La voix, nuit d’été -huile d’Oslo – Edvard Munch

Edvard Munch (1863-1944)

 

La voix, nuit d’été-Huile d’Oslo

1893

Huile sur toile

Dim 88 x 108 cm

Conservé au Museum of Fine Arts de Boston

 

Munch est un peintre productif.

1789 œuvres ont été recensées, la plupart réalisées entre 1887 et 1908, durant ses séjours en France et en Allemagne.
La période artistique qui s’échelonne de 1885 à 1902, l’a propulsé sur le devant de la scène.
En 1892, son tableau : Le cri présenté lors d’une exposition en Allemagne fait scandale et rend Munch célèbre.
A partir de 1904, il peint des séries de variations sur un même thème.
Entre 1909 et sa mort en 1944, il peint seulement 50 tableaux.

L’exposition La Vie a réuni une série de 6 tableaux à la fin de l’année 1893, à Berlin. La voix, nuit d’été est l’un d’eux.

Cette exposition est la toute première ébauche du grand projet de Munch, qu’il nommera lui-même La Frise de la Vie : Edvard Munch écrit :

« Les peintres ne représentent plus de scènes d’intérieur, l’homme lisant, la femme cousant, ils doivent peindre des hommes qui respirent, s’émeuvent et aiment…je vais faire une série de tableaux dans cet esprit : il faudra que l’on comprenne ce qu’ils contiennent de sacré, et que les gens se découvrent devant eux comme s’ils se trouvaient dans une église ».

C’est entre 1885 et 1893, qu’il peint ses œuvres maîtresses.
La voix, nuit d’été en fait partie.

 

Description

Ce tableau dégage une grande étrangeté.
Il représente une jeune femme, debout dans la pinède, au bord de la mer, dans la lumière du crépuscule.

 

Composition

Le tableau est construit sur un jeu de verticalité et d’horizontalité.

Le tableau se découpe en deux plans :
Le premier plan est vertical avec la femme et les arbres ;
Le deuxième plan délimité par la bande de sable, avec le ciel, la mer et le bateau est horizontal. Il est coupé en deux parties égales par la lune et son long reflet sur l’eau. La lune et sa longue trace lumineuse bien centrées au sein de la composition rencontrent la ligne rouge sang de la berge.
Elle est le pendant du personnage.

Les troncs d’arbres, en plus de rythmer la composition nous enferment dans l’intimité et l’intériorité de la femme.

Le petit bateau blanc que l’on aperçoit au loin avec deux personnages semble comme tenu à l’écart de la scène. Il représente la vie concrète.

C’est une composition sous influence française :
L’utilisation du motif des arbres est inspirée par Les arbres bleus (1888) de Gauguin. Peintre qui a une importance capitale sur l’œuvre de Munch.
On peut également rapprocher ce tableau de la série Les Peupliers (1891) peinte par Monet.
La femme a une ébauche de bouche, son visage pâle évoque un masque avec un regard fixe qui affronte le regard du spectateur.
La femme est cadrée en plan-américain de trois-quarts face, les mains derrière le dos, son corps tendu vers l’avant, vers le spectateur.
Munch reprend de Manet l’idée de plaquer un personnage en avant-plan comme dans Serveuse du bar des Folies Bergères (1881-82)

La ligne de la plage se substitue à la ligne d’horizon invisible pour venir adoucir la composition en une ligne courbe et ondulante.

La perspective du tableau comme toutes les perspectives de Munch, n’est pas conventionnelle, elle n’est là que pour transmettre la perception du peintre.

Munch dit « Je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que j’ai vu ».

La fraicheur des aplats de couleur évoque l’influence de Gauguin.
La robe blanche de la jeune femme et surtout le bleu presque émeraude vif de la mer et du ciel tranchent avec les masses sombres du premier plan.
C’est ce contraste qui produit la sensation d’obscurité angoissante.

Munch déclare lui-même « il faut que la chair prenne forme et que la couleur vive ».

Munch a peint autant qu’il a écrit –Extrait de son journal (1907) Page 153-III

« L’art et la nature
L’art est le contraire de la nature
Une œuvre d’art ne vient que du plus profond de l’être humain
L’art est le besoin de cristallisation de l’être humain.
La nature est le vaste et éternel royaume dont se nourrit l’art.
La nature n’est pas seulement ce qui est visible à l’œil.
Elle comporte aussi les images internes de l’âme- les images imprimées sur sa rétine ».

 

Analyse

Les lèvres de la jeune femme sont à peine entre-ouvertes.
Il est possible qu’elle parle, mais ce n’est pas certain.
Pourquoi le tableau porte-t-il ce titre ?

