On the Balcony – 1955-57 – Peter Blake

Peter Blake (1932-      )

 

On the Balcony 

1955-57

Huile sur toile
Dim 121 x 91 cm

Conservé à la Tate Gallery de Londres 

 

 

Le peintre

Peter Blake est né dans le Kent, à Dartford.
Peter Blake commence très tôt sa carrière artistique. Dès l’âge de 14 ans il se passionne pour les formes d’art populaire. Il aime les collections d’images et, en 1955 il parcourt l’Europe -grâce à une bourse de recherche, « Leverhulme » – et collecte des cartes postales d’art, des portraits de familles royales, des pages de magazines, des support imprimés de toutes sortes, des paquets de cigarettes. Il étudie l’art populaire à travers l’Europe.
Au Royal College of Art il obtient en 1956 le diplôme de Premier niveau.
Il y retournera en 1964 et 1976 pour enseigner.
En 1960 une première exposition personnelle lui est consacrée à l’Institute of Contemporary Arts. Un an plus tard il présente ses œuvres à l’exposition « Young contemporaries » aux côtés de David Hockney et de R.B.Kitaj, premiers artistes à avoir été rattachés au mouvement anglais Pop Art.
En 1975, il devient membre de la Confrérie des Ruralistes avec Jann Haworth, sa femme.  Sous l’influence de ce groupe d’artistes, son langage graphique se modifie.
En 1979, il se sépare de Jann Haworth et revient vivre à Londres où il vit et travaille aujourd’hui.
Peter Blake est peintre, graveur, et créateur d’assemblages. 

Son souhait est de rendre l’art accessible au grand public.
Il refuse l’élitisme et se passionne pour le côté éphémère de la culture populaire.

 

 

Le tableau 

Jeune étudiant du Royal College of Art, Peter Blake réalise ce tableau pour son diplôme de fin d’étude.
Il choisit comme thème et titre de son tableau, le balcon. Il a 25 ans et pense tout naturellement à Shakespeare. Peter Blake fait dans ce tableau deux allusions à Roméo et Juliette.

Ce contemporain d’Andy Warhol produit avec ce tableau une des premières œuvres Pop Art de l’histoire de l’art alors que sa formation artistique n’est pas achevée. Cette toile lui a demandé deux ans de travail.

Soucieux de rendre la continuité qu’il y a entre ce qui est et ce que fut l’art, Peter Blake combine ses références populaires à des emprunts aux maîtres classiques.

Ce tableau qui à première vue ressemble à un collage, représente des personnages tenant des chefs d’œuvres connus. 

On the Balcony deviens une œuvre emblématique du Pop Art.

Sur la toile, la socialisation du temps libre et la vue sur la ville d’en haut sont représentées avec un groupe de personnes sur un balcon regardant la ville animée en bas.

L’année où Blake commence l’exécution de On the Balcony , en 1955, un critique d’art, en Angleterre, Lawrence Alloway, emploie pour la première fois le mot Pop Art.

Le pop Art britannique, dès les années 1950, précède le Pop Art américain.

 

 

Composition 

Peter Blake dépeint ses pairs étudiants à la Royal Academy of Art de Londres, au milieu de leurs propres créations et d’une poignée d’œuvres célèbres, sur le fond vert d’une composition dense où s’invitent aussi quelques Unes de magazines, cliché de la famille royale, fanions, badges, bandes dessinées, produits courants et emballages.

C’est un  étonnant trompe-l’œil qui donne à voir une multitude d’objets.

Sur un fond vert comme une pelouse anglaise, sans relief, le peintre à représenter quatre enfants qui font face au regardeur, assis sur un banc.
Plus haut dans la composition,  un cinquième personnage, coupé par le bord de la toile, est juché sur une petite table. C’est lui qui tient dans ses mains un exemplaire de Roméo et Juliette de Shakespeare.
Une des vingt-sept allusions au thème du balcon contenues dans ce tableau.
Le fanion rouge de Verona, à gauche au premier plan, complète cette référence.

Les personnages sur le banc ont une apparence curieuse, leur taille est celle des enfants mais leur attitudes correspondent à celles d’adolescents. La fille en rouge fume, un garçon a des lunettes de soleil sur le nez. Sur les verres des lunettes miroite le reflet du peintre au travail.
Trois personnages portent des badges, des accessoires extravagants et des vêtements qui n’ont pas l’accent British mais celui, américain, de la culture rock de l’après-guerre.

Le personnage à l’extrême droite de la composition est considéré comme un autoportrait de Peter Blake.

Le garçon de gauche tient dans ses mains une production de l’œuvre peinte par Manet en 1868 : Le balcon.
Le tableau de Manet est la référence la plus évidente au thème du balcon en art et une des plus immédiatement lisible.

Les photographies montrent la famille royale d’Angleterre.

