Les Muses -Maurice Denis 2

Maurice Denis (1870-1943)

 

Les Muses

1893
Huile sur toile
Dim : 171,5 x 137,5 cm

Conservé au musée d’Orsay

 

Ce tableau pourrait s’appeler Hommage à Marthe

Maurice Denis prend pour prétexte l’illustration d’un sujet mythologique traditionnel : les neuf muses, pour représenter non pas une mais neuf fois le visage, la silhouette de Marthe, sa muse, son inspiratrice, sa femme, jusqu’à sa mort.
Il écrit : « Elle est plus belle que toutes les images, que toutes les représentations, que tous les effets subjectifs. Elle est en dehors de moi, ce n’est pas moi qui la crée ».

Le thème du tableau se réfère à un sujet traité par les peintres depuis la Renaissance, avec une traduction picturale moderne :
Maurice Denis transforme les muses de l’antiquité en icônes du temps présent.

La scène se passe dans un parc de marronniers, à l’automne, où sont réunis quatre groupes de femmes.

 

Composition

Au premier plan, trois femmes sont assises, l’une d’elle s’apprête à dessiner, une autre tient un livre ouvert sur les genoux, les traits de leurs visages sont à peine esquissés.
Les sept autres femmes déambulent entre les arbres du parc.
Elles sont élégantes, gracieuses et désincarnées.

Les verticales des marronniers centenaires, comme de grandes colonnes, rythment la composition et lui insufflent sa puissance narrative.
Les troncs d’arbre contrastent avec les courbes-des épaules, des chevelures et des robes ; et les arabesques ornementales des branches, du feuillage et des feuilles mortes au sol.

La fixité des arbres et les attitudes des femmes créent un mouvement de circulation qui influe un balancement, une volonté douce, une sorte de danse lente.

Ce tableau est le théâtre d’une communication mystérieuse des personnages avec la nature.

Un premier plan, une ligne d’horizon, un espace sans profondeur :
Maurice Denis qualifie sa toile de « panneau décoratif ».

L’agencement de cette toile traduit l’influence des grands décors de Puvis de Chavannes, comme Le bois sacré.

Ce tableau, avec sa volonté décorative est fidèle aux préoccupations des Nabis : motif et répétition.

Le jeu graphique est mis en valeur par des coloris automnaux et irréels apposés en aplats cernés, l’ocre, le blanc, la terre de sienne et la terre verte.

La lumière émane des coloris. L’ombre des arbres est contenue entre la ligne d’horizon très lumineuse et la lumière du jour qui baigne les visages et les épaules de Marthe.

 

Analyse

Ce tableau est traité comme un décor, avec la stylisation des formes, la simplification des personnages et des arbres, le cerne vigoureux enserrant les figures des muses et les feuilles mortes au sol rouges ou ocre d’or.

Les courbes des corps des muses se marient avec les courbes de leurs robes. Les silhouettes des muses ondulent délicatement sur le tapis de feuilles mortes très stylisées.

Cette nature ondoyante et harmonieuse fait penser aux volutes de l’Art Nouveau.

Maurice Denis cherche à nous entraîner au-delà des apparences au-delà du monde visible pour lui le choix des couleurs est aussi important que le sujet représenté.

Ses muses ouvrent la porte au rêve.

Comme Gauguin, Maurice Denis ne veut pas copier la nature mais la transcender, la réinventer, atteindre le sublime.

Rien dans ce tableau n’est hasardeux.
Chaque coup de pinceau est le fruit d’une volonté bien réfléchie.

Les muses traditionnellement révèlent aux hommes la connaissance de l’art, sa poésie secrète et cela inspire Maurice Denis.

Aux neufs muses traditionnelles, Maurice Denis en ajoute une dixième énigmatique à l’arrière-plan, le bras levé vers la clarté du ciel.

Le peintre nous emmène vers le surnaturel.

 

Conclusion

Toute la peinture de Maurice Denis est imprégnée de son désir d’atteindre l’harmonie. Dans ce tableau il s’agit de poésie, symbolisée par le livre de la jeune-femme en noir.

Ce tableau est un vibrant éloge de la femme aimée et,
Un des sommets de la peinture symboliste.

