Dance à Baden-Baden – 1923 – Max Beckmann

Max Beckmann (1884-1950)

Dance à Baden-Baden

1923

Huile sur toile
Dim 108 x 66 cm

Conservé au Musée d’Art du comté de Los Angeles

 

Le peintre

Max naît dans une famille de classe moyenne.
L’artiste a développé son parcours en dehors des groupes et mouvements artistiques restés célèbres dans l’histoire de l’art du début du siècle.
En 1884, il réalise ses premiers dessins, des portraits et des paysages.
En 1900, il entre à l’école des Beaux-Arts de Weimar.
En 1901, il accède à la « classe de nature » dirigée par le peintre norvégien Carl Frithjof Smith, dont il adopte la méthode en commençant ses peintures par un dessin au fusain réalisé sur la toile, méthode à laquelle il restera fidèle.
En 1903, il séjourne pour la première fois à Paris. Sa plus grande découverte est l’œuvre de Paul Cezanne.
En 1909, il participe au Salon d’Automne à Paris, ainsi qu’à l’exposition d’art international au Glaspalast de Munich.
En 1913, Paul Cassirer organise une importante rétrospective Beckmann.
Beckmann commence La nuit en 1918 et l’achève l’année suivante.
Pendant la Première Guerre mondiale, il est affecté comme infirmier à la frontière belge. Il est démobilisé en 1915, à la suite d’une dépression nerveuse. Jusqu’en avril 1933, il enseigne à Francfort, avant d’être déchu de son poste.
Au lendemain du discours d’Adolf Hitler sur l’art, il est classé parmi les « peintres dégénérés » et il quitte l’Allemagne pour Amsterdam. Pendant toute la période de la Seconde Guerre mondiale, il vit à Amsterdam où il peint la plupart des triptyques qui contribueront à sa renommée.
En 1926, sa première exposition personnelle a lieu à New-York à la Galerie d’Art Circle.
Ce n’est qu’après la fin de la guerre qu’il rejoint définitivement les États-Unis, en 1947, pour enseigner à Washington et à Brooklyn.
En 1950, l’année où il reçoit le grand prix de la Biennale de Venise, dont le pavillon allemand lui est entièrement consacré, il meurt d’une crise cardiaque à Manhattan.

Le tableau

À partir des années 1920, le peintre séjourne à plusieurs reprises à Baden-Baden, ville d’eau et de jeux du sud de l’Allemagne.

Ce tableau résume l’atmosphère dynamique et complexe de la vie nocturne européenne de l’après-guerre, ainsi que les tensions et les préoccupation de Max Beckmann.
Le peintre établit un lien étroit entre son expérience personnelle et le moment qu’il vit à Baden-Baden.
Il représente l’incertitude de l’époque et son sentiment d’oppression.

Max Beckmann est une figure centrale de l’art du XXe et ce tableau montre sa capacité à capturer l’essence de son temps.

 

Composition

Beckmann confine ses personnages dans un espace claustrophobe.
Les personnages sont déformés par le format allongé du tableau.

Beckmann construit une composition verticale.
Sa composition est plate, bâtie sur la juxtaposition de zones de couleur contrastée.

Le regardeur a une vue plongeante sur le premier plan.
Le second plan qui sature l’espace est face au regardeur.

Beckmann peint une surcharge de personnages grotesques.

Les toilettes glamour de ces couples dansant dans la ville thermale de Baden-Baden contrastent avec leur teint cireux, leur posture rigide et leurs regards tristes et divergents.
Les personnages se pressent dans l’espace de la pièce et de la toile, mais ne suggèrent aucune communauté.

Beckmann utilise de forts contrastes de couleurs et de formes, ainsi qu’une approche incisive de la représentation de la figure humaine.
Le peintre organise la scène de façon à ce que les corps en mouvement et leurs apparences suggèrent à la fois le côté festif et la charge de symbolisme.

L’utilisation de la couleur est essentielle dans ce tableau.
Beckmann utilise une palette riche et nuancée qui comprend des tons chauds et froids, créant une atmosphère à la fois confortable et dérangeante.
Les couleurs vibrantes offrent un contraste avec les expressions des personnages, qui semblent souvent distants ou réfléchissants malgré la scène animée qui les entoure.

 

Analyse

Son œuvre reflète une approche du monde considérée comme une scène de théâtre où se joue la pièce qu’est la vie humaine avec des personnages qui sont des acteurs masqués ou des acrobates.
Nul mieux que Beckmann n’a montré la crise sociale et morale de l’Allemagne des années 1920 et dénoncé la monstruosité du nazisme.
Beckmann dans sa peinture des événements historiques atteint une dimension universelle et intemporelle.

Par le biais du dessin, de la gravure, de lithographie, l’œuvre de Max Beckmann rend compte de chacun des drames du monde.

