Jasper Johns (1930 – )
Map
1961
Huile sur toile
Dim 198,2 x 314,7 cm
Conservé au MoMA à New-York.
Le peintre
Jasper Johns grandit dans le sud des États-Unis, à Augusta en Géorgie, puis en Caroline du Sud.
Ses brèves études à l’université de Caroline du Sud, puis à New-York, sont interrompues par deux ans de service militaire, dont six mois passés au Japon.
En 1949, il suivit quelques cours à la Parsons School of Design, à New-York, où il revint s’installer en 1954. Il rencontra Robert Rauschenberg cette même année.
En 1955, il commence à peindre des motifs de drapeaux et de cibles.
En 1958, a lieu sa première exposition personnelle à la galerie Leo Castelli de new-York.
Cette exposition connait un succès de scandale.
Ce fut le début d’une collaboration fructueuse avec Leo Castelli qui dura plusieurs décennies.
L‘année 1961 est considérée comme un nouveau tournant dans l’évolution de l’œuvre de jasper Johns.
Son succès lui permet de se retirer partiellement du monde de l’art new-yorkais. Il passe plusieurs mois de l’année chacune des années suivantes, dans une maison achetée sur l’île d’Edisto en Caroline du Sud.
En 1973, il devient l’artiste américain vivant le plus cher et, en 1980, le Whitney Museum de New-York achète Three Flags -1959 pour 1 million de dollars.
Après de multiples expositions personnelles dans le monde entier, jasper Johns recroît en 1988 le grand prix de la biennale de Venise au cours d’une rétrospective de ses œuvres, qui occupe la totalité du pavillon américain.
Le tableau
Jasper Johns ajouta des cartes des États-Unis à son répertoire de motifs quand son ami et amant Robert Rauschenberg lui offrit, en 1960, en guise de matière première une carte du pays achetée dans le commerce. C’est une carte vierge simplifiée pour les coloriages d’enfants.
Le thème sera par la suite abondamment décliné.
L’image est paradoxale -à la fois préexistante et produit de l’imagination – et la forme du pays est fidèle à la réalité du plan, mais Johns prit des libertés avec les frontières et les noms des États inscrit au pochoir.
Dans ce tableau jasper Johns utilise la technique du all-over, avec toutes ses formes entrelacées sans aucune hiérarchie visuelle, il investit la totalité de la toile.
La peinture est appliquée de manière énergique.
Ses coups de pinceaux ressemblent à ceux retrouvés sur les peintures expressionnistes abstraites de Jackson Pollock ou sur les dernières œuvres de Paul Cezanne.
Les frontières entre les états ne sont pas nettes. Les noms des états et des zones océaniques sont marqués au pochoir.
Map est colorée, ludique, interessante et immersive.
Les couleurs ont une telle richesse et une différenciation chromatique si subtile, la structure sérielle de son tableau est si convaincante et la variété des harmonies si cohérente que ce tableau compte parmi les meilleures œuvres de l’art contemporain.
La technique de la peinture à l’encaustique, un mélange de cire chaude et de pigments, sèche presque instantanément figeant dans la cire les gestes du peintre et permettant l’application de plusieurs couches de peinture qui donne au tableau le caractère d’un objet.
Cela donne au tableau une force et une présence plastiques surprenantes qui font de Jasper Johns un maître incomparable de la matière picturale.
Map adopte le motif et les dimensions de la carte américaine et se confond avec elle.
C’est une œuvre intrigante qui défit notre perception habituelle des cartes.
Le regardeur est partagé entre deux perceptions : celle de la carte et celle de la peinture.
Le regardeur peut voir indifféremment une exaltation comme une dérision de l’emblème.
Analyse
Un matin de 1954, après avoir rêvé dans la nuit, Jasper Johns décida de peindre un drapeau américain -le premier d’une série d’œuvres célèbres.
Variations sur le thème du ready-made, le drapeau, motif simple, lui permet d’explorer des questions complexes sur la coexistence de l’illusion et de la réalité, de l’abstraction et de la représentation.
En intégrant des « éléments préformés, conventionnels, dépersonnalisés, factuels, extérieurs », la peinture de Jasper Johns interroge la distinction entre voir et savoir.
Drapeaux, cibles, cartes et crayons sont des objets fréquemment rencontrés ; Johns choisit de se concentrer sur ces éléments familiers « que l’esprit connait déjà » afin d’avoir « la place pour travailler à d’autres niveaux ».
Il part d’une image si courante qu’elle en est presque invisible et nous force à la regarder avec un oeil neuf en l’arrachant à son contexte habituel : que signifie percevoir une chose, et que signifie la considérer dans un cadre esthétique ?
La peinture de Johns rompt avec l’abstractionnisme exclusif de la précédente génération et réintroduit la figuration dans la modernité de l’art.
Johns déclarait, en outre, ne pas vouloir exposer ses émotions dans son travail, et ce détachement semblait en lui même l’antithèse d’un expressionnisme abstrait dont le rapprochent, en revanche, son approche « décentralisée » de la surface picturale, sans hiérarchie des éléments, et sa facture expressive aux coups de pinceaux bien visibles.