Première hypothèse: la jeune femme est une allégorie de la voix.
Elle la personnifie, la représente. Petite personne désirable, un peu inquiétante, légèrement provocante, voilà à quoi la voix ressemble dans l’imagination d’Edvard Munch.

Deuxième hypothèse:la jeune femme n’est qu’un leurre.
C’est le décor qui représente la voix dans le tableau : Une succession de traits et de fréquences, un peu comme un code-barres, agrémentée de jolies couleurs.
La voix devient une ambiance, un enveloppement, une résonance, nous y habitons.
La ligne rouge de la plage représente la censure.
La femme ne peut rien dire.
Sa voix reste dans le fond du tableau, dans la partie lumineuse où se trouvent la lune et son reflet dans la mer, créant un effet d’écho, de résonance …inaudible.

Le bateau blanc est une figure visible, alors que la voix est invisible.

Munch reprend les fonds de ses tableaux : le reflet typique de la lune s’étirant à la surface de la mer dans La Voix, nuit d’été-huile d’Oslo (1893) était dans :
-Clair de lune sur la côte (1892) avec la lune qui se reflète sur le chemin
Plage mystique (1892) où c’est le soleil, moins stylisé. Là aussi la plage est bordée d’un rouge angoissant.
Ils seront dans :
Baiser sur la plage au clair de lune (1914)
Vampire dans la forêt (1916)

On observera que Le cri (1895) -son tableau le plus célèbre- est postérieur à la voix.

Munch a représenté la voix avant le cri.

L’angoisse date de 1896.

L’allégorie précède l’expression, l’idée précède l’émotion.

 

Conclusion

Avec ces distorsions et déformations, Munch parvient à nous montrer son angoisse et illustre de façon générale le malaise de la civilisation

S’opposant au réalisme, au positivisme, au matérialisme, mais aussi à l’impressionnisme, le symbolisme, qui émerge dans toute l’Europe, veut aller au-delà des apparences et traduire des idées, en se recentrant sur le rêve, l’imaginaire ou le monde de la pensée.

Ed. Munch fait preuve d’une subjectivité d’une extrême violence à la fois sur le plan de la forme et du fond.

Munch se nourrit des bouleversements de sa vie affective. Il a cinq ans lorsque sa mère et sa sœur meurent de tuberculose. Ces décès lui donneront le goût des représentations morbides.
La passion, la jalousie, l’angoisse devant la mort qui forment la trame de ses tableaux ne renvoient plus à la souffrance de l’artiste mais, à l’humanité tout entière.

Munch exprime l’idée que l’humanité et la nature sont inexorablement unies dans le cycle de la vie, de la mort et de la renaissance.

Il s’acharne à vouloir percer les mystères de l’âme humaine à partir des images qui le hantent, son univers est totalement intériorisé.

Ses ruptures de style présentes dans chacun de ses tableaux conduisent Munch vers un art où l’expression a plus à voir avec la forme qu’avec l’iconographie.
Edvard Munch est la plus parfaite incarnation de l’Expressionnisme.

En plein milieu du naturalisme, il a revendiqué une forme d’art complètement non-naturaliste. Il n’a pas peint la nature, il s’est servi de la nature et des personnes en les transformant. Il les a colorées pour exprimer des ambiances particulières. Il a peint les visages en rouge bleu ou jaune pour obtenir l’expression qu’il voulait.

Munch le premier a inventé un style : « le style de l’angoisse »

Edvard Munch représente la contribution inattendue de la Norvège à l’épanouissement de la peinture au XXe.

Aucun peintre n’a jamais comme lui réussit à comprimer une ambiance aussi intense sur une toile, personne n’a, comme Munch, osé de manière plus souveraine mettre de côté tous les concepts de beauté conventionnels et les formes habituelles pour parvenir précisément à exprimer ce qu’il voudrait dire et ce qu’il a à dire.

Ed. Munch : « Qu’est-ce que l’art ?  L’art nait de la joie et de la peine. Mais surtout de la peine. Il naît de la vie humaine ».

Femmes au puits – Signac

Signac (1863-1935)

 

 Femmes au puits

1892

Huile sur toile

Dim 195 x 131 cm

Conservé au musée d’Orsay

 

De 1892 à 1913 Signac séjourne à Saint Tropez.
En 1892, le peintre réalise une grande composition Temps d’Harmonie.
Dans l’une des premières esquisses pour ce tableau figurent deux femmes occupées à tirer l’eau d’un puits
Signac décide d’isoler ces deux personnages et de leur consacrer une toile.

