Golgotha, Consumatum Est -La Crucifixion -Jean-Léon Gérôme

Jean-Léon Gérôme (1824-1904)

 

Golgotha, Consumatum Est
La crucifixion

1867
Huile sur toile
Dim 82 x 144,5 cm

Conservé au musée d’Orsay

 

J-L. Gérôme est un artiste néoclassique reconnu pour ses compositions orientalistes et historiques. Gérôme a multiplié les voyages en Orient, notamment en Terre sainte.
Dans ce tableau, il aborde le sujet en observant une vérité archéologique et topographique.

Le titre du tableau est une référence à la dernière parole du christ :
« Golgotha Consumatum Est » veut dire : Golgotha, tout est accompli.

 

Golgotha, Consumatum Est
Est une peinture d’histoire.
Une peinture académique représentant une scène religieuse.

 

Composition

C’est le souci du détail qui interpelle le spectateur.
La nature, mélange d’obscurité et de lumière, exprime et reflète le drame qui s’est joué hors du tableau.
Le premier plan est minéral : une colline aride faite de rochers blanchis, un ruisseau.
Le second plan est végétal : une grande et sombre forêt, une vallée et un bosquet d’oliviers.
Le troisième plan : au fond du tableau, est une grande ville enceinte de murs.
Au-delà de la ville, le ciel est lumineux à l’arrière-plan et chargé d’ombres en surplomb du tableau.
Sur les pierres blanchies :
-à gauche du tableau se trouve un petit groupe formé par des hommes et des chevaux.
-à droite trois ombres immenses et très distinctes.
Ce sont des croix sur lesquelles sont cloués des hommes.
En se référant au titre de l’œuvre nous déduisons que nous regardons la crucifixion du Christ.
Golgotha est le lieu de crucifixion du Christ.
La ville dans le fond du tableau est donc Jérusalem.

Les plans sont délimités par des lignes précises : les rochers, la forêt, la ville.

Les croix sont face au groupe d’hommes, elles initient des diagonales qui se rejoignent et forment une ligne de fuite.

Les couleurs dominantes sont les beiges des pierres et de la ville et le vert des arbres.

C’est une peinture très léchée.
La touche nette peint avec précision et détails le contour des ombres (on voit la corde qui pend, on distingue les pieds) et les fissures des rochers.

La lumière provient du soleil qui se trouve derrière les croix.
C’est une lumière très vive, presque irréelle.

La composition offre un hors champ cinématographique.
L’ellipse visuelle, des ombres des trois croix projetées par une lumière intense, capte l’attention du spectateur.

 

Analyse

C’est une toile qui interpelle.

Gérôme a illustré le verset de Luc 23,49 : Nous sommes à la neuvième heure et pendant trois heures il y eu les ténèbres sur toute la terre.
Les ténèbres se dissipent mais obscurcissent encore une partie du tableau. C’est le moment précis où le Christ vient de mourir et où les soldats romains s’en vont après avoir constaté le décès, laissant le corps qui va être détaché et enterré par Joseph d’Arimathie et Nicodème.

Le christ est mort et présent à la fois.
Gérôme nous invite à imaginer l’instant d’après.
C’est un tableau très religieux, la présence divine s’étend alors que le Christ est mort.

À cause de l’heure tardive et de l’approche du Shabbat la préparation du corps n’est pas faite avant la mise au tombeau. Entre temps le Christ aura disparu, laissant son tombeau vide, accentuant ainsi l’impression d’absence qui contrastera avec sa résurrection.

Ce tableau n’est pas une œuvre religieuse et n’est pas non plus véritablement un paysage ou une scène de genre.

Ce tableau est différent.

Le peintre situe la scène principale hors du tableau. Il fait disparaître Marie, Jean et les femmes éplorées.
Hors de notre champ de vision, le Christ demeure le personnage central.

Auparavant les peintres représentaient une vision glorieuse du Christ mort sur la croix. L’Église commandait des tableaux où les fidèles impressionnés voyaient un Christ martyr.

Gérôme laisse le spectateur juge : le Christ est-il un homme ou un Dieu ?

Quelle est la finalité de ce tableau ?

Le peintre installe une ambiance dramatique
Avec la ville de Jérusalem éclairée par le soleil qui contraste avec la mort du Christ
Avec la représentation du drame au travers des ombres des corps disparus de la vue, dont il ne doit rester que le seul souvenir.

Gérôme cherche à représenter les détails pour se rapprocher de la photographie et rendre réelles ses représentations.
Gérôme dit « peindre comme une photo c’est peindre vrai ».

La même année 1867, il peint Les coureurs du Pacha où sa représentation des murs de briques répond au même souci de réalisme.

