont dans le soleil, de petites touches de couleurs chaudes mêlées, griffées de quelques pointes vertes, le traduisent.
Cette pratique du pointillisme contraste avec la méthode traditionnelle des mélanges de couleurs sur la palette. Les couleurs ne se mélangent pas sur la toile mais dans l’œil du regardeur.
Le pointillisme sollicite la capacité de notre œil et de notre esprit à fondre les taches de couleur.
La télévision utilise une technique similaire pour représenter les couleurs d’images en utilisant le rouge, le vert, et le bleu.
De cette répartition des couleurs lumineuses se dégage une grande énergie.
L’harmonie, le rythme et la couleur dominent le tableau.
La présence forte du bleu évoque l’atmosphère des bords de Seine.
Le rose-orangé rappelle la lumière d’une fin de journée d’été.
La réflexion des arches dans l’eau du fleuve est totale et dynamise la toile.
Signac oppose les couleurs chaudes de la rive droite aux couleurs froides de la rive gauche, d’un côté le soleil, de l’autre l’ombre.
Signac donne à sa toile de la spontanéité et de l’émotion.
Analyse
La place essentielle des marines et des paysages fluviaux a jalonné l’œuvre néo-impressionniste de Paul Signac tout au long de sa carrière.
Signac est un navigateur, c’est un artiste -marin. Il possédait 32 bateaux, participait régulièrement à des régates, s’intéressait à la conception des voiliers et les peignaient.
I- Signac a tracé la route de la libération chromatique.
C’est sur les rives de la Seine que Signac réalise une premières série de paysages néo-impressionnistes.
Il est le peintre de l’eau, de la couleur et de la lumière.
Il organise les couleurs du prisme en de somptueux bouquets.
Chantre de la couleur, Signac n’en apprécie pas moins le contraste du noir et du blanc, qu’il maîtrise avec autant de talent.
Le dernier grand projet de Signac est la série des ports de France qui réunit plus de 200 aquarelles représentant une centaine de ports. Grâce à ce fascinant reportage réalisé de 1929 à 1931, on suit le peintre le long des rivages qu’il connaît parfaitement, de Sète à Menton et de Dunkerque à Concarneau.
À partir de 1895, l’art de Signac évolue dans le sens de la libération de la couleur qui se dégage de plus en plus nettement du motif observé. Conforté par l’exemple de Turner, l’artiste poursuit sa quête.
Signac s’éloigne progressivement du naturalisme et, adopte deux approches complémentaires dans la composition de ses tableaux, comme en témoigne Le pont des arts.
La première approche consiste à choisir pour structurer sa toile, une couleur dominante déclinée en un large éventail de nuances, ici le bleu.
La deuxième approche, Signac brosse une polychromie audacieuse sur le quai du Louvre, la couleur s’émancipe de la réalité, l’imagination de Signac et l’organisation des formes y sont soumises à un équilibre rigoureux.
Ce tableau est un poème de lumière où Signac décline les couleurs du paysage selon l’heure du jour.
La couleur est loin de la réalité observée.
Les architectures colorées et les magnifiques ordonnances s’envolent au-delà de la réalité.
« Il faut être libre de toute idée d’imitation et de copie…il faut créer des teintes » note-t-il dans son journal.
Dans ce tableau la polychromie est audacieuse et la couleur s’émancipe de la réalité.
II- L’eau est un thème romantique et lyrique qui renvoie au passage du temps
« Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine »
Extrait du recueil Alcools -1913, d’Apollinaire et extrait du poème Le pont Mirabeau.
Comme Monet, Signac a trouvé une source d’inspiration constante dans l’évocation de l’eau et de ses couleurs.
La réflexion de la lumière à la surface de la Seine y fragmente le réel et Signac, ardent défenseur de la couleur pure, trouve dans ce motif une illustration naturelle de la théorie néo-impressionniste de la division des tons.
L’observation de l’eau qui reflète les couleurs et les mêle en brisant les formes, lui a permis de casser les contraintes de l’académisme. Tout devient indéfini, agité et fugitif, la ville comme le ciel et le fleuve.
Signac est fasciné par les couleurs changeantes du miroir aquatique qui entretiendront son inspiration toute sa vie d’artiste.
