Le semeur au soleil couchant – automne 1888 Van Gogh

Van Gogh (1853-1890)

 

Le Semeur au soleil couchant

1888

Huile sur toile
Dim 73 x 92 cm

Conservé en Suisse, à Zurich dans la collection Emil Bührle

 

Le Peintre

Peu reconnu de son vivant, Vincent Van Gogh est aujourd’hui l’un des peintres les plus célèbres au monde. Prolifique, il produisit environ 900 tableaux et près de 1100 dessins et esquisses, au cours d’une carrière qui dura une décennie avant sa mort due à une blessure par balle qu’il s’infligea lui-même.
En 1855 il est à Anvers où il peint des portraits aux couleurs sombres des peintres hollandais du XVIIe.
En 1866 il est à Paris, à Montmartre, il voit les expositions de Degas, Monet et Sisley. Il rencontre les peintres impressionnistes et post impressionnistes, Pissarro le pousse à adopter une palette comportant plus de couleurs.
En 1888 poussé par la nécessité d’aller au-devant de la lumière, admiratif des tableaux de de Cézanne, il s’installe en Arles.
En 1889 il est à Saint Rémy
En 1890 il retourne à Paris, à Auvers sur Oise. Cette dernière année de sa vie est une période très prolifique, il peint pratiquement un tableau par jour.


Le tableau

Van Gogh décide de s’installer en Arles en février 1888, attiré comme bons nombres de peintres de son époque (Monet, Cézanne, Gauguin, Signac, Toulouse Lautrec, entre autres) par la lumière provençale et la limpidité de l’atmosphère. Van Gogh se passionne pour les nouvelles couleurs qu’il découvre.

Le motif du semeur est récurrent dans son œuvre.
Il existe plusieurs versions dont celle datant de juin 1888 conservée aux Pays-Bas à Otterlo. Van Gogh s’est inspiré du Semeur –1850 de Jean-François Millet qu’il admire. Le tableau commenté est sa dernière version peinte en automne 1888.

Ce semeur diffère des versions précédentes par le contraste renforcé du premier plan.

Van Gogh l’a signé. Ce qui est exceptionnel dans son œuvre.

 

Composition

La composition tisse l’influence du japonisme.

Le premier plan est très présent avec une détermination redoublée des formes pour la silhouette esquissée du semeur et pour la diagonale de tronc de l’arbre.
Traités dans des couleurs sombres le semeur et l’arbre se découpent sur la toile.
Le semeur est esquissé, il n’a pas de visage, (dans les estampes japonaises les figures ne sont pas individualisées). Seule compte sa gestuelle renforcée par sa main droite -celle qui sème- surdimensionnée.
Quant à l’arbre, il est pratiquement réduit à un tronc. Il prend racine dans le coin droit du tableau et traverse la toile dans une diagonale puissante qui heurte le haut du tableau ; un bouquet de frêles branches courbées vers le ciel renforce l’idée de la diagonale.
Le second plan est un environnement végétal, il est traité comme un décor.
Les champs labourés ont des couleurs psychédéliques. L’intensité des couleurs est un apport des estampes japonaises.
Les champs se superposent, emportés jusqu’à la ligne d’horizon, par les diagonales vertes et rouges qui rythment la composition.
La ligne d’horizon traverse le tableau dans son axe médian.
Le ciel occupe la moitié supérieure de la toile.
Un grand ciel jaune striée par les nuages.
Posé sur la ligne d’horizon à gauche de l’arbre et dans l’axe du semeur un énorme soleil jaune citron auréole le paysan. C’est un soleil de décor, un disque plat, en référence aux estampes japonaises.
En pendant, à droite de l’arbre, un bosquet d’où émerge un mas (une ferme provençale).
Il n’y a pas de relief (comme dans les estampes japonaises), ce sont les diagonales qui créent une perspective audacieuse et donnent le sentiment de la pente.

Van Gogh utilise des couleurs saturées qui ne sont pas naturalistes mais qui traduisent la chaleur et l’intensité de la lumière.
Les ondulations noires ourlées de bleu de Prusse du costume du semeur imitent les ondulations noires de l’écorce de l’arbre ourlées de mauve.
Un contour noir et épais souligne la silhouette du semeur et le tronc de l’arbre
Tandis que les champs derrières sont animés par les épais empâtements de la terre ensemencée. Découpés par des lignes vertes et rouges les champs vibrent dans la lumière du soleil couchant.

Ces empâtements et les contrastes de couleurs restituent l’atmosphère de Provence. Il peint par petites touches très épaisses des violets des bleus des roses des verts des rouges des jaunes

Van Gogh vénère la couleur jaune qui joue un rôle primordial dans ce tableau ; le jaune occupe toute la moitié supérieure de la toile, nuancée de vert, il reproduit la teinte soufrée de la lumière. Le ciel est strié de quelques traits-nuages rose bordés de rouge, en surimpression un disque parfaitement rond et jaune figure le soleil.

Il n’y a pas de volutes dans ce tableau, une ou deux courbes, le dos et le bras du semeur, reprises par les fines branches de l’arbre courbées vers le ciel. Le reste est traité par petits (dans les champs) ou grands traits (pour le ciel) en diagonales (dans les champs) ou horizontales (pour le ciel).

 

 

Analyse

Le peintre instaure un dialogue entre le paysan et la nature.

Ce tableau concentre les découvertes stylistiques et techniques de Van Gogh qui ont influencé la pensée moderne.

