La chambre jaune – 1889 Vincent Van Gogh

Vincent Van Gogh (1853-1890)

 

 

La chambre jaune

1889
Huile sur toile
Dim 57,3 x 73,5 cm

Conservé au musée d’Orsay

 

Il existe trois versions de ce tableau exécutées par Van Gogh.
L’originale a été exécutée à Arles en octobre 1888, elle est conservée au Rijksmuseum d’Amsterdam.
La version d’Orsay est un tableau plus petit peint à l’attention de sa sœur, en septembre 1889, durant l’internement du peintre à Saint Rémy de Provence.
Il existe une troisième réplique plus grande, conservée à l’Art Institute de Chicago, également peinte à l’automne 1889.

 

Sujet

Un lit, deux chaises, une petite table sur laquelle sont posés des ustensiles de toilette, un miroir au- dessus de la table, une serviette suspendue à un clou, un porte-manteau à droite de la fenêtre sur lequel sont suspendues des chemises et un chapeau. La chambre est rangée. Sur les murs sont accrochés, à la tête du lit un paysage, sur le côté deux portraits et deux dessins. Cet ensemble de cadres sont des œuvres du peintre, dont un autoportrait.

Ce tableau en couleurs dégage une grande harmonie.

 

Composition

La composition est faîte de lignes horizontales, verticales et diagonales nettes et précises. Les murs représentés sont fidèles à l’architecture du lieu, d’où une perspective de guingois. Cette perspective trouve son équilibre avec la combinaison des surfaces colorées bien définies et sans ombre portée. Ce qui permet de dire que les couleurs vertes et jaunes des carreaux de la fenêtre sont les reflets des volets clos. Les murs des cotés se rapprochent dans le fond du tableau créant une impression de profondeur et donnant au lit une place imposante.

Les couleurs sont éclatantes et parlent au spectateur.
Le jaune, le bleu, le vert, sont des couleurs franches, lumineuses, chargées de symboles et inspirées des crépons japonais.
Le jaune est espoir et amour, les vert et rouge sont les passions et le bleu la plénitude.
Dans une lettre adressée à son frère Théo, Van Gogh écrit : « Les murs sont d’un violet pâle. Le sol est à carreaux rouges. Le bois du lit et les chaises sont jaune beurre frais. Le drap et les oreillers citron vert très clair. La couverture rouge écarlate. La fenêtre verte. La table à toilette orangée, la cuvette bleue. Les portes lilas. »

 

Analyse

La volonté du peintre de représenter un environnement simple et serein.

-Le choix du sujet : la sérénité d’une chambre à coucher

Le mobilier est simple et sobre.
Van Gogh a décoré les murs avec des tableaux représentatifs de son travail.
Il désigne ainsi sa chambre.
Le lit suggère le confort et la sécurité.
La chambre est en ordre. Tous les objets sont à leur place.
Ce sont les lignes du tableau qui donne au spectateur le sentiment de tranquillité et dépouillement.
Il distribue le jaune, le bleu, le vert « J’avais voulu exprimer un repos absolu par tous ces tons divers ».

Van Gogh est en quête d’apaisement et veut suggérer le repos auquel il aspire.

-La recherche formelle de pureté et de tranquillité

Van Gogh écrit à son frère Théo :
« En intensifiant toutes les couleurs, on arrive à nouveau à la tranquillité et à l’harmonie. »
Traditionnellement les choses simples sont représentées avec des teintes ternes.
Van Gogh veut montrer des choses simples en couleur.
Dans une lettre adressée à Théo, Van Gogh explique ce qui l’incite à peindre ce tableau : Il veut « exprimer la tranquillité et faire ressortir la simplicité de sa chambre au moyen du symbolisme des couleurs… ».
Par son travail de la texture et de la couleur, il suggère des émotions au spectateur, la toile parle.
Le peintre s’applique sur la matière picturale. Il accentue les reliefs en créant des empâtements. Sa touche laisse visible les traces de la brosse et du pinceau.

Van Gogh a pour références, les estampes japonaises. Il en possède un grand nombre. « Les japonais ont vécu dans des intérieurs simples et quelques grands artistes ont vécu dans ce pays ».
Il emprunte aux estampes les plages de couleurs vives, le découpage des formes en plans cernés et le cadrage décentré.

Van Gogh ne montre pas de matériel de peinture dans la chambre.
Le peintre travaillait en extérieur. La chambre est consacrée au repos et au calme.