Après la guerre il déclare vouloir parvenir à une forme « d’objectivité transcendante » et devient durant les années 1920, la figure centrale de la Nouvelle Objectivité, o laquelle le musée de Mannheim consacre une exposition en 1925, aux côtés d’Otto Dix, Cristian Schad, Georg Grosz…

Le XXe s’ouvre sur une guerre qui a bouleversé toutes les valeurs morales, religieuses et sociales des siècles précédents.
Pour rendre compte de ce bouleversement Max Beckmann rompt avec la conception de l’art du XIXe, malgré l’admiration qu’il porte à Goya, Géricault ou Delacroix.
Beckmann oublie la peinture narrative et peint des personnages comme autant de fragments sans rapport explicite entre eux.
Dans ses tableaux il y a une unité de composition à l’intérieur de la quelle les différents motifs se rapportent les uns aux autres.
Son univers iconographique repose sur un matériau littéraire, mythologique et philosophique extrêmement riche.
S’opposant aux avant-gardes modernes, Beckmann se constitue de fait un panthéon personnel de peintres aussi divers que Tintoret, le Greco, Goya, Géricault ou Delacroix car il découvre dans la peinture des maîtres anciens une violence et une force qui font écho au chaos de son temps.

Pour rendre compte du monde qui l’entoure, le peintre doit partir de la réalité vécue.
Il écrit : « Une chose est récurrente en tout art. C’est la sensibilité artistique, liée au caractère figuratif et objectif des objets représentés ».

Après la première Guerre il invente un nouveau langage plastique.
Dessiner lui permet de tenir à distance les abominations insupportables dont il a été témoin.
Beckmann extraira de ces images, une fois la guerre finie, ce qu’elles ont d’éternel.

I- La peinture de Max Beckmann durant les années 20

Ce tableau est un tableau « intérieur », Beckmann exprime un passé enfoui entre ombre et lumière.
Il peint une humanité grotesque.
Il ramène la vie sociale avec ses fastes et ses mondanités à des proportions dérisoires.
Le peintre fait preuve d’agressivité envers ce qui symbolise la séduction féminine.

Pour Beckmann l’important est de traverser l’image, de parvenir, par sa médiation, jusqu’à l’inconscient.

Il peint une représentation froide et impartiale des danseurs en mettant l’accent sur les aspects extravagants de l’apparence et de la personnalité.
Beckmann exprime un sentiment de dédain, créant des caricatures exagérées.
La laideur est présentée comme un fait objectif, produisant un résultat étrange et dérangeant.
L’expression vide des personnages souligne l’idée qu’ils ne sont que des apparences, derrière leur danse mécanique, il n’y a qu’un évènement social vide.

Beckmann capture un moment gelé dans le temps, qui suggère un mélange de joie et de dissonance presque palpable, reflétant les tensions d’une société qui se remet des suites de la Première Guerre mondiale.

Le dualisme dans l’expression et la coloration est caractéristique de la peinture de Beckmann.
Le peintre a toujours chercher à aller au-delà du superficiel pour révéler les émotions les plus profondes et les plus complexes de l’être humain.

Les personnages représentés sont d’âge et d’apparence différente, chacun apporte sa propre histoire à la toile.

Beckmann implique le regardeur.
Le peintre crée un lien viscéral qui implique le regardeur dans une expérience collective de divertissement et de distraction.
L’apparence et les gestes des personnages suggèrent une introspection qui invite le regardeur à considérer ce qui se passe vraiment derrière les sourires : une évasion de désir, une recherche d’identité ou peut-être un reflet de l’aliénation.

Beckmann propose au regardeur une représentation de la vie nocturne et une profonde réflexion sur la condition humaine dans un monde marqué par la guerre et le changement.

Dans ce tableau le peintre fusionne le personnel et l’universel.
Il invite le regardeur à ressentir et à réfléchir sur la complexité des émotions qui surgissent dans l’environnement festif, transformant une danse simple en une exploration de l’humanité.

Le tableau peut aussi être interprété comme un commentaire sur la société de son époque, où les danses et les bars sont devenues des abris pour une génération en recherche de sens et de joie dans un monde en mutation.
Ce contexte enrichit le Dance à Baden-Baden en le plaçant dans la tradition de la peinture expressionniste, qui se concentre souvent sur la représentation de la vie urbaine et les complexités émotionnelles de ses habitants.

Max Beckmann oscille entre espoir et mélancolie, beauté et laideur.
Il a lutté toute sa vie pour accéder à une identité et à un style indissociables de sa conception de l’homme et de l’histoire.
La guerre marque une rupture qui amène Beckmann à se détourner du beau apollinien pour rechercher dans le choc et la violence du réel « l’effroyable beauté » dionysiaque et l’intensité vitale qui permet d’opérer la catharsis de l’horreur de la vie transmuée en art.

Dans ce tableau et à partir des années 20, Beckmann dépasse métaphysiquement le dualisme entre beauté et laideur.
Cette décennie est celle de l’harmonie et de l’analyse plus sereine du monde.

Beckmann est une peintre de métamorphoses, sa réflexion sur la beauté et la laideur du monde est inséparable des variations de sa conception de l’homme et de l’histoire.
C’est véritablement avec la guerre que Beckmann découvre son moi propre.
Le peintre trouve partout les traces profondes de la beauté, dans le fait de souffrir et de supporter cet abominable destin.
Il emprisonne le réel dans des lignes claires, des plans nets, des images distinctes.

