Atelier VIII – 1954-55 – Georges Braque

Georges Braque (1882-1963)

 

Atelier VIII

1954-55

Huile sur toile
Dim 132 x 197 cm

Conservé dans une collection particulière

 

Le peintre

Braque naît à Argenteuil et  passe son enfance au Havre.
Élève médiocre, même en dessin, c’est le journal illustré de Gil Blas qui lui sert d’éducation artistique. Il recopie les dessins. À 17 ans il quitte l’école.
Il travaille chez un peintre décorateur, puis, à Paris il suit les cours d’un maître décorateur où il apprend à peindre de faux marbres et de faux bois.
En 1901, il obtient son certificat d’artisanat.
En 1902, il entre à l’Académie Humbert qu’il fréquente jusqu’en 1904. Il rencontre Marie Laurencin et Francis Picabia. IL décide de devenir peintre.
En 1903, il fréquente l’école des Beaux-Arts où il rencontre Raoul Dufy et Othon Friesz.
En 1907, il envoie sept tableaux au Salon des Indépendants. Le marchand d’art Henri Kahnweiler lui achète un tableau ce qui affermit sa vocation.
À la fin de l’année, marqué par l’exposition des tableaux de Paul Cezanne, il descend à l’Estaque, tempère sa palette, abandonne la peinture sur le motif et privilégie le travail en atelier plus favorable à la concentration. Il commence à élaborer un nouveau système de représentation en se basant sur la simplification et la géométrisation des formes et la mise à plat de la perspective. Cezanne le fascine et restera son modèle.
En 1907, fin novembre, Guillaume Apollinaire lui présente Picasso qui peint les Demoiselles d’Avignon. C’est une révélation pour Braque.
Picasso lui présente Marcelle qui devient sa femme. Pour toujours les deux peintres seront liés d’une amitié faite de connivence et d’émulation.
De 1909 à 1912, Braque et Picasso élaborent les théories du cubisme.
Braque ne va plus chercher à copier la nature, mais à la décomposer en masses pour la recomposer.
En 1912, Braque insère dans ses tableaux des lettres peintes au pochoir, des papiers collés, du sable ou de la sciure.
La première Guerre mondiale interrompt l’étroite collaboration avec Picasso. Braque est mobilisé. Blessé à la tête, il est trépané et ne pourra recommencer à peindre qu’en 1917.
La Guerre est pour Braque synonyme d’austérité et d’accablement.
Il fuit Paris et refuse de peindre un emblème pour le gouvernement de Vichy. Sa peinture ne plaît pas aux nazis ce qui lui évite d’être invité en Allemagne.
Le retour de la paix coïncide avec le début de sa célébrité, Braque a trente-huit ans.
En 1923, il réalise des rideaux de décors et des costumes pour les ballets russes et les ballets de Paris.
Il commence à graver dans les années 1930.
Il remporte le prix de la Biennale de Venise en 1948.
En 1953, il peint le plafond d’une salle du Louvre.
Varengeville, découvert en 1929, devient le lieu de villégiature de l’été et de l’automne.
À partir de 1955-1956, il compose des vitraux pour la chapelle Saint Dominique et pour l’église de Varengeville-sur-Mer, il a plus de soixante-dix ans.

Braque :
« les impressionnistes ont évacué de la peinture le sens tactile, le rétablir a été ma grande préoccupation. Ce n’est pas assez de faire voir ce que l’on peint, il faut encore le faire toucher. Quand j’introduis du sable dans la toile c’est simplement pour émouvoir le sens tactile. »

On distingue trois périodes importantes dans la production artistique de Braque, la période fauve, la période cubiste et la période des œuvres de la maturité qui s’étend de 1941 à 1963.
Braque a su évoluer, passant du fauvisme au cubisme, tout en expérimentant différentes techniques comme le collage, la lithographie et la gravure.

Son attachement à la Normandie, où il a passé une grande partie de son enfance, a joué un rôle dans sa palette et son goût pour la matière.