La technique de la division des couleurs ne se prête pas à une pratique en plein air, plusieurs étapes étant nécessaires pour éviter le mélange des pigments. Signac multiplie les études d’après nature avant d’entreprendre la composition finale en atelier.
Au-delà de l’exigence technique de la division des couleurs qui tend naturellement à l’abstraction, son tableau véhicule une puissante poétique.
Le pointillisme trouve sa meilleure illustration dans la nature avec l’eau, seul élément où le morcellement et la fracturation des formes et des couleurs existent à l‘état naturel.
Signac prépare ses tableaux par un ensemble de dessins, d’études peintes sur le motif et de cartons préparatoires.
La méthode de Signac consiste à « aquareller » rapidement, de manière à suivre, les rapides métamorphoses du chromatisme au cours de la journée, puis de retour dans son atelier, à reprendre les délicates transparences. Une série de grands lavis évoquent cette activité de dessinateur, autant de préambules aux toiles, mis au carreau.
« Songez, écrit Signac, que certains effets n’ont duré que deux minutes, que j’ai eu juste le temps d’en noter la clef et qu’il faut maintenant reconstituer le petit drame du souvenir, en évitant d’y introduire des éléments contradictoires, petit jeu passionnant croyez-le-bien. »
Progressivement, Signac privilégie l’aquarelle qu’il pratique avec passion depuis la découverte de Saint Tropez en 1892.
Cette technique lui permet d’élaborer sur le motif une documentation qui lui sert en atelier.
Elle prend définitivement le pas sur sa production peinte à l’huile à partir de 1910.
Il reproduit ses compositions à l’aquarelle avant de les souligner à l’encre.
Sa peinture est une peinture de joie.
Et la joie, Signac l’a puisée toute sa vie dans l’eau des fleuves et la mer.
Signac aime la mer en tant que peintre et en tant que marin. Il sillonna en solitaire passionné les côtes bretonnes, normandes et méditerranéennes.
Ses paysages d’eau sont des poèmes musicaux, la vibration colorée d’une longue note prolongée.
Signac recherche la permanence d’une vision où la vibration colorée crée la forme et remplace tout mouvement par un scintillement. Chez Signac la couleur vit, la couleur luit.
La matière picturale vit et s’anime.
Grâce aux petites touches de couleur, la forme se décolle du sujet, sans s’en séparer clairement.
Les touches de Signac sont apparentes et revendiquées.
Le pointillisme ouvre la voie de la modernité.
Conclusion
La plus grande collection impressionniste nationale se trouve au musée d’Orsay.
Claire Maingon :
« L’impressionnisme fut un art de la rupture, non conventionnel et libre, un renouvellement du paysage avant de devenir une marque. »
Signac travaille avec Seurat et Pissarro, ils forment à eux trois le groupe des « impressionnistes scientifiques ».
Le peintre travaille sur la pratique de la division scientifique du ton et donne ainsi naissance au pointillisme. Cette technique à coup de petites et régulières touches de peinture est longue et exigeante. Par exemple il a fallu plus d’un an à Georges Seurat pour réaliser Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte -1884-86.
Signac ouvre la porte, à la libération de la couleur, mais sa culture et son âge l’ont ancré dans le XIXe. Au tournant du siècle, Signac devient une figure de la scène artistique parisienne et plusieurs galeries lui consacrent des expositions monographiques, en 1902, 1904 et 1907. Il a également conquis un succès international et ses œuvres sont régulièrement présentées à Bruxelles, à Vienne et en Allemagne.
« Signac a été une figure charismatique de la traversée artistique du XXe, depuis ses débuts aux côtés de Georges Seurat, ses espérances placées en Matisse, jusqu’à son influence sur la vie artistique parisienne en tant que président de la Société des artistes indépendants (de 1909 à 1935). »
Sources :
Article de Claire Maingon : L’impressionnisme en scène dans la revue Persée.2013
Pour la biographie : sous la direction de Marina Ferretti Bocquillon et charlotte Hellman : Signac – les couleurs de l’eau – 2013
Dossier Signac – Les harmonies colorées -2021 -musée Jacquemart-André