Les soleils, jardin du Petit Gennevilliers – 1885 – Gustave Caillebotte

Gustave Caillebotte (1848-1894)

 

Les soleils, jardin du Petit Gennevilliers

1885

Huile sur toile
Dim : 130,5 x 105,8 cm

Conservé au musée d’Orsay à Paris

 


Le peintre

Gustave Caillebotte a vécu pendant une période de grands bouleversements sociaux, culturels, politiques et artistiques.
En 1868, Gustave obtient le diplôme de bachelier en droit, en 1870 il est licencié en droit.
En 1872, il voyage à Naples, puis prépare le concours d’entrée à l’École nationale des beaux-arts dans l’atelier de Léon Bonnat. Il passe le concours avec succès. Sa formation artistique est académique. Gustave fréquente peu l’école.
En 1876, il présente huit tableaux à la deuxième exposition impressionniste et joue également un rôle d’organisateur et de mécène.
En janvier 1877, Monet s’installe près de la gare saint Lazare, Gustave Caillebotte paye son loyer.
En avril 1878 a lieu la troisième exposition impressionniste, Gustave expose six tableaux. Pour cette exposition Gustave trouve et loue un espace d’exposition, il fait la maquette du catalogue, se charge du décor, envoie les invitations… Cette exposition a été une réussite magistrale.
En 1881, deux ans après la mort de ses parents, Gustave et son frère achètent une petite propriété de campagne au Petit Gennevilliers, en face du bassin d’Argenteuil, où Caillebotte peut donner libre cours à sa passion pour les régates et aussi pour l’horticulture.
Les deux frères font construire une maison et font venir de la terre saine pour remplacer le sol pollué par les bassins d’épandage voisins.
En 1882, Gustave expose dix-sept tableaux lors de la septième exposition impressionniste.
Cette année-là il réalise la traversée de la Manche avec le premier bateau dessiné par ses soins.
En 1883, Auguste Renoir passe l’été chez les Caillebotte au Petit Gennevilliers où il exécute le portrait de Charlotte Berthier, la compagne de Gustave.
En novembre 1886, Paul Durand-Ruel organise une exposition de groupe à New-York,
Gustave y expose dix tableaux.
Après 1887, année du mariage de son frère, Gustave rachète les parcelles mitoyennes au Petit Genevilliers, étend son jardin et fait de nombreux aménagements.
L’ensemble détruit depuis nous est connu par des photographies et par les tableaux de Gustave.
En 1888, le Petit Gennevilliers devient la résidence principale de Gustave.
Entre 1890 et 1893, Gustave a été attentif à la construction et la réalisation d’une vingtaine de voiliers.
Gustave réunit chez lui ses amis peintres à de nombreuses reprises. Il renoue avec la tradition des dîners qui rassemblaient peintres et écrivains au Café Guerbois, puis à la Nouvelle Athènes et finalement au Café Riche. Jusqu’à sa mort ils se retrouveront chaque mois pour parler d’art, de littérature, de politique et de philosophie.
Le 21 février 1894, le peintre meurt d’un congestion cérébrale à son domicile du Petit Gennevilliers à l’âge de quarante-cinq ans.
Il est enterré au cimetière du Père Lachaise dans le caveau familial.
Une exposition rétrospective de son œuvre a lieu en juin 1894, dans les galeries Durand-Ruel.

 

Le tableau

Vous connaissez Caillebotte principalement pour ses œuvres citadines et ses œuvres d’intérieur, mais il a peint aussi des jardins. Les jardins seront le sujet de ce commentaire.

Au sein de l’ensemble d’environ quarante tableaux peints entre 1882 et 1893 et ayant pour sujet ce jardin, celui-ci se distingue par son inhabituel grand format et son ambition plastique, qui en font l’un des plus importants paysages peints par Caillebotte au cours de sa carrière.

