Pauline, princesse Albert de Broglie – 1853 – Jean-Auguste-Dominique Ingres

Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867)

Pauline, princesse Albert de Broglie

1853

Huile sur toile
Dim 121 x 91 cm

Conservé au Metropolitan Museum of Art à New-York

 

 

Le peintre

Dans un premier temps Ingres est apprenti dans sa ville natale à Montauban. C’est son père qui le forme et lui apprend le violon. Il excelle dans la musique et sera second violon à l’Orchestre du Capitole de Toulouse.
Il rentre en 1791, à l’Académie royale de Toulouse où il se consacre uniquement au dessin.
Puis il déménage à Paris où il devient l’élève de Jacques-Louis David.
Lauréat en 1801 du Grand prix de Rome en peinture, il part en Italie en 1806.
En 1824, il revient à Paris où il connait une reconnaissance officielle. Il s’oppose aux courants romantique et réaliste en privilégiant le dessin sur la couleur.
Nommé directeur de l’Académie de France à Rome, il retourne en Italie de 1835 à 1842.
Cette période est la plus féconde de sa vie. Il dessine à la mine de plomb des portraits qui sont de purs chefs d’œuvres.
Ingres poursuit la perfection avec une ardeur infatigable et une patience que rien ne rebute.
Ingres a d’abord vécu de ses portraits, peints ou dessinés. Ses modèles sont principalement de riches voyageurs effectuant le Grand Tour de l’Europe.
Les académiques lui reprochent les déformations expressives qu’il fait subir au corps dans ses nus.
Ingres est réputé peu sociable.
En 1855, une première rétrospective de son œuvre est présentée à Napoléon III qui le nomme officier de la légion d’honneur, puis sénateur en 1862.

 

Le tableau

Ce tableau est un portrait qui représente Joséphine Eléonore Marie Pauline de Galard de Brassac de Béarn, épouse d’Albert de Broglie.

Ce tableau est l’avant dernier portrait de la série des grands portraits de femme de la haute société, réalisés par Ingres.
Le dernier portrait sera celui de Madame Marie-Clotilde Moitessier.

Joséphine Eléonore Marie Pauline de Galard de Brassac de Béarn était une femme extrêmement timide et pieuse. Mère de cinq enfants et auteure de nombreuses études historiques et religieuses, elle fut emportée par la tuberculose à l’âge de trente-cinq ans.

Le tableau est une commande du comte Othehin d’Haussonville.

Pour rendre hommage à son épouse décédée, son mari conserva toujours son portrait caché derrière des rideaux.
Le portrait reste dans la famille de Broglie jusqu’en 1958.

En 1958,  le portrait est acquis par le banquier Robert Lehman par l’intermédiaire de la société Wildenstein.

En 1969,  il est légué à la fondation Lehman et  donné au Metropolitan Museum of Art en 1975.

Le portrait est présenté dans son cadre d’origine, choisi par Ingres.

 

Composition

Le décor est d’une grande simplicité : boiserie gris pâle, banquette à boutons bleus et fauteuil damassé de jaune bouton d’or, mettant en valeur la beauté délicate du visage, l’élégance de la robe, les bijoux étrusques alors en vogue et les légères plumes de marabout de la coiffure.

Ingres accorde une grande importance à la représentation des tissus et étoffes.

Une banquette damassée bleue et un fauteuil damassé d’un  jaune bouton d’or sont les seuls ornements de la pièce. Sans compter les armoiries discrètement accrochées sur la boiserie à droite de la composition.

Ingres rend la beauté et la réserve de la princesse de Broglie qui porte une robe du soir à crinoline. La robe est gonflée par ce jupon fait de crin.

Il peint avec virtuosité la splendeur des dentelles, des rubans, du satin de la robe de la princesse et, avec une géniale exactitude, ses bijoux somptueux, son écharpe brodée -abandonnée sur le fauteuil avec le chapeau et les gants, et la soie damassée du mobilier.

Les bijoux obéissent à une mode très stricte, aux traditionnels bijoux à la française sont mêlés des bijoux à la mode étrusque, copiés de la collection Campana -qui était une référence pour l’élite du XIXe.