Hommage à Cézanne -Maurice Denis

Maurice Denis (1870-1943)

 

Hommage à Cézanne

1900
Huile sur toile
Dim 180 x 240 cm

Conservé au musée d’Orsay

 

Maurice Denis représente des personnalités du monde de l’art réunies dans la galerie Vollard à Paris, autour d’une nature-morte de Paul Cézanne :
Compotier, Verre et Pommes

Tableau charnière dans la carrière de Maurice Denis, Hommage à Cézanne révèle par son sujet et son histoire le vaste cercle d’amis du peintre :
De gauche à droite on reconnait Odilon Redon, Édouard Vuillard, André Mellerio, Amboise Vollard, Maurice Denis, Paul Sérusier, Paul-Elie Ranson, Ker-Xavier Roussel, Pierre Bonnard et Marthe Denis.

 

Composition

Maurice Denis a situé sa scène dans la galerie du marchand d’art, Amboise Vollard.

Un premier plan très fort fait de verticales : les jambes de pantalon, la canne et le chevalet qui apportent une puissance narrative.
Le rythme des verticales est interrompu au centre de la toile par une nature-morte de Cézanne. Cette mise en scène attire tous les regards : ceux des personnalités et celui du spectateur.

Au pied du chevalet, Maurice Denis croque un chat prédateur.
Tel un fauve avec sa fourrure rayée d’ocre et de brun, ses yeux jaunes étincelants et féroces, le chat est immobile. On le sent prêt à bondir.

À l’extrême droite du tableau, le peintre représente la seule femme de la composition, sa femme et sa muse, Marthe.

Trois regards dynamisent la composition :
-le regard des personnalités tourné vers le tableau de Cézanne
-le regard de Marthe Denis tourné vers le spectateur
-le regard du chat droit devant sur une proie qui n’apparaît pas dans le tableau.

Ce tableau est marqué par l’influence du japonisme avec la coexistence de plusieurs angles de vue et l’absence de perspective traditionnelle dans la représentation de l’espace.

Ce portrait de groupe est représenté avec la précision d’une photographie.
Les personnages sont presque grandeur nature à égalité avec le spectateur.

Dans les compositions photographiques les personnages sont alignés en rangées tournées vers l’avant et statiques.
Maurice Denis choisit un rythme différend pour son tableau.

Les personnalités forment un groupe sombre, vêtues de costumes noirs.
Ces coloris de noir et de brun apposés en aplats et cernés, renforcent le jeu graphique des lignes.

Marthe se détache du groupe avec une robe plus claire à l’extrême droite du tableau.

En contraste, à l’arrière-plan, les tableaux de Gauguin et de Renoir sont rapidement brossés dans des nuances plus douces.

 

Analyse

Compotier, Verre et Pommes (1879-80) appartenait auparavant à Gauguin.

Maurice Denis rend hommage à Cézanne (pour la mise en scène du tableau), à Fantin-Latour (pour la mise en scène d’un portrait collectif de personnalités dans son atelier aux Batignolles : Hommage à Eugène Delacroix (1864)).

En 1888 un groupe de peintres se forme, ce sont les Nabis (prophètes en hébreu). Désireux de retrouver des « sensations primitives » les peintres s’appuient sur les conceptions de Paul Gauguin qui prône la suggestion plutôt que la description et dont Paul Sérusier se fait leur porte-voix.
Maurice Denis est le théoricien du groupe, il publie un manifeste en 1890, sur la définition du néo-traditionalisme, il écrit :
« Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ».

Les Nabis se rejoignent autour des mêmes idées mais constituent un groupe hétérogène mettant au premier plan la forme et au deuxième plan le sujet.

C’est un art symbolique.
Les Nabis recherchent une expressivité du tableau surtout formelle au travers de diverses expérimentations.

Ils se rejoignent sur la planéité de la forme, le rejet du réel et une recherche du décoratif :
-assemblage d’aplats colorés
couleurs tranchées très vives
fond rapidement brossé

Ils ont en revanche des modes d’expression formelle propre à chacun d’eux.

Maurice Denis peint Hommage à Cézanne à l’orée du XXe, le peintre et ses amis se considèrent comme des disciples du maître Cézanne.

Ce tableau conclue la période Nabi de Maurice Denis et marque la reconnaissance du modèle Cézanne qui guidera le peintre vers la voie du classicisme.

 

Conclusion

Ce tableau est le portrait souvenir d’un groupe d’artistes, réalisé au moment où se tourne une période de l’histoire de la peinture, que les Nabis ont marqué de leurs empreintes.

Hommage à Cézanne a été présenté au salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de Paris en 1901. L’écrivain. André Gide l’achète et le conserve jusqu’en 1928, date à laquelle il en fait don au musée du Luxembourg.

Cézanne est passé des marges au centre de la culture française.