C’est l’interprétation figurative de l’œuvre qui interpelle.
Gérôme abandonne les stéréotypes des représentations classiques.
Il cherche une expression personnelle éloignée des commandes.
Le peintre refuse toute innovation technique comme thématique.
Il refuse la libération de la touche.
Gérôme se cantonne dans son hyperréalisme, contrairement à Manet qui au même moment renouvelle l’expression artistique.

 

Conclusion

Lorsque Gérôme présente sa toile Golgotha, Consumatum Est au salon de 1868, les critiques sont sévères.
Le peintre délaisse l’iconographie traditionnelle en représentant les ombres portées des trois croix.
Cette composition audacieuse, hors champ, proche du cadrage cinématographique a dérouté les spectateurs.

Avec l’intention de revivifier le genre religieux et de retrouver le pouvoir d’évocation de l’évangile, Gérôme propose une solution picturale inédite.

La voix, nuit d’été -huile d’Oslo – Edvard Munch

Edvard Munch (1863-1944)

 

La voix, nuit d’été-Huile d’Oslo

1893

Huile sur toile

Dim 88 x 108 cm

Conservé au Museum of Fine Arts de Boston

 

Munch est un peintre productif.

1789 œuvres ont été recensées, la plupart réalisées entre 1887 et 1908, durant ses séjours en France et en Allemagne.
La période artistique qui s’échelonne de 1885 à 1902, l’a propulsé sur le devant de la scène.
En 1892, son tableau : Le cri présenté lors d’une exposition en Allemagne fait scandale et rend Munch célèbre.
A partir de 1904, il peint des séries de variations sur un même thème.
Entre 1909 et sa mort en 1944, il peint seulement 50 tableaux.

L’exposition La Vie a réuni une série de 6 tableaux à la fin de l’année 1893, à Berlin. La voix, nuit d’été est l’un d’eux.

Cette exposition est la toute première ébauche du grand projet de Munch, qu’il nommera lui-même La Frise de la Vie : Edvard Munch écrit :

« Les peintres ne représentent plus de scènes d’intérieur, l’homme lisant, la femme cousant, ils doivent peindre des hommes qui respirent, s’émeuvent et aiment…je vais faire une série de tableaux dans cet esprit : il faudra que l’on comprenne ce qu’ils contiennent de sacré, et que les gens se découvrent devant eux comme s’ils se trouvaient dans une église ».

C’est entre 1885 et 1893, qu’il peint ses œuvres maîtresses.
La voix, nuit d’été en fait partie.

 

Description

Ce tableau dégage une grande étrangeté.
Il représente une jeune femme, debout dans la pinède, au bord de la mer, dans la lumière du crépuscule.

 

Composition

Le tableau est construit sur un jeu de verticalité et d’horizontalité.

Le tableau se découpe en deux plans :
Le premier plan est vertical avec la femme et les arbres ;
Le deuxième plan délimité par la bande de sable, avec le ciel, la mer et le bateau est horizontal. Il est coupé en deux parties égales par la lune et son long reflet sur l’eau. La lune et sa longue trace lumineuse bien centrées au sein de la composition rencontrent la ligne rouge sang de la berge.
Elle est le pendant du personnage.

Les troncs d’arbres, en plus de rythmer la composition nous enferment dans l’intimité et l’intériorité de la femme.

Le petit bateau blanc que l’on aperçoit au loin avec deux personnages semble comme tenu à l’écart de la scène. Il représente la vie concrète.

C’est une composition sous influence française :
L’utilisation du motif des arbres est inspirée par Les arbres bleus (1888) de Gauguin. Peintre qui a une importance capitale sur l’œuvre de Munch.
On peut également rapprocher ce tableau de la série Les Peupliers (1891) peinte par Monet.
La femme a une ébauche de bouche, son visage pâle évoque un masque avec un regard fixe qui affronte le regard du spectateur.
La femme est cadrée en plan-américain de trois-quarts face, les mains derrière le dos, son corps tendu vers l’avant, vers le spectateur.
Munch reprend de Manet l’idée de plaquer un personnage en avant-plan comme dans Serveuse du bar des Folies Bergères (1881-82)

La ligne de la plage se substitue à la ligne d’horizon invisible pour venir adoucir la composition en une ligne courbe et ondulante.

La perspective du tableau comme toutes les perspectives de Munch, n’est pas conventionnelle, elle n’est là que pour transmettre la perception du peintre.

Munch dit « Je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que j’ai vu ».

La fraicheur des aplats de couleur évoque l’influence de Gauguin.
La robe blanche de la jeune femme et surtout le bleu presque émeraude vif de la mer et du ciel tranchent avec les masses sombres du premier plan.
C’est ce contraste qui produit la sensation d’obscurité angoissante.

Munch déclare lui-même « il faut que la chair prenne forme et que la couleur vive ».