 I -Les découvertes stylistiques, les couleurs, la facture, les influences.

Il traduit ses pensées et ses sentiments à l’aide d’éléments formels et d’une iconographie très riche : le soleil, l’arbre, le semeur et le symbolisme des couleurs.

La dynamique des champs labourés s’exprime à travers l’affrontement des couleurs complémentaires et la rupture continue des tons. Ce qui a pour résultat de déformer la perspective qui se bombe en touchant le ciel.

Van Gogh imprime son tableau de sa gestuelle singulière, mue par un besoin profond de communiquer ses émotions.

Avec leur tonalité sombre et terreuse et leurs sujets ruraux, ses premières œuvres, tels les Mangeurs de pommes de terre –1855, reflètent l’influence de la peinture de genre hollandaise du XVIIe et du réalisme de Jean-François Millet.

En 1886, Van Gogh est à Paris. Il côtoie la richesse chromatique des œuvres impressionnistes et découvre le divisionnisme de Seurat.

Ses couleurs deviennent plus vives et il expérimente une forme modifiée de la facture discontinue des impressionnistes et du pointillisme, comme en témoigne Intérieur d’un restaurant –1887

Le Semeur au soleil couchant assimile diverses influences, l’espace des estampes japonaises, le didactisme du baroque hollandais et l’idéalisation du paysan rencontrée chez Millet.

En 1888 Gauguin est en Bretagne et peint Vision après le sermon.
On retrouve dans le tableau de Van Gogh la diagonale puissante de l’arbre qui traverse le tableau de Gauguin.
Chez Gauguin l’arbre sépare le monde réel -celui des paysannes bretonnes et le monde imaginaire -celui de leur vision provoquée par le sermon du prédicateur.
Chez Van Gogh la juxtaposition de l’arbre et du semeur est le sujet du tableau.

 II -Les découvertes techniques.

Le Semeur au soleil couchant est un témoignage de l’intensité de ses sentiments face à ce sujet.

Ce n’est pas un hasard si le rond parfait du soleil est précisément dans l’axe du semeur, il joue un rôle clé dans ce tableau en devenant une auréole.

Van Gogh nous signifie ainsi son respect et son amour pour le travail de la terre. Ce soleil plein, d’un jaune citron, renforce l’intensité fascinante du geste du semeur qui se détache sur le bouillonnement des coups de pinceau.

Van Gogh utilise son instinct de la couleur pour peindre un grand soleil jaune, symbole du divin.

Van Gogh dit une seule chose et la dit bien.
C’est avec l’aide du soleil de Provence que Van Gogh délivre son message spirituel. Il transforme son sujet, un paysan travaillant dans un champs labouré au soleil couchant en Provence, en une vision mystique.

Le thème du semeur s’il témoigne du respect du peintre pour les travaux des champs est aussi pour Van Gogh une référence religieuse (Van Gogh est le fils d’un pasteur) le semeur représente le semeur de la parole de Dieu.

Une intense spiritualité se dégage du tableau.

Le Semeur au soleil couchant est une interprétation de la manifestation du divin dans la nature. Le paysan bénit par l’arbre, auréolé par le soleil, sème le bon grain qui s’échappe de sa main droite surdimensionnée.

Le personnage tout en rondeur dans sa blouse paysanne en lin épais, épouse le geste. Son visage est juste tracé pour ne pas interférer avec le mouvement et l’intention qui, seuls comptent.
Les inflexions du corps de l’homme et celle de l’arbre expriment la respiration de la terre. Les graines qui volent dans le vent donne le sens de l’infinité de tout ce qui pousse et se répand dans le tableau.
L’homme est enveloppé dans ce tout vivant.
La composition est lumineuse.

Le peintre a décelé dans la nature quelque chose de divin et cela l’obsède.

Van Gogh est tenaillé par le sens à donner à sa vie et cherche des réponses.
Cette composition témoigne de la manière dont il réfléchit à son existence.
Dans ce tableau il a peint le temps qui passe, le symbole de la vie.

L’art ne peut ni racheter ni sauver, l’art en lui-même ne peut fournir les réponses aux questions éternelles.
L’art ne tient pas compte du désespoir du peintre.
Et si Van Gogh a peint pour échapper à l’enfer, le peintre est tombé dans un leurre qui l’a conduit à sa fin tragique.
Van Gogh a tracé le chemin au milieu du champ de blé et, dans un froissement d’ailes de corbeaux, a marché jusqu’au nuages. Champs de blé aux corbeaux -1890.

Le Semeur au soleil couchant est signé, ce qui est inhabituel et révèle la satisfaction particulière du peintre pour cette œuvre.

 

Conclusion

De son vivant, Van Gogh a vendu un seul tableau :
La vigne rouge peint en Arles en 1888.

Théo son frère qui l’a soutenu moralement et financièrement durant toute sa vie de peintre est mort un an après lui. C’est la femme de Théo qui a géré l’héritage de Vincent (correspondances entre les deux frères et tableaux) on lui doit en partie la reconnaissance internationale de Van Gogh.

Dans les œuvres de Van Gogh l’expression émotionnelle prend le pas sur le naturalisme. Van Gogh est extrêmement sensible à la couleur, grâce à elle, il s’exprime avec éloquence et sentiment.
Extrait d’une lettre de Vincent à son frère Théo : « …même en intensifiant toutes les couleurs on arrive encore au calme et à l’harmonie ».

Van Gogh a donné un élan audacieux à l’Art et a influencé des générations d’artistes