Le cadre est resserré sur le modèle qui, accoudée sur le dos d’un fauteuil, pose, le corps de trois-quarts et le visage de face, les yeux tournés vers le regardeur. Le plan rapproché coupe ses pieds.
Le visage est doux, les épaules sont dénudées sans provocation, la main baguée suit son inclinaison naturelle.

Ce portrait est un jeu de courbes. Courbe de la robe, courbe des épaules, courbe des sourcils, courbe de la coiffure, courbe du dossier du fauteuil.

Ingres recherche l’harmonie. Il prend des libertés avec l’anatomie.

L’observation attentive du modèle permet de se rendre compte que l’épaule gauche du modèle est plus basse que l’épaule droite et moins arrondie.
Ingres a modifié le modelé ce qui lui permet de dégager une ligne de cou plus gracieuse.

Ingres est attentif à la puissance d’attrait.
Raison pour laquelle il prend des libertés avec la réalité.

Ingres accorde une grande attention au dessin.  Sa touche est parfaitement lissée.
Ingres exprime la vie à travers ses lignes presque imperceptibles qui rendent la splendeur des formes, la grâce du visage et la richesse des étoffes.

Ce portrait a tout le charme de l’académisme du XIXe.

Ingres peint le portrait d’une personne charmante et élégante.

  

Analyse

Tour d’horizon :

Se considérant comme un peintre d’histoire, Ingres déplorait de devoir gaspiller son temps et son talent dans une activité aussi ingrate que le portrait. Il en exécuta pourtant tout au long de sa carrière, au côté de ses tableaux historiques. Il immortalisa ainsi les grands personnages et les modes de son temps.

Ingres réalisa plus d’une quarantaine de portraits, dont les commandes officielles telles que Napoléon 1er sur le trône impérial. Son chef-d’œuvre, L’apothéose d’Homère, était lui-même une galerie de portraits. Tous sont imprégnés de la tradition académique de l’école des Beaux-Arts de Paris, qui prône l’ordre, la forme et la suprématie de la ligne.

Élève de Jacques-Louis David qui regretta lui aussi d’avoir à réaliser des portraits, Ingres pendant son séjour à Rome, s’imprégna de l’œuvre de Michel-Ange, de Raphaël et d’autres grands maîtres. Il y réalisa une série de dessins au crayon de ses amis et de personnalités, dont le portait de Niccolò Paganini, le grand violoniste italien. Il introduisit le portrait à la mine de plomb et fit preuve d’un exceptionnel talent de dessinateur.

Après la destitution de Napoléon en 1815 et à la fin de l’occupation française en Italie, le mécénat périclita pour les artistes français. Ingres fut contraint de partir pour Florence. Peu après son arrivée, Ingres peignit un portrait du sculpteur Lorenzo Bartolini -1820, qui selon ses contemporains, atteignait la quasi-perfection.

De retour à Paris en 1824, Ingres se plaint toujours de peindre des portraits. Il ne peut toutefois résister à représenter les grandes dames de la nouvelle et opulente bourgeoisie.

Ingres appréciait au plus haut point les belles femmes et excellait dans le portrait féminin, notamment dans le rendu des détails vestimentaires.
Les superbes toilettes et accessoires de ses sujets trahissent son plaisir à reproduire la brillance de soies les plus fines, les détails de la dentelle de Chantilly et l’éclat des bijoux.

C’est durant cette période qu’Ingres peint l’un de ses portraits majeurs, celui de Louis-François Bertin -1832, journaliste de renom. Ce portrait massif symbolisait parfaitement l’ascension de la bourgeoisie au milieu du XIXe.

Le tableau au tamis :

La princesse de Broglie est une superbe femme et le plaisir d’Ingres à réaliser son portrait est palpable.

Ingres dessine la princesse avec volupté jusqu’au bout de ses longs doigts effilés, la main est parfaitement belle.
Les bras sont posés l’un sur l’autre, ils sont d’une pâleur nacrée et se détachent du satin bleu de la robe.
Les épaules en pleine lumière, qu’aucune ombre ne vient griffer, sont modelées avec force et finesse.
C’est une pause vraie et vivante.