Peinte avant les grands travaux, cette toile nous montre au fond à gauche la modeste maison de la propriété mitoyenne de celle des Caillebotte, dite « maison Vernay » que l’artiste rachète en 1887. À droite le hangar à bateaux situé à l’arrière de la maison principale qui n’est pas visible, avec son réservoir sur le toit. Plus tard, la « maison Vernay » entièrement reconstruite par Caillebotte abritera son atelier.

Le jardin du Petit Gennevilliers se compose d’un jardin fleuriste et d’un jardin potager faits essentiellement de carrés de plantations homogènes et d’allées rectilignes.

Au XIXe, l’image de la campagne cultivée et ordonnée prend la place de la campagne agraire du XVIIIe.
La villégiature devient une sorte de prolongation de la vie sociale urbaine.

Malgré son format et son ambition  Les soleils, jardin du Petit Gennevilliers n’a pas été présenté au public du vivant de l’artiste.
La toile est restée dans les collections de Gustave Caillebotte, puis de ses héritiers.
Le tableau est exposé pour la première fois en 1921 au Salon d’Automne dans le cadre de la rétrospective dédiée au peintre par l’institution, avant de disparaître à nouveau pour plusieurs décennies.

Ce tableau est entré au musée d’Orsay par dation en 2022.

 

Composition

Caillebotte peint une composition rigoureusement construite au cadrage audacieux.

Dans ce tableau Caillebotte fait la part belle à une plantation de tournesols en fleurs qui occupent toute la moitié inférieure de la composition.
Ces grands tournesols sont des Helianthus annuus.

Caillebotte cloisonne
La maison et le hangar à bateau avec sa citerne sur le toit, ferment l’espace.
Un ciel brouillé couronne le tout.
Généralement, le peintre ne s’intéresse pas au ciel.
Dans ce tableau le ciel est bleu-gris et présent.
La hauteur de l’horizon accélère l’impression d’espace tout en l’aplatissant.
Caillebotte modèle l’espace pour le rendre plus proche du réel.

Les fleurs sont peintes en plan très rapproché, le massif foisonnant de tournesols envahit l’espace. .Les tournesols sont représentées de façon très précise et minutieuse.
On pense à une description botanique.

Un bouquet d’arbres sur la gauche de la composition recule la maison et l’encercle à sa gauche.

Le regardeur a les yeux à la hauteur des fleurs, il est en bordure du massif de tournesols.

La végétation rythme la toile.
Caillebotte peint de façon académique en respectant la ligne.

Les couleurs sont réparties très distinctement, et le coup de pinceau est discret.
Les tournesols, la maison, les arbres, le hangar sont représentés avec précision.
Le jaune des fleurs éclaire la toile. Cette couleur intensifie la précision et la rigueur.
Savamment organisée, la répétition des motifs floraux, rythme la composition.
La rondeur des fleurs s’oppose à la rectitude des murs de la maison.

Comme le mur de la façade de la maison et le toit de l’appentis, les fleurs réfléchissent la lumière.
Caillebotte transcrit la lumière avec des jeux de modulation de l’espace.

  

Analyse

Le motif des tournesols apparait chez Claude Monet au début de la décennie, sous la forme de grands bouquets de fleurs coupées, ou au naturel, dans des paysages représentant le jardin de l’artiste à Vétheuil.
Certains de ces tableaux sont présentés à l’exposition impressionniste de 1882, à laquelle participe Caillebotte. Comme Monet avec qui il échange régulièrement à ce sujet, Caillebotte est abonné à la revue horticole et fait pousser dans son jardin des plantes exotiques comme les tournesols et aussi les dahlias, les chrysanthèmes ou les glaïeuls.
Plusieurs variétés de tournesols, cultivés comme plante d’agrément à cette époque sont connues et disponibles.
Les Helianthus annuus peints par Caillebotte seront repris par van Gogh lors de son séjour à Arles en 1888-1889 

Une nouvelle campagne artificielle émerge aux alentours de Paris, c’est un espace protégé entre la ville et la nature sauvage.
Caillebotte, citadin et bourgeois, crée un lieu à sa convenance dans les environs de Paris. Le jardinage est un luxe. Caillebotte pratique une horticulture savante, l’art de cultiver les fleurs exotiques. Les fleurs occupent une place prépondérante dans son jardin.

