Bois près d’Oele – 1908 – Piet Mondrian

Piet Mondrian (1872- 1944)

Bois près d’Oele 

1908

Huile sur toile
Dim 128 x 158 cm

Conservé au Musée d’Art de La Haye, Pays-Bas 

 

Le peintre 

Pieter Cornelis Mondriaan, appelé Piet Mondrian à partir de 1912 est un peintre reconnu comme l’un des pionniers de l’abstraction.
Parti de l’observation de la nature, Mondrian s’est inspiré de Van Gogh, des fauves et des cubistes pour aboutir à une grande révolution artistique et sociale.
En 1917 il fonde la revue De Stijl avec Theo van Doesburg dont l’expression picturale est le néoplasticisme.
Solidement implanté à Paris après 1919, Mondrian est un acteur incontournable de l’avant-garde, loin de l’image de l’artiste solitaire.
Mondrian a longtemps travaillé à côté de son art pour vivre. Il a été professeur de dessin et assistant de laboratoire à l’université de Leyde dans les années 1900.
L’évolution du peintre vers l’abstraction est liée à ses accointances avec la théosophie, une philosophie mystique cherchant à connecter chaque part du cosmos. Il la découvre en 1908, lors d’une conférence de Rudolf Steiner.
Cette pensée est une clef pour comprendre l’art de Mondrian.
Des concepts opposés comme le masculin et le féminin, très présents dans la doctrine, trouvent leur écho dans le contraste des verticales et des horizontales de ses tableaux. Ces polarités s’articulent dans une harmonie picturale qui reflète l’unité du cosmos.
L’évolution de la peinture de Mondrian laisse peu de place au sujet figuré, les ramifications des arbres sont devenues des lignes orthogonales.
Mondrian continue à côté de ses compositions abstraites de créer de œuvres figuratives.
Par nécessité, il copie dans différents musées des Pays-bas durant la guerre et aussi par plaisir  et interêt pour la recherche picturale.
Mondrian poursuit dans le paysage ses recherches sur la lumière et l‘équilibre des compositions.
Mondrian vivait dans ses tableaux, les murs de ses ateliers sont peints en blanc, il y accroche des rectangles de cartons peints qu’il déplace selon son humeur, pour trouver de nouvelles idées de composition.
L’atelier fonctionne comme un générateur spatial facilitant l’éclosion d’une œuvre qui entre en osmose avec son environnement immédiat.
L’atelier de Piet Mondrian se transforme en œuvre à part entière. Venu le visiter en 1930, Alexandre Calder a été fortement impressionné par l’expérience qu’il a vécue.
Son art  comporte cette dimension ludique, fondée sur le plaisir de jouer avec les formes et les couleurs.
Installé à Londres en 1938, Mondrian fuit les bombardements en 1940 et gagne New-York. Dans cette ville Mondrian se sent comme dans ses tableaux.
La joie de vivre retrouvée loin des bombardements ressort dans ses œuvres dont le noir est désormais exclu. Avec ses compositions géométriques et ses couleurs primaires, il crée une autre forme de beauté.
Mondrian en inventant l’abstraction décide de « déconstruire la peinture ».
Vingt ans de production figurative précèdent ses œuvres géométriques.
La trame qui rend immédiatement reconnaissable un Mondrian est devenue un motif décoratif  imprimé sur des cahiers, sneaker et foulards jusqu’à la saturation.
Mais Mondrian a connu des détournements heureux, que ce soit en toile de fond de films (Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard et Les Nuits de la pleine lune d’Éric Rohmer), ou en fil rouge d’une collection d’Yves Saint Laurent, qui faisait défiler en 1965 des robes de cocktail en forme d’hommage : c’est dire l’efficacité du langage élémentaire du peintre.

 

Le tableau 

Ce tableau est une peinture de la période moderne appartenant au style post-impressionnisme.

Le peintre hollandais aime peindre ce qui l’entoure, comme cette scène de forêt. Il utilise une palette de couleurs très réalistes.

Entre 1908 et 1912, Mondrian s’intéresse aux  « réalités naturelles » comme il les appellent. Les arbres sont très présents dans son travail. 

