La Dame à la licorne – 1480-1500 Tenture de six pièces

 

La Dame à la licorne

Vers 1480 -1500

Laine et soie

Dim 311 à 377 x 290 à 473 cm

Conservée au musée de Cluny à Paris

Tenture composée de six tapisseries :

L’Odorat
370 x 320 cm

L’Ouïe      
370 x 290 cm

Le Toucher
 370 x 350 cm

La Vue
370 x 330 cm

Le Goût
380 x 460 cm

À mon seul désir
370 x 470 cm

 

La tapisserie

Après la famille Le Viste, d’héritage en héritage, la tapisserie passa dans la famille Robertet -jean Robertet ayant épousé Jeanne Le Viste, fille d’Antoine Le Viste, pour parvenir vers 1600 en dot à François Rilhac qui les transporta dans son château de Boussac. Le mariage en 1730 de Louise de Rilhac avec François de Carbonnière mit cette dernière famille en possession du château et de la tenture. L’un et l’autre furent vendus par la dernière propriétaire, Claire-Pauline de Carbonnière en 1837 à la municipalité de Boussac.

Les six pièces constituant la tapisserie sont installées au Musée de Cluny à Paris, depuis plus de cent quinze ans.

La Dame à la licorne est loin d’avoir révélé tous ses secrets.

 I-   Les précieuses tapisseries de la Renaissance étaient l’une des formes artistiques les plus prestigieuses de l’époque et jouaient aussi un rôle politique.

Le succès de ces tableaux tissés tenait à leur format, au choix des thèmes, à la valeur des matériaux (fil d’or et d’argent, de soie et de laine) qui les composaient et à l’extraordinaire travail que leur fabrication représentait.

C’est au début du XIVe, en France et aux Pays-Bas, que commença la production de tapisseries en atelier. Auparavant, le tissage était réalisé par les femmes, chez elles ou dans les couvents.

À la fin du XIVe, Philippe le Hardi duc de Bourgogne encouragea cet art en commandant des tapisseries pour sa propre cour ou en guise de cadeaux.

À la fin du XVe, pour répondre à une demande accrue, les tapisseries se vendaient dans les grandes foires des Pays-Bas.
Format et sujet s’adaptaient aisément aux demandes des clients.

La production des tapisseries nécessitait un grand nombre de tapissiers compétents et bien organisés travaillant sous la direction d’un maître. En une seule journée, un artisan pouvait tisser une pièce de la taille d’une main. Assis en rang devant le métier à tisser, chaque tapissier était responsable d’un mètre ou de la longueur d’un bras.

En général les tentures étaient constituées de plusieurs pièces destinées à orner des salles de réception, en créant tout un univers grâce à leurs récits complexes.
Des métiers à tisser parfois dans des villes différentes pouvaient être mis à contribution en même temps sur un projet unique.

La manufacture de tapisserie était la spécialité du sud des Pays-Bas, et même quand ils étaient réalisés ailleurs, les cartons (dessins préparatoires grandeur nature) étaient transformés en tapisseries par les maîtres de la région.

Le prix d’une tapisserie dépendait en partie de la présence de fil d’or ou d’argent, constitués de fil de soie enveloppés de filaments de métaux précieux.
Seuls les mécènes les plus fortunés pouvaient s’offrir un tel luxe.
Toutefois, même les pièces les plus simples en laine et soie étaient réservées à l’élite et représentaient de véritables signes de richesse et de distinction.

II-   Tapisserie de La Dame à la licorne

 C’est un chef d’œuvre de la tapisserie du XVe et la fierté du musée de Cluny.
Sa couleur rouge et la luxuriance du fond mille-fleurs, captive l’attention.

Exécutées à la fin du XIVe ou début du XVe dans le sud des Pays-Bas ou à Paris, en laine et en soie, les six tapisseries de La Dame à la licorne sont issues de cartons probablement conçus par un artiste parisien.
Ce serait le peintre Jean d’Ypres, actif à Paris de 1489 à 1508, connu comme enlumineur pour la reine Anne de Bretagne et comme auteur de modèles pour des vitraux ou pour des gravures illustrant des livres imprimés.

L’emblème héraldique qui figure sur les six pièces indique que leur propriétaire d’origine était une famille d’origine lyonnaise, Jean Le Viste, personnage influent, proche du roi de France Charles VII, connu comme mécène ; ou bien son cousin germain Aubert -conseiller au parlement de Paris, ou bien son neveu Antoine-président du parlement.

Les tapisseries représentent une allégorie des cinq sens :
Chaque pièce, à fond rouge semé de fleurs, un fond courant à l’époque, illustre une scène avec une jeune-femme, accompagnée d’un lion, d’une licorne et parfois d’une suivante.

Le fond rouge et la composition se répètent d’une tapisserie à l’autre :

Sur un sol ovale délimité par la couleur bleu, la dame aux traits fins et paisibles, parée de bijoux et souvent assistée d’une suivante, se tient solennellement entre un lion et une licorne porteurs de bannières aux armes des trois croissants de la famille Le Viste.
La licorne est un animal légendaire, symbole de l’incarnation chrétienne et de l’amour inaccessible.

La dame est placée au centre de la composition, sa suivante est à son côté. Les silhouettes longilignes des deux figures sont en adéquation avec les canons de beauté du Moyen-Âge. La superposition des robes, les coiffures en aigrette (une mèche de cheveux relevée sur le devant de la tête) ainsi que les bijoux, illustrent la mode en vogue vers 1500.
Autour d’eux, des chênes, des orangers, des pins et des houx.
Le sol bleu est planté de fleurs et les fonds rouges sont parsemés de plantes à fleurs et d’animaux, lapins blancs, renardeaux, un lionceau, des agneaux, des oiseaux, des singes et une panthère. Ce fond de décor aux motifs naturalistes, était appelé tapisserie « mille fleurs ». Les ateliers de liciers détenaient des modèles pour ces fonds.