Max Beckmann nous donne à voir et pour le peintre voir c’est savoir.
Il fait partager au regardeur.
Que voit le peintre, comment l’interprète-t-il, telles sont les questions que pose l’observation de ce tableau.

L’espace est surchargé, les personnages sont les uns sur les autres, enchevêtrés ; on pense à un bocal de poissons rouges.
Beckmann : « L’espace et encore l’espace, c’est la divinité infinie qui nous entoure et dans laquelle nous sommes nous-mêmes contenus. C’est ce que j’essaie d’exprimer à travers la peinture ».

Dans ce tableau l’espace est l’intériorité et l’extériorité, l’imaginaire et le réel.
Les personnages dans la lumière, forment des couples et donnent le sentiment d’une masse confuse. Les ombres sont peu marquées, les contrastes proviennent des formes et des couleurs, du noir, du bleu, du rouge, du châtain et du blond. Les figures sont longues, minces, caricaturales.
Beckmann compresse et déforme à la fois l’espace et les corps, sans abandonner les volumes, pour atteindre une tension maximale.
Les personnages dansent mais, ils ont le teint cireux. Ils sont malades et en cure à Baden-Baden.
C’est dans leurs rapports entre eux, dans les regards et les gestes que réside l’inquiétante énigme de ces figures.
Les personnages se regardent, dans les yeux au premier plan, à la dérobée pour l’un et pas du tout pour les autres au second plan.
Le second plan saute à la figure du regardeur qui a une sensation d’inconfort.
La toile vient vers nous, s’impose.
Les formes concaves et convexes, les sensations spatiales, le peintre nous donne à éprouver la pression ou l’aspiration physique des figures.
Beckmann introduit le regardeur dans son théâtre.

II- La peinture de Max Beckmann dans les années 30

Au début des années 1930, Beckmann commence à introduire des scène mythiques dans sa peinture.
Les tableaux ont un sens ambigu voire hermétique.

Beckmann déclare en 1938 dans un conférence : « je cherche, en partant du présent, le pont de l’invisible… comme l’a formulé un célèbre Kabbaliste : si tu veux saisir l’invisible, va le plus loin possible dans le visible ».
L’artiste s’engage sur la voie de la mission transcendantale qu’il attribue à l’artiste moderne.

Le peintre cherche à partir de la réalité, le chemin de l’invisible, il cherche à rendre l’invisible visible.

Beckmann développe sa métaphysique de l’objectivité par laquelle il transcende le monde, découvre l’invisible sous-jacent dans le visible et parvient à restaurer l’unité mythique du monde, réconcilié avec le sujet par le prisme de l’art.

Beckmann illustre le passage d’une conception encore académique du beau à un art pathétique, qui inclut le laid, jusqu’à un art métaphysique, qui transcende l’opposition entre beauté et laideur en les intégrant à une esthétique du sublime moderne.

Beckmann voit dans son exil aux États-Unis la possibilité de se libérer du poids de l’existence passée.
Mais l’homme est condamné à vivre sur terre, avec ses horreurs et ses beautés.
C’est par l’art qu’il parvient à une synthèse entre sa conscience moderne et sa fidélité à l’idéalisme ancien, entre le noir et le blanc, le laid et le beau.

Le point culminant de son œuvre sont les neuf triptyques monumentaux, condensés allégoriques sur la condition humaine, qui marquent la production de Beckmann dans ses dernières années.

Chez Beckmann, peintre de métamorphoses, la réflexion sur la beauté et la laideur du monde est inséparable des variations de sa conception de l’homme et de l’histoire.

 

Conclusion

Inclassable, la peinture de Max Beckmann intrigue, provoque un malaise. C’est une peinture puissante.

De Février à Mai 2003, le centre Pompidou a organisé la première grande rétrospective, plus de cent-cinquante œuvres de Max Beckmann ont été exposées.
L’exposition a été organisée en collaboration avec la Tate Modern Gallery de Londres et le MoMA de New-York.
Beckmann est considéré dans les pays anglo-saxons, comme l’un des plus important du XXe.

Beckmann aspire à se placer au niveau des maîtres de l’avant-garde parisienne. Il puise chez Matisse des rêves d’harmonies hédonistes et espère voir ses tableaux accrochés à côté de ceux de Picasso.
Ce rêve sera concrétisé par le MoMA de New-York à la fin des années trente avec la présence de son premier triptyque Le Départ, en face Guernica. Il accède alors à la reconnaissance en Allemagne, une salle monographique lui est consacrée à la Nationalgalerie de Berlin.

Ses œuvres sont exposées au MoMA de New-York, à l’institut d’Art de Chicago, au musée des beaux-arts de Boston, au musée Guggenheim de New-York, et dans un plusieurs galeries à Madrid, Zurich, Rome et St. Louis.

 

Sources :
Chez Persée -2003 Max Beckmann, un artiste face à la barbarie de Georges Blœss
Florence Bancaud -2005 : Max Beckmann ou la réinvention de la beauté