Portrait d’un Jeune-homme – 1462 Dieric Bouts

Dieric Bouts (1415-1475)

 

Portrait d’un jeune-homme

1462

Huile et détrempe à l’œuf sur bois

Dim 31,6 x 20,5 cm

Conservé à la National Gallery de Londres

 

Le peintre

Il serait né à Haarlem. Vers 1447-1448 au plus tard, il s’allie par mariage à une famille notable et fortunée de Louvain. IL s’établit dans la ville de son épouse. En 1469, il est nommé au poste officiel de peintre de la ville de Louvain. De 1457 à sa mort, les archives de la ville font état d’un citoyen hautement respecté.
Le jeune Dieric Bouts acquit sa formation à Bruxelles et à Bruges.
Dieric Bouts a cinq ou six ans de moins que Petrus Christus.
Il étudia les œuvres de Jan van Eyck et de Rogier van der Weyden et s’attacha à la personne de Petrus Christus, qui, homme du nord lui-même, sut donner à Dieric Bouts le goût du style de ces deux grands maîtres.

 

Le tableau

Le jeune-homme représenté est peut-être Jan van Winckele, un notaire rattaché à l’Université de Louvain.

 

 Composition

Cette composition a un cadre serré.
Le buste du jeune-homme en avant-plan occupe la majorité de la surface du tableau.

Bouts utilise des idées novatrices en ouvrant la fenêtre sur un paysage et en supprimant le plafond.

Les plans ainsi découpés structurent l’espace. Le volet intérieur rabattu avale l’angle du mur et repousse le mur blanc du fond, installant une infime profondeur, relayée à l’extérieur par le paysage.

Le regard passe d’une couleur à l’autre du rouge au blanc, et de l’intérieur à l’extérieur. Cette circulation du regard donne un rythme visuel à l’ensemble du tableau.

La ligne de force principale et la direction du regard de la figure.
Le jeune-homme a les yeux ailleurs.

Ce visage se rapproche de ceux de Rogier van der Weyden et l’analyse de la lumière évoque celle de Jan van Eyck.
Sur la joue ombrée du jeune-homme vient jouer un reflet comme sur la joue de Jeanne Cenami dans le Portrait Arnolfini.

Ses mains fines, posées l’une sur l’autre, sortent du cadre.

La couleur rouge de son vêtement et de son chapeau attire l’attention du regardeur. Cet emploi de contraste de la couleur rouge sert à mettre le personnage en relief afin qu’il dégage un effet de présence.

La lumière s’affirme grâce aux ombres portées.
La lumière est plus dure sur le visage.
Le grand mur blanc sert à définir les volumes et faire valoir les jeux de la lumière et de l’ombre.

La tendance simplificatrice n’empêche pas Bouts de porter attention aux détails et au rendu des matières.

Bouts fait preuve de délicatesse dans l’interprétation de la forme comme dans celle du sujet. Il a le goût de l’ordre et de l’harmonie.

 

Analyse

La mission d’un peintre n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer ! mission réussie avec ce portrait :

Le style de Dieric Bouts peut se définir comme une synthèse de Jan van Eyck et Rogier van der Weyden vu par les yeux de Petrus Christus.

Le mérite de Dieric Bouts est d’être capable d’assimiler le génie de Rogier van der Weyden, sans s’écarter de sa propre voie.
Dans la Déploration du Louvre, la Madeleine rappelle davantage la manière de Petrus Christus que celle de Rogier van der Weyden.
Dieric Bouts exploite et perfectionne les innovations essentielles de Petrus Christus.

Portrait d’un jeune-homme est imprégné de Rogier van der Weyden dans l’attitude du personnage, et en particulier par la position des mains et, influencé par jan van Eyck pour le mode d’éclairage, la prédominance du volume sur la ligne et par l’attention accordée au rendu des matières.

Aux yeux de Dieric Bouts, la peinture de Jan van Eyck est un bijou qui capte l’orient des perles et les feux des pierres précieuses qui expriment  la lumière divine.