Munch a peint autant qu’il a écrit –Extrait de son journal (1907) Page 153-III

« L’art et la nature
L’art est le contraire de la nature
Une œuvre d’art ne vient que du plus profond de l’être humain
L’art est le besoin de cristallisation de l’être humain.
La nature est le vaste et éternel royaume dont se nourrit l’art.
La nature n’est pas seulement ce qui est visible à l’œil.
Elle comporte aussi les images internes de l’âme- les images imprimées sur sa rétine ».

 

Analyse

Les lèvres de la jeune femme sont à peine entre-ouvertes.
Il est possible qu’elle parle, mais ce n’est pas certain.
Pourquoi le tableau porte-t-il ce titre ?

Première hypothèse: la jeune femme est une allégorie de la voix.
Elle la personnifie, la représente. Petite personne désirable, un peu inquiétante, légèrement provocante, voilà à quoi la voix ressemble dans l’imagination d’Edvard Munch.

Deuxième hypothèse:la jeune femme n’est qu’un leurre.
C’est le décor qui représente la voix dans le tableau : Une succession de traits et de fréquences, un peu comme un code-barres, agrémentée de jolies couleurs.
La voix devient une ambiance, un enveloppement, une résonance, nous y habitons.
La ligne rouge de la plage représente la censure.
La femme ne peut rien dire.
Sa voix reste dans le fond du tableau, dans la partie lumineuse où se trouvent la lune et son reflet dans la mer, créant un effet d’écho, de résonance …inaudible.

Le bateau blanc est une figure visible, alors que la voix est invisible.

Munch reprend les fonds de ses tableaux : le reflet typique de la lune s’étirant à la surface de la mer dans La Voix, nuit d’été-huile d’Oslo (1893) était dans :
-Clair de lune sur la côte (1892) avec la lune qui se reflète sur le chemin
Plage mystique (1892) où c’est le soleil, moins stylisé. Là aussi la plage est bordée d’un rouge angoissant.
Ils seront dans :
Baiser sur la plage au clair de lune (1914)
Vampire dans la forêt (1916)

On observera que Le cri (1895) -son tableau le plus célèbre- est postérieur à la voix.

Munch a représenté la voix avant le cri.

L’angoisse date de 1896.

L’allégorie précède l’expression, l’idée précède l’émotion.

 

Conclusion

Avec ces distorsions et déformations, Munch parvient à nous montrer son angoisse et illustre de façon générale le malaise de la civilisation

S’opposant au réalisme, au positivisme, au matérialisme, mais aussi à l’impressionnisme, le symbolisme, qui émerge dans toute l’Europe, veut aller au-delà des apparences et traduire des idées, en se recentrant sur le rêve, l’imaginaire ou le monde de la pensée.

Ed. Munch fait preuve d’une subjectivité d’une extrême violence à la fois sur le plan de la forme et du fond.

Munch se nourrit des bouleversements de sa vie affective. Il a cinq ans lorsque sa mère et sa sœur meurent de tuberculose. Ces décès lui donneront le goût des représentations morbides.
La passion, la jalousie, l’angoisse devant la mort qui forment la trame de ses tableaux ne renvoient plus à la souffrance de l’artiste mais, à l’humanité tout entière.

Munch exprime l’idée que l’humanité et la nature sont inexorablement unies dans le cycle de la vie, de la mort et de la renaissance.

Il s’acharne à vouloir percer les mystères de l’âme humaine à partir des images qui le hantent, son univers est totalement intériorisé.

Ses ruptures de style présentes dans chacun de ses tableaux conduisent Munch vers un art où l’expression a plus à voir avec la forme qu’avec l’iconographie.
Edvard Munch est la plus parfaite incarnation de l’Expressionnisme.

En plein milieu du naturalisme, il a revendiqué une forme d’art complètement non-naturaliste. Il n’a pas peint la nature, il s’est servi de la nature et des personnes en les transformant. Il les a colorées pour exprimer des ambiances particulières. Il a peint les visages en rouge bleu ou jaune pour obtenir l’expression qu’il voulait.

Munch le premier a inventé un style : « le style de l’angoisse »

Edvard Munch représente la contribution inattendue de la Norvège à l’épanouissement de la peinture au XXe.

Aucun peintre n’a jamais comme lui réussit à comprimer une ambiance aussi intense sur une toile, personne n’a, comme Munch, osé de manière plus souveraine mettre de côté tous les concepts de beauté conventionnels et les formes habituelles pour parvenir précisément à exprimer ce qu’il voudrait dire et ce qu’il a à dire.

Ed. Munch : « Qu’est-ce que l’art ?  L’art nait de la joie et de la peine. Mais surtout de la peine. Il naît de la vie humaine ».