Si au début il utilise encore les couleurs , il les délaissera peu à peu, avec un travail inspiré de Picasso et Braque, pionniers du cubisme.

 

 

Composition 

C’est une composition lumineuse et contrastée.

Par la simple combinaison de quelques couleurs Mondrian arrive à créer des sensations fortes.

La composition est un réseau de verticales.

Ce bois éclate de soleil, de couleurs bleue, verte, orange et jaune avec des arbres qui cherchent à rejoindre le soleil, le ciel et la vie.
Les arbres s’étirent percés par l’éclat du soleil tout puissant.
Ce sont les rayons fusant à travers les nuages qui embrasent le bois.
La couleur rouge qui s’agrippe aux arbres bleus ensanglante le tableau.

Mondrian ne retient de la réalité perçue que les grandes lignes verticales des arbres et les formes horizontales, simplifiées, de la terre qui galope jusqu’à l’horizon.
Mondrian réduit son tableau à l’essentiel.

Le regardeur explore ce monde sensible qui se situe hors de toute référence concrète et comme hors du temps.

La dynamique engendrée par l’opposition des verticales et horizontales donne une grande énergie, une grande présence à la composition.
Mondrian découvre la dimension essentielle de la verticalité.

L’arbre incarne le vertical en étant réduit à son tronc.
Mondrian a dépouillé la ramure de tout ce qu’elle a de superflu.
L’arbre se soumet mal à la logique de la ligne droite et du plan, dès lors il est toujours irréductiblement « baroque » ou « tragique » selon les termes de Piet Mondrian. 

Avec le motif de l’arbre, les racines plongées dans le sol et la cime des arbres tendue vers le haut, on retrouve les sources théosophiques de Mondrian et l’arbre devient un signe spirituel. 

Un tableau qui éclaire le monde.
Un paysage qui dépeint l’essence et l’instable beauté.
Un paysage flamboyant qui réveille les sens du regardeur.

Ce bois est comme un puits sans fond.
Pour Piet Mondrian pas question d’enfermer la composition dans un cadre, les lignes doivent se poursuivre à l’infini, les plans du tableau doivent déborder du tableau.

Tout est parfaitement équilibré.
Rien n’est symétrique et pourtant c’est harmonieux.

Le regardeur est invité à se laisser transporter au cœur du tableau, sa matière, ses vides, ses pleins, son rythme et son organisation intrinsèque.

 

 

Analyse 

Piet Mondrian ne veut pas représenter le monde qui l’entoure, mais la structure du monde, l’équilibre des choses entre elles.

Ce qui l’intéresse c’est l’universel.

La sensibilité de Piet Mondrian à l’égard du contexte hollandais se perçoit dans son œuvre par l’attention presque exclusive qu’il accorde au paysage.
Des paysages que lui inspirent les environs d’Amsterdam, Moulins, arbres, canaux, pâturages sont autant de motifs typiquement hollandais qu’il doit à toute une tradition picturale à laquelle ses tableaux renvoient le regardeur.
Ses moulins et paysages se chargent d’une plus grande intensité dramatique sous l’influence du symbolisme et du mysticisme théosophique auquel Piet Mondrian adhère.

C’est sous l’emprise des conceptions théosophiques qu’il adopte un langage dépouillé de toute anecdote, langage propre à traduire son aspiration à la vérité universelle.

Le langage artistique de Mondrian est le fruit d’une longue réflexion.

La chaleur, la luminosité, le mouvement, la vitalité, l’équilibre et la délicatesse de ce tableau, traduit la sensation pure et invite le regardeur à ressentir une émotion au-delà de la représentation explicite.

L’arbre qui par « extension de son réseau, par invasion, innervation, articulation, vascularisation de l’espace » conduit à la révélation de celui-ci : le « possible de l’art est espace ».
Mondrian découvre la capacité de l’arbre à « prendre le monde dans son filet ».
Mondrian fait affleurer de l’arbre, mis à nu, simplifié, la structure qui le sous tend, pour que puisse se manifester sa vérité en même temps que sa vraie beauté. Cette beauté « approfondie », « intériorisée ». Mondrian précise « plus la nature s’abstrait, plus le rapport devient sensible ». 