Mais c’est au portrait de Petrus Christus que Dieric Bouts emprunte l’idée de placer son personnage dans l’angle d’une pièce comportant une fenêtre.
Il franchit cependant une étape, en supprimant le plafond et en ouvrant la fenêtre sur un paysage.

Un volet intérieur dissimule l’intersection du mur latéral et du mur du fond. Ainsi trois plans se coupent à angle droit et se transforment en un champ d’interaction entre l’intérieur et l’extérieur.
Cette innovation change l’apparence visuelle du portrait et son contenu psychologique.

Dans ce portrait la frontière entre l’extérieur et l’intérieur est devenue floue et tous les éléments baignant dans une lumière douce, l’esprit du regardeur n’est plus distrait par une multitude de détails et s’abandonne à une reposante impression d’unité générale.

Dieric Bouts recherche avec constance la fluidité de l’espace pictural pour atteindre un état d’âme, une atmosphère.

Alors que Rogier van der Weyden produisait des portraits de caractère, Dierick Bouts crée, un portait d’atmosphère.

Dans ce portrait, l’absence de tension dramatique communique une solennité silencieuse.

La raideur du personnage détourne l’attention du regardeur sur son visage, ses lèvres légèrement pincées, son regard suspendu…

En présentant le jeune-homme dans un environnement défini avec précision, Dieric Bouts rend accessible l’individualité de son modèle et permet au regardeur de se projeter.

En plaçant son modèle dans l’angle d’un intérieur naturaliste, Dieric Bouts oblige le regardeur à partager son attention entre la figure et le paysage.

Au lieu d’émerger des profondeurs de l’espace, le jeune-home se détache sur une surface teintée, presque blanche, dont le coté bi-dimensionnel est accentué par la gravure de la date sur le mur. La figure est traitée en termes de surface affectée par la lumière.

Le jeune-homme est policé, distingué et maître de lui-même.

Dieric Bouts met en valeur les traits distinctifs des gens bien nés, une ossature du visage accusée, un nez, des lèvres et des paupières au dessin net, des doigts longs et fins, une impression générale de délicatesse et de minceur. Les mains sont dans l’axe du visage, la paume de la main gauche repose sur le dos de la main droite.

Le regard traduit la conscience que le personnage a de sa dignité.

L’imagerie du paysage,
encadré par la fenêtre, montre un morceau de parc planté d’arbres et plus loin, dilué dans le bleu du ciel, un bosquet, une église et son clocher ; c’est une expression visuelle et symbolique en rapport avec le jeune-homme, le monde matériel et le monde spirituel. Ce paysage parle de la vie de la noblesse de la Renaissance.

Le jeune-homme se rapproche du côté matériel et terrestre de sa vie, il n’est pas en prière.
Le paysage personnalise l’œuvre.

Ce visage est un monde. Dieric Bouts exprime son trop plein, ce quelque chose en plus qui est l’âme.
Bouts a une préférence notable pour l’introspection plutôt que pour les manifestations dramatiques.

 

Conclusion

C’est une époque où se développe la mentalité des collectionneurs d’œuvres d’art qui génère d’actifs échanges. D’autre part les artistes voyagent.
Ces deux phénomènes ont pour conséquence de trouver des affinités entre le Nord et l’Italie. Et ainsi, entre Dieric Bouts et Piero della Francesca.

Si jan van Eyck représente un équilibre presque parfait, Rogier van der Weyden est un peintre de figures, aussi peu intéressé par le paysage que peut l’être un flamand et Dieric Bouts est un paysagiste aussi peu intéressé par les figures qu’il était possible à un artiste du XVe.

Dieric Bouts est le premier artiste qui introduit un paysage vu par une fenêtre dans ce Portrait d’un jeune-homme.

Il est le premier à progresser dans l’organisation et l’interprétation de l’espace de plein air.

En fonction de la qualité chromatique de la lumière, il imprègne ses paysages d’une atmosphère aussi perceptible que celle qui émane de ses figures.

 

source : Erwin Panofsky – Les primitifs flamands