Cette tapisserie mille-fleurs donne une unité à l’ensemble des six tapisseries.

L’omniprésence du lapin évoque la chasse et la reproduction, le chien lui, incarne le foyer conjugal.


L’odorat

La dame tresse une guirlande de fleurs qu’elle prend dans un plateau que lui tend sa suivante. Derrière elle, sur un banc, un singe constitue la clé de l’allégorie.  Il hume le parfum d’une rose provenant d’un panier d’osier.


L’ouïe 

La dame joue un air sur un orgue portatif posé sur une table couverte d’un tapis persan.
Sa suivante actionne le soufflet et semble écouter la musique, tout comme le lion, la licorne et les autres créatures, qui cessent toute activité pour dresser l’oreille.   


Le toucher         

Tenant le mât d’un étendard, la dame caresse la corne de la licorne de sa main libre. L’animal réagit en se rapprochant pour mieux sentir son contact.


La vue                 

Posant délicatement ses sabots sur les genoux de la dame qui lui tend un miroir tout en baissant les yeux vers elle, la licorne admire son reflet. Derrière celle-ci, un lapin et un chien se toisent, tout comme un autre lapin et un lion minuscule, dans l’angle supérieur gauche.


Le goût                 

Le lion et la licorne encadrent la dame qui regarde le perroquet qu’elle tient sur la main droite, tout en prenant une dragée dans un plat que lui tend sa suivante. Un petit chien qui se trouve à ses pieds observe les friandises avec convoitise. Pendant ce temps, un singe porte un fruit à sa bouche, soulignant la signification de la scène. Il pourrait évoquer le péché originel.


À mon seul désir 

Ces mots sont tissés dans la tenture, sur la tapisserie qui conclut peut-être cette série. L’inscription domine le pavillon bleu brodé d’or, devant lequel se tiennent la dame et sa suivante.
La dame semble placer son collier dans un étui que lui tend sa suivante.
Le musée de Cluny propose que ce soit une sixième allégorie, « proche de l’âme et du cœur », une devise courtoise.
Certains historiens pensent que ces mots font allusion à l’amour, et mettent la tapisserie en relation avec des allégories courtoises tirées du Roman de la Rose (XIIIe) de Guillaume de Lorris.
D’autres, qu’ils évoquent le libre arbitre permettant à l’homme de maîtriser les cinq sens représentés dans les autres tapisseries. La dame dépose le collier qu’elle portait autour du cou et, par ce geste, inviterait à renoncer aux plaisirs des sens et montrerait sa volonté d’échapper aux passions des sens mal contrôlés.
Dernière hypothèse, chez Platon, les cinq sens sont guidés par le désir, puissance cherchant à atteindre la connaissance. Dans cette perspective, À mon seul désir représenterait le sixième sens de l’intelligence et synthétiserait la recherche de savoir par les sens.

Le cœur dont il s’agit ne serait-il pas à la fois, celui de l’amour courtois et de la conception chrétienne du renoncement aux plaisirs de ce monde ?

Cette dualité parcourt l’ensemble des tapisseries, l’intimité des liens entre la dame et la licorne, manifestée dans La vue et Le toucher, privilégie la licorne en tant qu’allégorie érotique ambivalente en même temps que symbole de chasteté, la tradition voulant qu’elle ne puisse être apprivoisée que par une vierge.
La dame à la licorne devient alors une apologie de la beauté et du désir et une mise à distance à l’égard des plaisirs des sens.

Cette double signification est une caractéristique d’une culture de l’équivoque pratiquée à la fin du Moyen-Âge.

Ainsi La dame à la licorne est bien une allégorie des six sens et sa lecture est néanmoins plurielle.

Le cœur ou l’intelligence, à vous de choisir le sixième sens.

 

Conclusion

La dame à la licorne appartient, avec son île bleue plantée de bouquets de fleurs au genre de tapisserie appelée mille-fleurs.

Certains ont avancé que la tapisserie serait un cadeau de mariage. L’héraldique apporte une démenti formel à la thèse du cadeau de mariage : les armoiries de la femme devraient apparaître sur la tapisserie en pendant de celle de son mari.
Les armoiries pleines ne peuvent être que celle d’un homme.

Le lion et la licorne apparaissent dans cette tapisserie comme supports d’armoirie. Dressés face à face dans l’Odorat, le Goût et À mon seul désir, ils se tournent le dos dans l’Ouïe. Ils tiennent la lance au bout de laquelle flotte étendard ou bannière. Dans le Toucher et la Vue la licorne abandonne son rôle héraldique pour participer activement à la scène.

Cinq des six tapisseries illustrent les sens. Dans un inventaire daté de 1653 de Mazarin la description des cinq pièces correspond exactement à celles du musée Cluny.  Une tradition de représentation des cinq sens existait au Moyen-Âge depuis le IXe.

À propos de la sixième tapisserie À mon seul désir et en aparté :
Les écrits de George Sand laissent entendre qu’elle serait rescapée d’une autre série. Cependant dans le texte de G. Sand, publié dans L’Illustration, les descriptions des tapisseries ne correspondent pas à celle de La dame à la licorne, et l’auteur parle de huit tapisseries…et fait une attribution romanesque de la tapisserie au frère cadet et rival malheureux du sultan Bazajet, Djem, envoyé en captivité dans la région des Marches par le Grand Maître de Rhodes, Pierre d’Aubusson !

On considère à ce jour, qu’À mon seul désir, appartient à la série de La Dame à la licorne. C’est une scène de renoncement.

Il est admis que la dame selon sa propre volonté, renonce aux bijoux, symbole des appétits de nos sens.