 

Description

Deux femmes puisent de l’eau à un puits, une troisième s’éloigne sur le sentier qui grimpe sur la colline. Sur le sommet de la colline on aperçoit une citadelle et un bosquet d’arbres. On distingue la jetée du port de Saint Tropez et son phare, au loin les montagnes de l’Estérel et des Maures. Sur la mer voguent des voiliers, d’autres sont amarrés.

 

Composition

La toile est traversée par une grande diagonale qui découpe la composition en deux parties ; d’un côté la mer et le ciel de l’autre la colline.

La toile est scandée de verticales qui rythment la représentation et dont l’échelonnement induit la distance dans le tableau : les cruches devant et sur le puits, les femmes debout de part et d’autre du puits, la chaîne du puits, plus loin le phare et la troisième femme dans le sentier, encore plus loin les voiles des bateaux puis, la chaîne de montagne qui se dissout dans une perspective atmosphérique, afin sur la droite du tableau les verticales de la citadelle et des pins.
Les principales lignes directrices s’accordent avec le sentier de la colline.
La scène est placée au centre du tableau, marqué par la chaîne du puits ; elle s’inscrit dans un triangle dessiné par les silhouettes des deux femmes.

Le tableau est fait de contrastes entre les couleurs complémentaires.
La matière de ce tableau est rendue uniforme par l’utilisation systématique de petits points colorés. Signac utilise la technique du pointillisme initiée par Seurat. Il juxtapose sur la toile des touches de ton pur contrastées dont l’effet est visible à une certaine distance du tableau.
De multiples bleus et aussi du violet composent la mer et les jupes des femmes dans des proportions différentes.
C’est l’utilisation de ces différents bleus qui fait toute la complexité et la richesse de cette représentation.
Au premier plan Signac exprime l’ombre par une alternance au sol de couleurs chaudes et froides.

C’est le travail sur la lumière qui occupe Signac.
Au-delà du premier plan, tout le tableau baigne dans la lumière écrasante du soleil du Midi.
Le ressentie de la chaleur et du soleil se voit dans les drapés pesants de la jupe violette, dans les formes raides, dans les points lumineux qui parsèment la toile accrochés au chapeau, plaqués sur la pierre du puits, glissés sur le chemin de la colline.

La lumière provient de la toile elle-même et de ses couleurs acides avec une dominante de jaune.

 

Analyse

Signac est un fervent admirateur de Monet et il est passionné de navigation :
On retrouve dans ses premières toiles le goût des paysages au bord de l’eau où la lumière et le paysage se reflètent et miroitent

Femme au bord d’un puits est un décor
C’est ce que Signac a voulu, peindre ce paysage comme un décor.
Il dit de cette toile :
« cette décoration est conçue pour un panneau placé dans la pénombre ».
Signac a peint d’autres toiles dans le même esprit :
Le grand canal à Venise  en 1905 et La calanque en 1906

il n’y a pas de relief dans ce paysage.
Signac peint au premier plan une ombre géante dont la forme en volute suggère qu’il s’agit de l’ombre d’arbres. Cette ombre est très travaillée, les verts de la même intensité que celle des cruches émaillées annulent l’espace.
Signac peint les différents plans du paysage de manière à ce qu’ils se fondent les uns dans les autres, et donne ainsi un effet de planéité à sa peinture, conforme à l’idée du décor.

 

Conclusion

La grande composition Temps d’harmonie dont est extrait Femmes au puits est une allégorie de la société idéale et l’illustration du bonheur de vivre.
Une vision utopiste d’une époque future où l’humanité connaitra la paix et le bonheur.
Signac recherche l’harmonie dans le sujet et la composition.

Les toiles pointillistes ne sont pas de froides applications des théories scientifiques. La technique se met au service de la sensation du peintre.
Le pointillisme est une affaire de sensibilité. Il suffit de comparer la poésie dépouillée d’un tableau d’Henri-Edmond Cross et la peinture lumineuse de Signac.

Fidèle au salon des Indépendants dont il deviendra le président en 1909, il expose chaque année, aux côtés de Seurat, de Toulouse-Lautrec et de Van Gogh.
Signac travaille en étroite collaboration avec Seurat et pose avec lui les bases scientifiques du « pointillisme ». Après la mort de Seurat, il prend la tête du mouvement.

La période de Saint Tropez est le moment où Signac écrit son essai :
D’Eugène Delacroix au Néo-impressionnisme.
Ce texte influencera les peintres, étant le seul traité théorique et technique, au moment où l’on croit à l’avènement d’un art nouveau : l’art de la couleur.
Il influencera entre autres, Matisse, Kandinsky, Klee, Mondrian, Kupka.

Matisse applique la loi du contraste simultané des couleurs mais, se dégage de la touche pointilliste, pour travailler à plat, c’est la naissance du Fauvisme.