Adoration des bergers – 1534 Lotto

 

Lorenzo Lotto (1480-1556)

 

Adoration des bergers
1534

Huile sur toile
Dim 147 x 166 cm
Conservé à Brescia, Pinacoteca Civica Tosio Martinengo

 

 

Le peintre

Contemporain de Titien, Lorenzo Lotto est un grand peintre italien de la première moitié du XVIe.
Il voyage beaucoup, comme un artisan, de chantier en chantier. Il possède une solide culture religieuse et humaniste.
Lotto se démarque de la peinture vénitienne de son époque.
À Venise il apprend aux côtés de son ami Titien. Lotto est influencé par les œuvres de Giovanni Bellini, de Léonard de Vinci et de Giorgione. Il s’inspire de la grâce du Corrège et des couleurs des écoles du Nord de Dürer et Holbein.
C’est un portraitiste de grand talent, il fait preuve d’une grande finesse d’observation.
Lotto repart pour le Nord d’abord à Trévise en 1503.
Après un passage à Rome en 1509 où il travaille au palais du Vatican avec Raphaël, il s’installe à Bergame de 1513 à 1525.
Bergame correspond à sa période la plus créative. Il humanise les églises de la ville celles, de Santo Spirito, de San Martino et de Celena avec ses anges sveltes et musclés.
De 1525 à 1549, il demeure à Venise.
En 1550, il perd la voix et en partie la vue.
En 1552, il se retire dans le monastère de Lorette, dans les Marches.
En 1554, Il devient frère convers.
Il restera dans ce monastère jusqu’à sa mort.

La vie de Lotto s’est déroulée sur un fond historique tragique.
Il résidait à Bergame lors de l’intrusion des troupes impériales et le Sac de Rome. Il vécut assez longtemps pour connaître la Contre-Réforme artistique qui accompagna le Concile de Trente (1545-1563).

 

Le tableau

Lotto illustre un épisode biblique concernant la naissance de Jésus.
L’enfant jésus vient de naître à Bethléem et les bergers viennent lui rendre hommage.

Saint Luc rapporte l’événement dans son Évangile (2 :8-20).
Des bergers proches de Bethléem sont informés par des anges de la venue du sauveur : « Aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur qui est le Messie, le Seigneur. » Les bergers décident de se rendre à Bethléem pour vérifier les paroles de l’ange. Ils sont accueillis par Marie et Joseph et se prosternent devant l’enfant Jésus.

La grande simplicité du récit biblique a été magnifiée dans de multiples illustrations artistiques dès le Moyen-Âge.

Lotto dans ce tableau fait un portrait familial.
IL représente la famille Gusson, prêtant aux bergers, à la vierge et aux anges les traits des frères, de la femme de l’un d’eux et de leurs filles.

À l’époque de Lotto il était d’usage de représenter des portraits dans un contexte biblique.

 

Composition

Le décor est minimalisé pour se concentrer sur les expressions des personnages.

Marie est sur le coté gauche du tableau comme Joseph et l’âne. Elle est en adoration devant son fils qui occupe le centre du tableau.
Les bergers sont prosternés à droite du tableau, dans leur dos se tiennent deux anges porteurs de la nouvelle.
Dans l’espace dégagé au-dessus de l’enfant Jésus apparait la tête du bœuf.

Marie, l’enfant Jésus et les deux bergers sont représentés au premier plan.
Dans leur dos, au second plan et de la gauche à la droite du tableau, on trouve Joseph, l’âne et le bœuf et les deux anges.
Un élément d’architecture constitue l’arrière-plan, ce sont les boiseries de l’étable. À gauche du tableau, elles ménagent une grande ouverture avec un auvent de chanvre qui repousse le fond du tableau et apporte de la profondeur. Par cette ouverture, on découvre un ciel bleu avec un soleil lumineux voilé par de petits nuages qui tempèrent le bleu du ciel. À droite de la composition, une arcade délimitant une stalle découvre une fenêtre dans sa partie haute.
Cette fenêtre est remarquable. C’est une ouverture en forme de carré découpé par un barreaudage en forme de croix. Le volet intérieur est ouvert mais pas rabattu sur le mur, sa position donne de la profondeur à une composition très ramassée. Par cette ouverture sur le ciel bleu, un puissant rayon de lumière pénètre dans l’étable. Il est presque surnaturel. Lotto l’a matérialisé en diluant les couleurs sur son passage.

Il y a deux sources de lumière dans ce tableau, l’entrée de l’étable et la fenêtre. Les rayons du soleil levant illuminent la composition et finissent leur course sur l’enfant Jésus.

Le premier plan est très clair et le second plan pas vraiment obscur.

L’enfant jésus est au centre de la composition, au croisement des deux lumières et au croisement de tous les regards -sauf un, celui d’un ange qui s’adresse à nous.

Le tableau est légèrement en contre-plongée par rapport au spectateur.

Le visage de la vierge est pâle, fin et distingué.
Chaque personnage a sa posture, ces différences dynamisent la représentation.

Les personnages sont très dessinés.
Le trait est précis, les couleurs sont lumineuses.
Les bleus, les rouges, les jaunes des vêtements dans toutes leurs nuances animent le tableau, c’est un régal.