Van Gogh écrit : « la vue du tableau doit reposer la tête ou plutôt l’imagination ».


La chambre de van Gogh : le reflet du mal être

-un tableau à l’apparence déroutante

Bien que respectueuse de l’architecture de la maison (le mur du fond n’est pas droit -la chambre était à l’angle de la maison), que le peintre fait ressortir avec le choix des couleurs et la multiplication des points de fuite, l’étrange perspective de la chambre est en accord avec l’inquiétude du peintre.

Le spectateur a une impression de flottement, bien que d’aspect massif le lit et le mobilier semblent en apesanteur.

Les volets sont clos et pourtant les couleurs sont lumineuses ; van Gogh privilégie des teintes franches déconnectées de la réalité.

-un tableau témoin de l’isolement et de l’instabilité du peintre

Les volets sont fermés, le miroir ne renvoie pas de reflet, la chambre est vide.
Cette mise en scène témoigne de l’isolement de Van Gogh dans sa vie artistique. Il expose peu. Van Gogh s’est installé dans cette maison avec le désir de créer un atelier du sud où il partagerait le quotidien d’autres peintres.

Paul Gauguin qui l’a rejoint à Arles se brouille avec lui. Van Goh se retrouve seul.

Le lit large à deux places, deux chaises, deux portraits, deux portes … cette composition renforce l’idée de solitude.

 

Conclusion

Si Van Gogh s’est imprégné des œuvres des impressionnistes, il a développé une technique et une réflexion personnelles sur la peinture.

Peu connu de son vivant, Van Gogh est aujourd’hui l’un des peintres les plus célèbres au monde. Prolifique, il produisit environ 900 tableaux et près de 1100 dessins et esquisses, au cours d’une carrière qui dura à peine une décennie avant sa mort due à une blessure par balle qu’il s’infligea lui-même.

Ses œuvres où l’expression émotionnelle prend le pas sur le naturalisme, influencèrent des générations d’artistes dont les Fauves qui chercheront à exalter la couleur au début du XXe

(On pense à Vlaminck La Cuisine) et les Expressionnistes allemands dont Kirchner qui lui voleront la violence de sa touche.

Pommes et Oranges – 1899 Paul Cézanne

Paul Cézanne (1839-1906)

 

Pommes et oranges

1889
Huile sur toile
Dim 74 x 93 cm

Conservé au musée d’Orsay

 

Cézanne appartient à la génération des impressionnistes.
Les œuvres qu’il soumit aux expositions des impressionnistes témoignent d’une transition entre un mode d’expression sombre et maussade, et les paysages et les natures mortes.
Si Cézanne peignit des natures mortes dès le début de sa carrière, ce genre n’acquiert une place essentielle dans son œuvre qu’à la maturité de l’artiste, époque à laquelle appartient Pommes et oranges.
Le tableau fait partie d’une série de six natures mortes exécutées en 1899 dans l’atelier parisien de Cézanne.
On retrouve en effet d’un tableau à l’autre les mêmes accessoires : vaisselle de faïence, pichet au décor floral, étoffes.
Leur principe de composition est aussi similaire avec une tenture fermant la perspective, rappelant les natures mortes flamandes du XVIIe siècle.

La modernité et la somptuosité de Pommes et oranges en font la plus importante nature morte de l’artiste à la fin des années 1890.

 

Sujet

Une nature morte présentant, sur une nappe blanche aux nombreux plis, des pommes, des oranges, un pichet, un compotier et une assiette (pour le sujet) au fond du tableau un tapis brun violacé vert et rouge et, à droite une autre draperie, un canapé vert sur le devant du tableau et un pied de table au second plan à droite (pour le décor).

 

Composition

C’est une composition saturée et mouvementée.

Il n’y a pas de profondeur de champ.
La toile est traversée par une grande diagonale qui, partant de la gauche du tableau butte sur le pied de la table.
Le coin de la table donne l’indication de la pente de la table.
Ces lignes de forces insufflent une grande énergie à la composition et conduit le regard du spectateur de la gauche du tableau vers la droite.

Les fruits, par l’intensité de leurs couleurs et leurs dispositions, tiennent la composition en équilibre.

Cézanne multiplie les points de vue.
Avec le point de vue en contre-bas, le regard du spectateur entre dans la dynamique de la toile.

Le rouge, le vert et le blanc dominent et distribuent la lumière qui se concentre sur les fruits et la nappe. C’est une lumière d’intérieur.