Chaque personnage est exécuté dans une couleur saturée et une ligne nette qui donne de l’énergie à la composition et souligne le style urbain de la composition.
Chaque personnage possède une personnalité et une attitude distinctes.
Peter Blake s’attache aux rendus des expressions faciales et du langage corporel, ajoutant ainsi de la profondeur au récit qui se déroule dans la composition.
Ce groupe à facettes multiples représente parfaitement l’importance et la signification des relations sociales dans son époque avec de nombreux aspects de la vie urbaine.

Le regardeur est invité à spéculer sur leurs histoires individuelles et leurs relations.

Peter Blake capture l’essence de la culture urbaine avec son mélange de diversité, de glamour et de spontanéité.

L’interaction de la lumière et de l’ombre apporte une impression de mystère et d’intrigue à la composition.

Ce tableau est une prouesse technique.

Peter Blake crée l’illusion d’un collage. Au premier regard l’œil se trompe. Il croit que chaque élément est collé sur la toile. Ce n’est pas le cas. Tout est peint.
Tous les éléments sont reproduits, imités, avec un réalisme remarquable.
Les insignes sur la robe de la fille semblent être brodés.
La couverture de Life a des marques de pliures et d’usure.
La nature morte sur la table du premier plan reproduit avec beaucoup d’exactitude la boîte de corn-flakes américains, la tablette de beurre, le journal, les cartes, les vignettes publicitaires.

L’exploit de Peter Blake consiste à introduire dans l’œuvre tous ces objets hétéroclites et de les représenter à l’échelle.
Le peintre  est capable de reproduire Manet avec la technique de l’impressionnisme, de restituer le tableau de Léon Kossoff, au premier plan, avec des empâtements de plusieurs millimètres.

Sur une même toile, Peter Blake a recours à des techniques différentes, la peinture à l’huile et l’huile mélangée à la gomme, ainsi qu’à des manières de peindre diverses.

 

 

Analyse 

En Angleterre, le Pop Art a remplacé les impulsions destructives, satiriques et anarchiques du mouvement Dada par l’affirmation détachée des objets façonnés de la culture de masse.
Le Pop Art s’intéresse au design, au cinéma, à la publicité, à la bande dessinée et à la science fiction. Il brise les codes de l’art de l’époque.
C’est un mouvement proche de la société qui démocratise l’art auparavant réservé aux élites et qui allie l’humour et la dérision de la consommation de masse tout en dénonçant cette explosion de consommation à outrance de la société d’après-guerre.
L’ironie et la parodie sont utilisées pour illustrer ce dispositif symbolisant  la puissance et la manipulation qui affectaient le style de vie d’une société, tout en améliorant la prospérité de celle-ci.

Le Pop Art a coïncidé avec le phénomène de la musique pop des années 50 et 60 en plus de prendre place dans l’image de la mode à Londres.
Peter Blake a par exemple  conçu des couvertures d’album pour Elvis Presley et les Beatles. Il a aussi utilisé des images de stars du cinéma telle que Brigitte Bardot, de la même manière que Andy Warhol a immortalisé Marilyn Monroe.

Cette toile n’a pas pour but de condamner la société de consommation. Elle n’est pas non plus une critique des stéréotypes de cette société.
Ce tableau se veut représentatif d’une société tournée vers la consommation de masse, une esthétique de l’abondance.

Le tableau ne cherche pas à se conformer aux goûts du public, il suit les normes établies par la société des mass médias, de la publicité.

Le tableau est populaire car sa compréhension est aussi immédiate qu’un message publicitaire, ou un magazine à grand tirage.

Kandinsky écrit : « Toute œuvre d’art est l’enfant de son temps et, bien souvent, la mère de nos sentiments. Ainsi de chaque ère culturelle naît un art qui lui est propre et qui ne saurait être répété ».

Peter Blake ne fait pas de distinction entre l’art et la vie.

Peter Blake avec ce tableau se tourne vers son propre passé, vers son enfance, ses années de formation et l’univers commun aux jeunes ayant grandi en Angleterre à la fin de la deuxième guerre. 

Sa toile est une œuvre complexe et fantaisiste.

Peter Blake utilise des images populaires par opposition à la culture élitiste dans l’art.  Il se sert de photographies.

La référence et la signification symbolique ne peuvent être entièrement  éliminées de l’expérience que l’on fait de ces photographies remployées, mais elles passent au second plan et nous nous trouvons confrontés à l’opacité de ces images plutôt qu’à leur transparence, à leur dimension réflexive plutôt qu’à leur dimension transitive.

Peter Blake travaille sur le plan pictural, sur l’image en tant qu’image, sur la forme, sur la question de la figuration en tant que telle, le peintre ne fait pas de commentaire sociologique.
Ce tableau est ironique parce qu’il est plus théorique et réflexif que transitif.
C’est une ironie qui banalise, neutralise  les objets du quotidien que  reproduit le tableau. 

Ces images sont à la fois le symptôme et le moyen, d’une interrogation artistique sur la figuration. C’est à dire sur les ressources artistiques possibles de la mise en figure, en-deçà de l’usuelle mimésis.

C’est l’ironie du Pop Art, la question de l’art posée à l’art par l’art.