 

Analyse

L’objectif du tableau est de stimuler la sympathie du spectateur en l’invitant à ressentir l’émotion de la vierge et des bergers.

Ce qui caractérise cet épisode c’est sa grande modestie.
Lotto s’attache à reproduire la réalité et l’apparence de la vie.

Le classicisme avec son harmonie idéale constitue pour lui un leurre inacceptable.

Son style emprunté à Titien, à Raphaël et au maniérisme, fait ressortir l’humanité des personnages et leurs états d’âme.
Lotto peint d’une manière précise avec un goût pour les détails.
Il impulse un souffle de réalité en mettant du sentiment dans les gestes de ses personnages.

L’attitude de l’enfant Jésus tendant les bras vers l’agneau est extrêmement touchante et d’un grand naturel.

Tous les regards sont tournés vers l’enfant, sauf celui de l’ange qui nous interpelle. Lotto est le peintre de l’âme.

La scène est représentée dans un milieu rural, la simplicité des lieux sied à la piété et aux personnages. Les personnages sont peints tels que le peintre les voit.
Il n’embellit pas.
On note les détails de la couche de l’enfant Jésus, l’osier du panier, les brins de paille, et on ressent une infinie tendresse.

En sollicitant notre émotion, Lotto donne au geste de l’enfant une autre dimension, il devient un signe allégorique et allusif de la mort du Christ.
Tissé par la lumière qui traverse le tableau et fuse de l’entrée de l’étable et de la fenêtre, le message spirituel passe, présageant symboliquement de la destinée de Jésus.

Jésus tend les bras vers l’agneau et l’agneau devient l’agneau pascal.

D’autre part les bergers ont une puissance symbolique. Ils incarnent les gens simples, ils sont les premiers informés par les anges de la naissance de l’enfant Jésus, les premiers à le voir et à porter le message de sa venue.

Cette œuvre dégage à la fois, une douce joie et une grande sérénité.
Les couleurs chatoyantes, la beauté du visage de la vierge drapée de bleu, sont un enchantement.
Les contrastes chromatiques sont réjouissants.

Que nous transmet le regard de l’ange. Nous sommes devant une scène intime, sommes-nous invité…

On n’entre pas dans ce tableau, notre regard glisse.

Je me souviens d’avoir observé ce tableau avec précaution, avec le souci de ne pas perturber l’harmonie, de laisser l’émotion m’envahir et,  comme les personnages, de poser mon regard sur l’enfant.
J’ai senti le souffle chaud du bœuf, l’odeur âcre de la laine de l’agneau et, à travers l’expression du beau visage de la vierge, la profondeur de son âme.

Ce tableau est conservé dans un musée de Bergame, mais beaucoup de tableaux de Lotto sont toujours in-situ, préservés du temps qui passe dans la pénombre des églises de Bergame. Et quand on s’approche de ses œuvres, on sent vibrer l’esprit de Lotto.

Voyagez à Bergame pour voir ces tableaux d’une grande beauté et toucher du doigt cette magie picturale.

Les représentations de Caravage (1609) et de Georges de la Tour (1645) sont également remarquables pour leur dépouillement et leur intensité. Le tableau de Caravage reprend les effets de nocturne de Lotto et on retrouve son réalisme.

Après Lotto, il faudra attendre les frères Carrache et Velázquez pour voir ressurgir en Italie les scènes de genre qu’avait connues le Moyen-Âge et ignorées la Renaissance.

 

Conclusion

Lotto l’incompris, le scrutateur d’âmes, au style trop novateur pour son époque la Renaissance, est un formidable portraitiste du XVIe.

Lotto n’a pas eu d’atelier ni de disciple. Son œuvre n’a jamais été copiée, contrairement à celle de Titien ou de Véronèse.

La reconnaissance universelle se fera attendre.

Lorenzo Lotto inclassable auteur de fresques, de peintures d’autel, d’allégories profanes, de portraits est contemporain de Titien qui l’a éclipsé.

Pendant plusieurs siècles, Lotto, cet authentique grand peintre, s’est évanoui.
Bien que Vasari l’évoque dans sa réédition de ses Vite, en 1568.
Oublié au XVIIe et XVIIIe, Lotto sort d’un long sommeil à la fin du XIXe.

En 1895, c’est un jeune historien d’art américain, Bernard Berenson qui l’a remis dans la lumière en publiant sa première biographie.

Les expositions de 1953 au palais des Doges et de 1983 à Londres  ont donné une vue d’ensemble de ses créations (plus de cent tableaux) et l’ont réhabilité.

Plus récemment, en 2018-2019, le Prado de Madrid et la National Gallery de Londres ont rendu justice à l’importance de Lorenzo Lotto.

1, 2 et 3 … Lumières ! Vœux 2021


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24 décembre 2017 à 24 décembre 2020
Déjà  trois ans de voyages dans les Lumières !

En exprimant l’espoir de vous retrouver nombreux dans les Lumières des étoiles

En souhaitant  que ces voyages dans les Lumières vous aide à bien commencer ou finir vos journées

Je vous adresse  mes meilleurs voeux pour l’Année Nouvelle

Et vous prie de me croire, chers voyageurs des Lumières, votre

Brigitte-Marie Fouilloux-Mesnil
lumieresdesetoiles@gmail.com