Le modelé d’Ingres est rond et lisse. Il mêle une touche d’idéal antique et les minuties de l’art moderne.

La lumière glisse doucement sur les épaules de la princesse. Le satin de la robe est d’un bleu délicat, mis en valeur par le jaune bouton d’or du fauteuil. La robe du soir est juste parée de rubans et de dentelle.
Ingres peint les plis du satin avec exactitude.

Le canapé qui court le long du mur est  bleu, un bleu plus soutenu.
Le goût d’Ingres pour choisir sa gamme chromatique est prodigieux.
Les couleurs sont lumineuses.
Le regardeur reconnait la force intense des couleurs qui caractérise l’école vénitienne.
La couleur est franche, brillante.

C’est un choix minimaliste, deux bleus, un jaune, un bois gris, le blanc de la dentelle et des plumes et puis la peau nacrée du modèle.

Les courbes et les contre-courbes se glissent dans ces couleurs et mettent le modèle en valeur.

Ce portrait a une vigueur et un éclat de ton toute vénitienne.

Ce visage est une merveille d’éclat et de réalité. Un imperceptible sourire éclaire ses pommettes.

Ingres a réalisé un chef d’œuvre de grâce.

Le peintre a peint une princesse du monde, il a su être opulent sans être fastueux.
Tout est choisi, exquis : mobilier, accessoires et bijoux.
La perfection des détails ne nuit en rien à l’élégance de l’ensemble.

Ce portrait est une illustration de la mode féminine au début du second empire.
Ingres met en évidence l’opulence financière du modèle.

Son tableau est calme. Ingres travaille la puissance et la simplicité de son style.
La composition tranquille, la netteté de la silhouette sont le secret d’un portrait réussi.

À la ressemblance extérieure du modèle Ingres joint la ressemblance interne, il peint sous le portrait physique le portrait moral.

L’épouse de duc de Broglie représente la maison de Broglie, vieille famille aristocratique et doit paraître digne, belle et riche.
Ingres fait transparaître avec beaucoup de retenue la psychologie du modèle.

Ingres rend la simplicité, le naturel et la vie.
Son portait fin, aristocratique, reproduit avec un charme fou la grande dame moderne.

Le regardeur est saisi par cette harmonieuse perfection.

 

Conclusion

Dans l’histoire de la peinture, Ingres a une place à part. C’est un néoclassique et un romantique à la fois. Disciple fervent de Raphaël et de l’antiquité, Ingres a conquis dans l’art contemporain une importance que nul ne saurait lui contester. Son intérêt pour le dessin et l’art de la ligne ont séduit les artistes du XXe comme Picasso et Matisse qui sont attentifs à son travail sur le corps. Matisse admirait son sens de l’arabesque qui menait Ingres à prendre des libertés avec l’anatomie. On pense à L’Odalisque –1814

Ingres est trop austère et trop primitif pour les classiques d’alors.

Ingres, comme les artistes de la Renaissance, a eu le sentiment de la beauté féminine.
La plus belle forme de l’idéal a toujours été pour lui la femme et il en modèle les délicates proportions avec une pureté virginale.

La Presse, Beaux-Arts – ouverture du salon, 1ermars 1837 :
« Ingres se crut en sureté que dans l’école de Raphaël, il craignait le dessin flasque et mou de ces messieurs de l’Académie. Delacroix dessine le mouvement et Ingres le repos. L’un attaque les figures par le milieu et l’autre par le bord. Celui-ci avec un pinceau, celui-là avec un crayon… »

Le Moniteur Universel, exposition universelle de 1855 :
« Ingres représente maintenant les hautes traditions de l’histoire, de l’idéal et du style ; à cause de cela, on lui a reproché de ne pas s’inspirer de l’esprit moderne, de ne pas voir ce qui se passait autour de lui, de n’être pas de son temps, enfin. Jamais accusation ne fut plus juste. Non, il n’est pas de son temps, mais il est éternel… »

Conclusion d’ Ingres, extraite  d’une lettre adressée à son ami Gilibert de Montauban :
« Dessine, peint, imite surtout, fût-ce de la nature morte ; toute chose imitée de la nature est une œuvre, et cette imitation mène à l’art. »