Les images d’actualité qui montrent la famille royale s’apparentent chez Peter Blake à un hommage.
En haut à droite, juste au-dessus de l’autoportrait , on reconnaît Churchill au balcon de Buckingham le 8 ami 1945. Il est entouré par le roi et la reine qui saluent la foule le jour de la Victoire contre le nazisme. Près d’eux, la jeune Elisabeth a déjà la présence d’une souveraine.
Peter Blake en 1955-57 se souvient de l’attitude héroïque de la famille royale pendant la guerre.

Comme le peintre vit avec son temps, il représente aussi une page du magazine Life du 2/09/1957. Margaret, radieuse dans une robe d’un blanc immaculé, fait une apparition remarquée sur une terrasse. Elle n’est pas guindée, c’est une princesse qui pose avec grâce, comme une actrice de cinéma.

L’autoportrait du peintre est différent des autres personnages. Le peintre a l’air plus grave, un visage plus pâle. Autour du cou il porte en pendentif, un portrait de son professeur d’art, John Minton, qui vient de se suicider.
Le tableau qu’il montre, cette figure qui semble sortie d’un roman russe, est une œuvre de Léon Kossoff (1926-2019)

Observer cette toile permet au regardeur de comprendre les aspirations d’une jeunesse des années 1950 – 60 :

Sur le revers de la veste du jeune qui porte des lunettes,  l’insigne YHA de l’association des auberges de jeunesse est juste à côté de l’Union Jack.
La culture pop des années soixante s’appuie sur les médias et la technologie, sur la consommation de masse. Elle est pour un public jeune.

On retrouve dans cette composition incongrue et psychédélique,  la fantaisie débridée d’un Max Ernst.
Les héros anonymes et glamour se côtoient avec une pointe d’humour décalé.

Ce tableau saisit dans les moindres instants de la modernité des étincelles poétiques éphémères.
Le peintre ne médit jamais, il raille.

Ce tableau incarne la vision artistique de Peter Blake et son talent pour dépeindre les modes de vie modernes. 

Peter Blake porte sur le monde un regard amusé, parfois ironique et critique mais toujours débordant de tendresse.

Qu’est qui a changé aujourd’hui 

Le désir d’ailleurs, l’envie de consommer toujours plus de produits venus du bout du monde, sont toujours bien présents.
Mais quelque chose de plus ambigu, comme dans ce tableau, a surgi.
Le repli sur soi du confinement a fait naître la volonté de se tourner vers sa propre vie, vers ses souvenirs de famille.
Et partout des réflexes plus « nationaux » ont surgi. Ils ne valorisent pas les chefs d’état mais tous les gens ordinaires qui ont permis aux pays de continuer à vivre.

 

 

Conclusion 

Le  Pop Art émergea d’abord en Grande-Bretagne puis aux États-Unis.
Les anglais Peter Blake et David Hockney recyclèrent les faits et les objets de la vie courante : emballages, badges, coupures de journaux et de magazines, voire références à d’autres œuvres d’art (majeur ou mineur, contemporain ou ancien). 

Peter Blake ne s’est jamais laissé enfermer dans une catégorie. Il peint, colle, assemble, passe d’un genre à l’autre avec toujours la même verve caustique, la même fraicheur. Il a su conserver la candeur de l’enfance, qu’il allie à un humour très British, à un solide talent graphique et à un sens raffiné de la couleur.
Quand il peint, il est portraitiste, miniaturiste ou illustrateur. Il peint aussi des natures mortes à la manière de Zurbaran ou Courbet, la touche est précise, le geste virtuose, le coloris délicat et la lumière savante.

Peter Blake porte sur le monde un regard amusé, parfois ironique et critique mais toujours débordant de tendresse.

Peter Blake est un passionné de musique et a souvent  incorporé des références musicales à ses œuvres. Il a collaboré  avec de nombreux musiciens et groupes, notamment les Who, Eric Clapton et Paul Weller.

Son héritage en tant qu’artiste Pop Art britannique de renom est indéniable, et son travail reste une source d’inspiration pour de nombreux artistes contemporains.

Peter Blake est élu à la Royal Academy en 1981.
En 1983, il reçoit le ruban de l’ordre de l’Empire Britannique.
En 2002 il est anobli pour services rendus aux arts.

Peter Blake est aujourd’hui un vieil artiste de 93 ans.
Il écrit : « on essaie quelquefois de rester consciemment en retrait ou de retourner dix ans en arrière. Je suis porté à pratiquer ce jeu, « nager à contre-courant » parfois de façon consciente, parfois de façon inconsciente ».

Nager à contre-courant est le privilège des artistes.

Le pop Art est toujours en vogue et les artistes pop sont encore présents au XXI siècle.

 

 

Sources :
Commentaire sur Peter Blake de Musanostra
chez Persée- article de Bertrand Rougé -2013 : La forme éloignée de l’usage. Poétique du remploi figuratif et esthétique ironique du Pop Art.
Bertrand Lemonnier : Aux origines britanniques du Pop Art.
Singulart – 2024 article : Explorer Sur le balcon de Peter Blake