 

Le tableau

Deux ans avant sa mort, en 1961, une rétrospective des œuvres intitulée L’Atelier de Braque a lieu au Musée du Louvre.
Braque devient le premier peintre exposé dans ce lieu de son vivant.

De 1949 à 1956, Braque compose les Ateliers, série entamée en 1938 et interrompue par la Guerre.
Toute sa vie, le thème de l’atelier sera présent dans sa peinture.

Ses ateliers sont des lieux de partage et son œuvre est nourrie des échanges avec ses amis peintres, poètes ou musiciens.

Contrairement à la palette grise des autres représentations de son atelier, Atelier VIII arbore des couleurs vives.

Entre le début d’Atelier VII et celui d’Atelier VIII, Braque réalisa une série de vitraux pour l’église de Varengeville-sur-Mer et, en 1962 et, un vitrail sur le thème de l’oiseau pour la petite chapelle de la fondation Maeght.
Son retour à la couleur s’explique peut-être par ses expériences sur ce support décoratif, où les plans translucides laissent la lumière pénétrer à des degrés divers, créant des motifs et affectant non seulement la surface de la fenêtre, mais aussi l’espace dans lequel il s’inscrit.

Dans les années 30, Braque reprocha à Picasso son style « ingresque » en poursuivant ses propres expérimentations décoratives.

Après la seconde Guerre mondiale, il s’associa avec le marchand d’art Aimé Maeght qui avait récemment ouvert une galerie à Paris et crée une fondation artistique à Saint-Paul-de-Vence.

À partir de 1949, Braque débuta une série de neuf grands tableaux inspirés de ses ateliers de Paris et de Varengeville-sur-Mer, en Normandie. Mais il ne fut pas le premier artiste à peindre son atelier et s’inscrivit ainsi dans la lignée de Jean-Siméon Chardin, Gustave Courbet, Paul Cezanne ou Picasso.

En représentant leur atelier, les artistes portaient souvent un regard introspectif et autoréférentiel sur leur sphère privée, jouxtant des éléments de leur quotidien dans leurs tableaux.

 

 

 Composition

Parmi une masse d’objets, dont une palette et divers arrangements de nature morte, un oiseau blanc semble émerger d’une toile rectangulaire rouge.

Braque mène une réflexion sur l’espace et le rapport entre les choses, objets inanimés ou vivants.
Sa composition est dense, tout l’espace est occupé, l’air circule peu entre les formes.
Dans ce tableau Braque fond espace et objet en un tissu continu de petits plans fluides qui s’interpénètrent.

Dans ce tableau représentant son atelier, Braque triture les natures mortes. Presque tous les motifs sont sortis de son imagination.
Braque sait composer et ordonner son tableau.

Braque définit un espace global, traversé par des variations de matière et de volume.
La ligne s’affirme sans équivoque.

Jeux de transparence et d’opacité
La présence de la palette, le modelé de la carafe -représentée toute plate reflétant les objets, les motifs du désordre ainsi que la présence de l’oiseau sont autant de signes combinés pour tromper l’œil et l’esprit.
Les objets n’ont pas de volume, le regardeur les devine.

Contrairement à ses œuvres cubistes, Braque utilise dans cette toile des couleurs vives.

Le peintre atteint une finesse remarquable dans l’agencement des couleurs et des formes.

Le grand oiseau s’élance, traverse la toile et l’illumine. Sa présence réveille la toile.
La simplification de ses formes, la peinture blanche appliquée en aplat contribuent à l’impression de distance.
L’oiseau apporte une note de vie et de lumière à l’inventaire du lieu intime de la création.

Braque est attaché à la dimension tactile des choses -reliefs et surfaces.
L’unité de surface est intensément travaillée.

La composition est balayée d’ombres et de lumière.

Le contraste chromatique régit le tableau.
La couleur véhicule les sensations. Elle est intense dans ce tableau.
La richesse tactile de la matière picturale rend toute la densité de l’espace.