Le motif de l’arbre, symbole du lien entre le ciel et la terre, devient dans cette composition un signe spirituel.

La dimension spiritualiste de ce tableau se déploie comme sous l’effet d’une force intérieure.
Piet Mondrian : « Pour approcher le spirituel en art on fera aussi peu usage que possible de la réalité, parce que la réalité est opposée au spirituel. »

Piet Mondrian exalte la couleur et son rayonnement.
Le rayonnement définit la beauté de son tableau.
Ce principe a pour objectif de rendre visible le spirituel dans sa composition.

Le regardeur entre dans une conception du monde spécifique de Piet Mondrian :
« Je construit sur une surface plane des lignes et des combinaisons de couleurs dans le but de représenter le plus consciemment possible la beauté universelle. La nature m’inspire, me donne, comme à tout peintre, l’émotion qui fait naître l’élan créateur, mais je cherche à approcher d’aussi près qu’il se peut la vérité, et à tout en abstraire jusqu’à parvenir au fondement des choses. »

Le motif de l’arbre devient un signe spirituel, symbole du lien entre la terre et le ciel. La dissolution des formes va de pair avec la reconstruction d’une nouvelle réalité plus spirituelle et intérieure.

Quelques soient les apparences formelles, la réalité se réduit à sa forme essentielle, qui selon Piet Mondrian prend valeur de symbole universel.

Piet Mondrian traduit l’émotion par ses couleurs et ses formes.
Le peintre s’efforce à dépasser les apparences tangibles et transitoires, afin de donner une vision véritable de la vérité dont ce tableau est l’exacte équivalent plastique.

La beauté se veut exacte et dans ce tableau, elle atteint l’exactitude en s’affranchissant du réel.

Piet Mondrian explore inlassablement la lumière, ses ombres et les phénomènes qui l’anime.

Dans ce mystère silencieux, tout chez Mondrian est allusion et référence.

Mondrian est un aventurier de la couleur aux riches expériences qui font vibrer l’œil et offrent, dans leur intériorité, le spectacle constant d’un équilibre, d’un mouvement contenu, imprévisible, invisible.

L’esprit du regardeur vagabonde entre la matérialité du bois identifiable à la dimension spirituelle et le réel des formes et des couleurs auquel la composition le renvoie.

Avec l’actualité, ce tableau me blesse en me renvoyant à l’Ukraine.
Puisse ces hommes intelligents et courageux sauver leur pays des griffes de Poutine.

 

 

Conclusion 

Mondrian conserva un style provincial imprégné de la tradition néerlandaise du paysage jusqu’à presque quarante ans.
S’il quitte les Pays-Bas en 1919, les paysages néerlandais continueront à nourrir son œuvre,  même si les données esthétiques de son art s’inscriront dans la perspective plus vaste des avant-gardes européennes.
En effet, il développa ensuite une version de l’art abstrait parmi les plus poussée et les plus influentes du début du XXe.
Il nomma ce style : « néoplasticisme ».  

Si nationalisme et internationalisme ont été des facteurs indissociables dans les tableaux de Piet Mondrian,  son évolution le conduit du naturalisme à l’abstraction pure.
Les tableaux de Piet Mondrian célèbrent la curiosité et l’esprit de synthèse qui l’ont poussé à s’essayer aux mouvements de son temps, tel le symbolisme, le fauvisme, le pointillisme.

À travers le spiritisme, Mondrian tend à saisir les mystères du vivant, l’équilibre précaire qui crée la beauté. Les méthodes de déconstruction des formes naturelles et l’utilisation des couleurs primaires exercèrent une influence majeure sur Piet Mondrian, qui chercha une forme d’harmonie immémoriale, absolue et radicale.

 

 

Sources :

Revue beauxArts – article de Louis Gevart -2024 : ce que vous ne savez peut-être pas sur Piet Mondrian
Revue d’histoire n°44- 1994 article de Geneviève Nevejan : Piet Mondrian et les Pays-Bas
Presse universitaire de Rennes -article de Clélia Nau : L’organicité végétale chez Mondrian