Il insiste cependant sur le fait que ses tableaux ne sont pas « simplement des gestes d’expression ».
Jasper Johns découvrit assez tôt la technique ancienne de la peinture à l’encaustique, qui lie le pigment à de la cire fondue. Son séchage rapide permet de garder intacte chaque touche successive, et sa translucidité laisse apparaître toutes les couches superposées; la surface retient et inscrit chaque geste.
Le peintre ajoute parfois du papier journal ou d’autres matériaux qui densifient la qualité organique de la surface et affirment l’existence de l’œuvre comme entité propre; non pas substitut au sujet représenté, ni illusion d’aucune sorte, mais en elle-même un objet bien réel.
Les productions de jasper Johns suscitèrent des interprétations multiples.
Leurs connotations symboliques et métaphoriques restent ouvertes; elles sont délibérément multiples et résistent aux explications univoques.
Bien que Johns est découvert le style de Marcel Duchamp, alors qu’il avait déjà atteint sa maturité artistique, celui-ci devint, après leur rencontre en 1959, une influence majeure.
La description qu’il fit du travail de Marcel Duchamp pourrait s’appliquer au sien « un domaine où le langage, la pensée et la vision se répondent ».
Commentaire du MoMA : « Jasper Johns a surement voulu illustrer l’homogénéisation de la société américaine d’après-guerre…
Les zones océaniques représentent la consommation de masse, caractéristique du pays à cette période.
L’intention de l’artiste est de mettre en avant l’œuvre en elle-même et non le concept généré par l’œuvre ».
Jasper Johns souhaite que le regardeur devine la carte au premier coup d’œil, qu’il se retrouve directement immergé dans son œuvre.
Jasper Johns peint des objets de la vie quotidienne, parce qu’il ne veut pas faire des tableaux élitistes, ses tableaux doivent être identifiables par tous les américains quelque soient leur éducation et leur culture.
La carte lui permet de faire un tableau figuratif et si elle apparait comme universellement lisible, le tableau ne véhicule aucun message.
Jasper Johns brosse à larges touches un tableau que l’esprit connait déjà et force le regardeur à l’examiner en détail.
Le regardeur cherche une logique dans la façon dont les états sont colorés et ordonnés.
Jasper Johns introduit un jeu subtil dans la perception du fond et de la forme.
Le symbole de cette carte que le regardeur tient pour acquis au quotidien a-t-il un autre signification cachée.
La réalité extérieure pénètre dans la réalité de la surface picturale.
La frontière entre la réalité de la carte représentée et la réalité de la représentation s’efface.
C’est par son mode de combinaisons inédit avec la peinture que la carte devient problématique.
Si le regardeur néglige le motif pour s’occuper uniquement de l’organisation formelle du tableau, la contradiction demeure.
Jasper Johns réalise des effets de matière, traces du pinceau, empâtements, coulures, créant ainsi une sorte de « bas-relief furtif » dans l’épaisseur de l’encaustique.
Examinée comme abstraction géométrique ou comme abstraction lyrique, le tableau peut suggérer tantôt une profondeur optique, par la dissociation des couleurs, tantôt une profondeur tactile, par le jeu des empâtements.
Jasper Johns choisit des motifs plats qui viennent contrecarrer ses effets et affirment la surface en tant que surface.
Cette ambiguïté, empêche la contemplation tranquille de l’œuvre et force le regardeur à s’interroger sur la nature de la représentation.
La carte porteuses de valeurs nationales devient un sujet d’interrogation sur la culture et l’identité.
Ce tableau nous invite à explorer ces vastes possibilités et laisse la porte ouverte à d’innombrables interprétations.
Conclusion
Peintre, sculpteur, dessinateur et graveur américain omniprésent dans les histoires de l’art contemporain et dans les plus grands musées, Jasper Johns est un des principaux précurseur de l’explosion artistique des années 1960-1970 aux États-Unis.
Ses œuvres s’imposent par leur présence énigmatique ainsi que par leur questionnement ironique sur l’art et les signes. Jasper Johns a toujours produit des œuvres mûries, réfléchies et profondément personnelles.
Considéré un temps comme l’un des pères du pop art et de l’art minimal, qualifié de « néo-dadaïste », Jasper Johns résiste à toute forme de classement.
Son art, évolue constamment aux marges des écoles et des mouvements, tout en ayant une importance et une influence qui sont aujourd’hui incontestables.l
La contribution de jasper Johns à l’art moderne est indéniable à travers son influence sur le mouvement pop art et l’art conceptuel.
Des artistes contemporains comme Andy Warhol et Roy Lichtenstein ont puisé dans ses idées pour leur propre approche des objets et symboles du quotidien.
Avec Robert Rauschenberg, Jasper Johns a partagé un atelier et une volonté de repousser les limites de l’art en jouant avec les symboles et les matériaux.
Leur collaboration souvent abouti à une remise en question de conventions artistiques de leur époque.
Sources :
Vie des arts -1975-76, article de Nicole Dubreuil-Blondin : Autour d’un drapeau de Jasper Johns