Braque peint des objets familiers, il inventorie les différents objets qui peuplent son lieu de création :
La palette, les pinceaux, les gobelets, le plat de fruits, la carafe, le verre, à gauche de la composition l’ébauche d’une guitare, un compas, des règles, un « bric à brac » de peintre, d’atelier de peintre, porté par les couleurs.  Certains objets sont immédiatement lisibles, d’autres apparaissent de façon elliptique jusqu’à devenir de purs éléments picturaux.

Il se dégage de ce tableau une formidable énergie.

Braque :
« Celui qui regarde la toile refait le même chemin que l’artiste et comme c’est le chemin qui compte plus que la chose, on est plus intéressé par le parcours. Je mets des années pour terminer (mes toiles), je les regarde tous les jours…Je trouve qu’il faut travailler lentement. »

 

 

Analyse

En 1955, lors d’une conversation avec l’historien de l’art John Richardson, Braque disait : « J’ai fait une très grande découverte. Je ne crois plus à rien. Les objets n’existent pas pour moi, sauf s’il y a un rapport harmonieux entre eux, et aussi entre eux et moi. Quand on arrive à cette harmonie, on arrive à un espèce de néant intellectuel. Comme ça, tout devient possible, tout devient apte et la vie est une éternelle révélation. Ça, c’est la vraie poésie. »

Braque est célèbre pour avoir inventer le cubisme aux cotés de Pablo Picasso au début du XXe.

Braque connut une évolution tranquille après les horreurs de la Grande Guerre, abordant les tendances de l’époque telles que le retour à l’ordre classique dans les années 30 et les arts décoratifs à partir des années 40.
Braque conserva son intérêt pour la décoration, incorporant des surfaces tactiles et à motifs telles que le bois ou le papier-peint dans les œuvres de la fin de sa carrière, comme il l’avait fait dans ses collages cubistes.
Surtout il conserva un sens de l’ambiguïté formelle, ses tableaux permettant des oscillations entre la profondeur et la planéité, les ombres et les formes, les surfaces opaques et transparentes

L’atelier se fit un lieu intime ou social autobiographique ou mis en scène, mais toujours un siège de création.
Le peindre consistait à prendre la peinture elle-même pour sujet.
Cela convenait parfaitement à Braque, qui avait toujours été plus intéressé par la relation entre les formes et l’espace que par la représentation ou l’analyse des objets en soi.

I-   L’atelier est ici un manifeste pictural.

La mise en image du lieu de création questionne le processus et l’identité de la peinture et de son créateur.
À travers ce jeu relationnel, l’atelier devient la métaphore de la peinture.
Cet Atelier est une création à part entière.

Les tableaux de l’atelier de Braque qui comptent parmi les œuvres les plus célèbres du XXe, peuvent être considérés comme un développement de la technique du papier collé qu’il avait inventée en 1912, avec leur plans plats qui se chevauchent et se fondent pour suggérer la profondeur et le mouvement.
Braque fait l’inventaire de ses différents modes de représentations. L’aplat et le dessin autonome, leur coïncidence ou leur séparation, l’indice ou l’entièreté des choses, les multiples points de vue, la superposition ou la transparence, orchestrent la traduction des objets, leur rapport entre eux et avec l’espace.

Les Ateliers sont considérés surtout en tant que série.
Le critique Jean Paulhan compara Braque se déplaçant entre ses tableaux à « un jardinier entre ses plantes », nourrissant chacune de ses toiles individuellement mais regardant chacune pousser en relation avec les autres, sur lesquelles il travaillait simultanément.

II-   L’image de l’oiseau est un fil conducteur dans les œuvres de Braque de cette période.

L’oiseau apparait dans six des neufs Ateliers.
Braque affirmait que ses tableaux ne possédaient pas de signification symbolique, refusant l’interprétation de l’oiseau comme symbole de paix, comme ce fut le cas chez Picasso.

Braque ne peint jamais ses oiseaux de manière réaliste, il préfère une simplicité qui donne un style épuré à ses tableaux.