Les fleurs illustrent  l’image d’une société du luxe, au même titre que les expositions universelles et les grands magasins du la fin du XIXe.

Durant sa jeunesse, Gustave Caillebotte fréquente pendant les vacances d’été, la propriété familiale de campagne d’Yerres. Cette propriété existe toujours, c’est aujourd’hui un jardin public, classé à l’inventaire des monuments historiques depuis 1994.
Dans le jardin de son enfance Caillebotte a observé et pris part aux travaux horticoles.
Gustave devenu adulte y trouve ses sujets picturaux, le parc, le jardin potager ou le jardin d’agrément.
Les œuvres réalisées pendant la périodes yerroise sont empreintes d’une rigueur géométrique qui leur confère une ambiance extrêmement rigoureuse.

Plus tard, Caillebotte achète la propriété du Petit Gennevilliers avec son frère. Ce lieu deviendra la résidence principale du peintre. Il achète le terrain mitoyen où il fait construire son atelier dans un pavillon indépendant, il arrange la maison d’habitation en pierres meulières et trace le jardin. Le peintre y restera jusqu’à sa mort en compagnie de Charlotte Berthier. Il accueille dans cette maison ses amis et organise de nombreux diners.

Ce n’est qu’au Petit Gennevilliers que Caillebotte crée son propre jardin de toute pièce.
Ce jardin savant et ordonné à la façon d’un jardin botanique diffère du jardin d’Yerres. Les corbeilles y sont rectilignes et les espèces de fleurs sont plantées par section. Ces plantations seront l’occasion d’échanges fréquents avec Monet avec qui, il partageait la passion pour l’horticulture.

Ce jardin n’existe plus.

La peinture de Gustave Caillebotte au jardin est importante dans l’œuvre globale.
Elle correspond aux lieux de vie intimes que le peintre fréquente.
En peignant le jardin, Caillebotte peint la modernité, au même titre que les vues citadines ou le canotage et apporte un regard documentaire à son environnement.

Caillebotte innove en utilisant un grand format vertical pour représenter un jardin.

Le peintre veut immerger le regardeur dans la toile et créer un fort sentiment de réalité.

Caillebotte impose au regard un brutal « gros plan », un effet de rupture d’échelle entre les fleurs et l’architecture et coupe les objets sur les bords de la composition.

Les arbres occupent une place importante dans la composition, ils sont l’expression d’un état mental.  Les arbres éloignent la maison du jardin et bornent la propriété.

Caillebotte est attaché aux détails et à la réalité brute.
Il excelle dans la réalisation des plates-bandes organisées de son jardin.
Caillebotte s’inspire des estampes japonaises qu’il collectionne et de la photographie, technique que les critiques d’alors associent volontiers à son travail.
Familier des cadrages et points de vue originaux depuis ses débuts, Caillebotte propose un regard délibérément inattendu et moderne sur le monde.
On pense à la formule d’Émile Zola :
« une œuvre d’art est un coin de la création vu à travers un tempérament ».

La toile est audacieuse parce que le regardeur ne distingue pas clairement le sol, les allées, la perspective et les différents plans.
Les effets d’aplanissement de l’espace et de plongée dans le motif répétitif des tournesols s’épanouissent plutôt dans les tableaux « décoratifs » qu’il peint pour sa salle à manger à la même période.

Caillebotte ne considère pas le jardin comme un paysage.

Le peintre insiste sur la maîtrise du jardin par l’homme.
Son jardin est ordonné et géré, ses bordures, ses chemins sont travaillés et circonscrits.
Son paysage n’est pas rêvé et idéalisé, mais réaliste et de son temps.