Repoussés au fond de la toile, le tapis aux couleurs sombres et la draperie plus claire forment un écrin à la nature morte et mettent en valeur le blanc de la nappe.

Cézanne travaille la luminosité du tissu en mêlant au blanc du rose, du bleu, du vert, du gris et de l’ocre. Ce n’est plus une nappe, c’est un minéral, la roche calcaire d’Aix en Provence. Cézanne a traité sa composition comme un paysage, les déséquilibres de l’assiette et des fruits font envisager les plis de la nappe comme un rocher retenant dans ses creux la vaisselle et les fruits.

Cézanne peint en couches minces avec des brosses larges. Le travail sur le tapis et la draperie est léger. Les fruits ont des formes sphériques données par la touche et l’intensité de la couleur.
Pour créer du volume sur les fruits, les touches finales sont en empâtement.

 

Analyse

Dans Pommes et oranges, les fruits font partie d’un discours sur l’ambiguïté spatiale et la construction.

Les natures mortes de fruits, notamment de pommes, sont récurrentes dans l’œuvre de Cézanne. Le tableau est saturé de motifs et de textures, du patchwork géométrique sur la gauche aux formes plus organiques des draperies à droite. Les plis lourds de la nappe blanche et les formes circulaires de l’assiette, du compotier et de la cruche incitent le regard à balayer la scène en un arc de cercle allant d’un coté à l’autre. Les fruits sont soigneusement éparpillés et nichés dans cette courbe, comme autant de ponctuations colorées.

L’effet dynamique créé par une construction spatiale complexe et une perception des objets subjectives soulignent la démarche picturale de Cézanne.

Par ce langage plastique d’une grande rigueur, Cézanne renouvelle profondément un genre traditionnel de la peinture française depuis Chardin.

Sa représentation de formes tridimensionnelles à l’aide de hachures parallèles soigneusement structurées, qui font ressortir la planéité de la toile, distingue l’œuvre du peintre de celle de ses contemporains.

Au lieu de « la première pensée » que soulignaient les impressionnistes tels que Monet et qu’ils saisissaient en imitant la lumière changeante du soleil, les tableaux de Cézanne semblent être le produit d’une lente accumulation sur la durée.

Durant les deux décennies qui suivent sa participation aux expositions impressionnistes, Cézanne affine la facture de ses toiles et développe la technique du « passage » grâce à laquelle un aplat de couleur se diffuse ou
« passe » dans un autre, créant une riche composition de couleurs vibrantes, changeantes mais stables, qui atteignent son objectif, celui de « faire de l’impressionnisme quelque chose de solide et de durable, comme l’art des
musées ».

Il expérimente aussi ce qui va devenir la marque de fabrique de ses œuvres à venir : Le renoncement au point de vue fixe et monoculaire qui dominait la peinture occidentale depuis la Renaissance.

Cézanne introduit des points de vue mobiles et des perspectives multiples dans une scène unique.

 

Conclusion

Le traitement de l’espace et de la forme dans Pommes et oranges ouvre le chemin du cubisme

Cézanne joue un rôle déterminant dans le développement du cubisme. On l’appelle « le père de l’abstraction moderne » pour l’emphase de ses hachures parallèles et de ses aplats de couleur ainsi que pour sa réinvention de la nature au moyen du cylindre, de la sphère et du cône.

Alors que ses contemporains impressionnistes s’attachaient à saisir la réalité en utilisant l’esthétique de la tache de couleur considérée comme « le transitoire, le fugace, le contingent » (qui selon Baudelaire caractérisent la modernité), les tableaux de Cézanne rendent avec davantage de justesse la réalité du monde à travers une vision binoculaire, tout en attirant paradoxalement l’attention sur l’illusion de la construction.

Cézanne expérimente un mode pictural structurel et des perspectives multiples qui à la fois créent et annihilent l’impression de profondeur et maintiennent une fragile tension entre la réalité de la surface bidimensionnelle et l’illusion de tridimensionnalité-une entreprise qui ne s’avéra pas particulièrement populaire de son vivant- de plus en plus, il évite ses contemporains.
En 1886, il revient à Aix en Provence, sa ville natale, et se réfugie dans un monde solitaire de structures picturales.

Si Cézanne fût incompris et peu estimé par ses pairs de son vivant, deux ans après sa mort ses œuvres étaient largement exposées et commentées.