Ici l’oiseau traverse la toile, au-dessus du chaos, il offre une ouverture.

En 1952, il peint un plafond au Louvre dévolu à l’oiseau.
En 1955, l’année d’ Atelier VIII,  il visite la Réserve zoologique botanique de Camargue, il est profondément ému. Dès lors, l’oiseau sera intégré à part entière dans son univers artistique.

Dans la série de ses Ateliers,  Braque incorpore l’oiseau comme un élément graphique.

Dans l’univers artistique de Braque, l’oiseau devient la créature archétypale de son imagination.
Pour Braque c’est la pureté et la simplicité qui font l’essentiel de l’oiseau.

À partir de la commande du Louvre et la réalisation du plafond, le motif de l’oiseau prend une telle valeur dans son répertoire qu’il a valeur de signature.

À la différence de ceux ce Saint-John Perse, les oiseaux de Braque n’ont pas de modèles véritables dans la nature.
Saint John Perse dans son poème Oiseaux transpose l’œuvre peinte de Braque. Les oiseaux de Braque sont au centre du poème.
« Ils sont les oiseaux de Georges Braque et vont où vont tous les oiseaux du monde ».

Braque aboutit à la synthèse de ses aspirations picturales à travers le thème de l’oiseau.

À travers ce thème, Braque s’échappe à la complexité de l’espace pour une forme simplifiée qu’il traduit par de grands aplats de couleur.

Francis Ponge explique : « les oiseaux de Braque sont beaucoup plus lourds que l’air…mais ils volent mieux que tous les oiseaux de la peinture, parce que, comme les vrais oiseaux, ils partent du sol, redescendent s’y nourrir, et se renvolent ».

Les œuvres de Braque ne se voulaient pas politiques mais artistiques, et l’oiseau semble en effet être le sujet d’un tableau dans le tableau, s’envolant à des degrés divers de la toile où il est peint vers l’espace « réel » de l’atelier.

John Golding, extrait de Braque, œuvres tardives : « Qu’est-ce que j’entends par « poésie » ? C’est pour un tableau ce qu’est la vie pour un homme. Mais ne me demandez pas de la définir, c’est ce pour quoi tout artiste doit se battre et il doit le découvrir pour lui-même à travers son intuition. Pour moi c’est une question d’harmonie, de rapports, de rythme et -ce qui est le plus important de mon œuvre- de « métamorphose ». »

 

Conclusion

Georges Braque est un peintre majeur de l‘art moderne.
Reconnu internationalement comme l’un des peintres importants du XXe, il est aussi connu à New-York qu’à Paris.

Georges Braque incarne l’art français par excellence, dans la lignée d’un Poussin ou d’un Chardin.

À partir des années 1920 et jusqu’à son décès, Braque se tient à l’écart de tout mouvement artistique, il est inclassable.

Les œuvres de Braque ont ouvert une nouvelle perception de l’espace pictural.
Sa révolution artistique et ses contributions ont inspiré et influencé de nombreux artistes.
Robert Delaunay et Fernand Leger sont parmi ceux qui ont puisé dans l’approche révolutionnaire de Braque.

Braque et Picasso ont bouleversé la représentation du monde, délaissant l’imitation traditionnelle pour une approche conceptuelle de la réalité.

Braque meurt le 31 août 1963 à Paris.
Des funérailles nationales ont lieu devant la colonnade du Louvre le 3 septembre, André Malraux prononce un discours émouvant.
Le lendemain il est enterré au cimetière de Varengeville-sur-Mer.


J’ai piqué cette carte à Yoyo Maeght

 

Sources :

Pour la biographie : Michael Gaumnitz
Article chez Persée de Kerstin Mauerer : Saint John Perse et Georges Braque à travers les manuscrits d’Oiseaux
Dossier pédagogique : Georges Braque -RmnGP 2013-2014
Braque, Miró, Calder, Nelson : Varengeville, un atelier sur les falaises –2019