Gustave Caillebotte s’est appliqué à représenter la modernité et la rationalisation de la nature, à travers l’organisation du jardin.

La toile de Caillebotte aussi bien documentaire qu’artistique est à la frontière entre illustration et œuvre d’art.

Le regardeur distingue les limites entre le jardin et l’environnement paysager.
C’est un paysage sans exotisme, composé avec la maison mitoyenne.

Le regard de Gustave Caillebotte n’est pas pragmatique et froid.
Le peintre glisse dans sa toile une discrète fantaisie.

Gustave Caillebotte et Claude Monet, partagent une même passion pour l’horticulture, cependant ils n’ont pas peint le même jardin. Claude Monet a peut-être influencé Gustave dans le choix de ses sujets. Mais Caillebotte a pris un parti différent de Monet en représentant la vie moderne avec précision, à la façon d’un documentaire. Ils représentent tous deux, les variations de lumières, chez Monet, le mouvement en découle alors que chez Caillebotte c’est statique.

Caillebotte privilégie le détail, la rigueur et la réalité dans ses toiles.
Le jardin est pour Caillebotte une source d’inspiration,.
Caillebotte prend soin de représenter la jardin aussi fidèlement que possible, il donne une vision détachée et précise de la scène.
Chez Monet le jardin est foisonnant, végétal et gai.

Edward Hopper est l’héritier de Caillebotte. Hopper peint le travail, le loisir moderne et la vacuité.
Comme Caillebotte, Hopper a un regard documentaire de son époque.

 

Conclusion

Célèbre pour ses compositions inspirées du Paris d’Haussmann, Caillebotte a consacré une part importante de sa production à l’évocation des jardins.
Gustave Caillebotte a peint des jardins tout au long de sa vie de peintre, principalement entre 1875 et 1894 et davantage à la fin de sa vie.
Gustave Caillebotte a peint les jardins qu’il fréquentait, lieux de vie et de villégiature familiale pour la plupart. Il peint sur le motif dans la demeure familiale d’Yerres, puis il acquiert au Petit Gennevilliers une propriété où il élabore un somptueux jardin et fait construire une serre.
Ce jardin prendra une place prédominante dans son œuvre.

Comme son ami Monet, avec lequel il partage une passion pour l’horticulture, il privilégie l’évocation de cet univers végétal.

Un lien peut être établi entre certaines illustrations d’horticultures de l’époque, grâce notamment, à la précision avec laquelle Gustave Caillebotte a peint les scènes de jardin, les plantes, et ce sentiment d’absence des personnages.
L’œuvre de Caillebotte a une valeur documentaire.

Gustave Caillebotte est un peintre à la frontière de deux époques.

Cela se traduit à travers la représentation de deux jardins différents, celui d’Yerres, synonyme du faste de l’époque passée et celui du Petit Gennevilliers, création du peintre, synonyme de modernité.

La collection de tableaux que Gustave Caillebotte a léguée à l’État français, se fait avec difficulté, grâce à l’insistance des exécuteurs testamentaires, Pierre-Auguste Renoir et son frère Martial Caillebotte.
Ce n’est que le 9 février 1897, que la salle Caillebotte est ouverte au public au musée du Luxembourg et constitue le premier ensemble de peintures impressionnistes dans un musée français.
La majeure partie des œuvres de Gustave Caillebotte se trouve actuellement dans des collections privées.
Son rôle de mécène et son aisance financière ont desservi sa reconnaissance en tant que peintre talentueux.
Le fait est, qu’il n’a jamais eu besoin de vendre ses œuvres pour vivre.

 

Sources :
La Revue des Musées de France- Revue du Louvre. 2023-2
Fabienne Boursier : La représentation du jardin dans l’œuvre de Gustave Caillebotte : un peinture documentaire, entre illustration et art – 2014