Le rémouleur – 1913 Kazimir Malevicth

Kazimir Malevitch (1879-1935)

 

Le rémouleur

1913

Huile sur toile

Dim 79,5 x 79,5 cm

Conservé à Yale University Art Gallery aux Etats-Unis

 

Le peintre

Kazimir Malevitch est né à Kiev en Ukraine de parents polonais.
Il apprend à peindre à Moscou où il découvre Monet, puis les Fauves, Matisse et Rouault.
À partir de 1911 son style évolue vers une synthèse du cubisme et du futurisme Le bucheron-1912, Vache et violon-1913.
À cette période, en 1913, émerge un nouveau style, le suprématisme.
En 1918, il présente dans une exposition des toiles exclusivement peintes en blanc sur blanc.
On célèbre l’anniversaire de la révolution et le suprématisme apparait comme le symbole du nouveau gouvernement bolchevick.
Malevitch enseigne à Moscou.
Malevitch oriente ses recherches vers la matérialisation de l’énergie lumineuse.
En 1919, il s’oppose et est expulsé en province, à Vitebsk.
Il enseigne à l’école d’Art rebaptisée l’Ounovis (création de formes neuves).
En 1922 l’Ounovis est fermée et les étudiants suivent Malevitch à Petrograd à l’institut de Culture artistique.
Début 1927, Malevitch, démis de ses fonctions à l’institut, est autorisé à se rendre en occident. Il emporte une grande partie de son œuvre.
À Varsovie il reçoit un accueil triomphal.
À Berlin, il est exposé et accueilli au Bauhaus où enseignent Walter Gropius, Laslo Moholy-Nagy et Kandinsky. Ce sont eux qui se chargeront de la publication de ses écrits. Par prudence, en les quittant, Malevitch leur laisse toute sa production, toiles et dessins qui seront conservés puis cachés pendant la guerre et redécouverts en 1951. La plupart des œuvres ont été achetées par Amsterdam et par le MoMA de New-York.
En 1928, Malevitch fait un retour à l’art figuratif.
Tête de jeune-fille d’aujourd’hui-1932
Plusieurs de ces dernières peintures sont signées d’un carré noir sur fond blanc.
En 1935, Malevitch meurt d’un cancer.
Ses obsèques à Moscou seront suivies par une foule immense.

Entre 1935 et 1962, aucune se ses œuvres ne sera montrée en URSS.

 

 Le tableau

Le rémouleur est considéré comme l’une des toiles les plus significative de Malevitch dans le style cubo-futuriste et dans la production cubo-futuriste russe.

Dans les années 1920, le tableau est présenté à la première Exposition russe qui se déroule à Berlin et ensuite à Amsterdam.

Le tableau est acheté par une artiste new-yorkaise, Katherine Dreier et part aux États-Unis.

En 1941, le tableau est offert à la galerie d’art de l’université de la ville de New Haven, la Yale University Art.

Le rémouleur est toujours conservé dans ce lieu.

 

Composition

C’est une composition abstraite.
Une décomposition scintillante de lumière et de mouvement.

Une multitude de facettes se fondent entre elles et forment un personnage moustachu penché au-dessus d’une meule.

Ce sont les formes métalliques et scintillantes qui animent la toile.

La cacophonie de lignes et de formes superposées est « ordonnée » de façon que le rémouleur et ses moustaches soient parfaitement visibles.

L’espace est perçu sur la droite de la toile avec les pavés de la rue des bouts de trottoir brillants déstructurés et empilés.

Les couleurs froides du blanc, du bleu électrique occupent la partie droite du tableau. Les couleurs chaudes, du rouge-orangé, du vert foncé et du gris-noir sont déclinées à gauche de la toile.

Le contraste entre les lignes de force, bleu métallisé et le gris luisant entraine les formes dans le mouvement de rotation de la meule.

Cette multitude de facettes se casse sur la verticale du trépied de la meule qui permet au regardant de lire le puzzle.

En prenant du recul le regardant distingue clairement les formes concrètes, le personnage courbé sur la meule entrain d’aiguiser un couteau.

C’est une œuvre futuriste, il n’y a pas de plan.

La notion d’espace est générée par les couleurs qui apportent la profondeur.

 

Analyse

Durant la deuxième décennie du XXe, l’Europe et notamment la Russie, furent le théâtre de nombreux bouleversements tant politique que culturels.

Le suprématisme crée par Kazimir Malevitch en 1913, la révolution d’octobre 1917 et la folie meurtrière de la Première Guerre mondiale eurent tous un impact profond sur les artistes de l’avant-garde russe.

La Russie connut une évolution artistique marquée par l’influence de l’avant-garde d’Europe de l’Ouest.

Au-delà de la fusion des techniques européennes, il existe une tension typiquement russe entre les dimensions urbaine et rurale.

 

I-      Ce tableau coche les cases du cubisme et du futurisme.

Il est cependant parfaitement lisible.

La multitude des facettes de couleur renvoie en surface du tableau le rémouleur penché sur sa meule en train d’aiguiser un couteau.
Le regardant voit le rémouleur et voit sa meule tourner à toute vitesse.

Ce tableau a été peint en 1913, une année charnière dans l’évolution du style de Malevitch.

Les premières années ses tableaux sont imprégnés d’influences de l’art français, d’abord Monet puis les fauves. Ensuite viennent les œuvres inspirées des techniques cubiste et futuriste que Malevitch mélange pour produire des œuvres telles que le Rémouleur

Le rémouleur de 1913 a été peint juste avant que Malevitch se détache des formes cubistes.

La meule est un outil utilisé par les affuteurs de couteaux itinérants depuis l’époque médiévale.
Le tableau ne montre pas une machine moderne mais un outil ancestral.
L’homme, plongé dans son travail, fait tourner la meule avec dextérité.

Le peintre fait un hommage au labeur manuel du travailleur russe.

Malevitch pour représenter son rémouleur recourt à la fragmentation et à la répétition des formes employées par les futuristes pour figurer la vitesse et le mouvement.

La meule au premier plan tourne à toute vitesse, Malevitch procure cette sensation en démultipliant les séquences de rotation. L’impression de mouvement est intense.
La présence des couleurs participe au rythme de la toile.

Ce qui attire le regardant dans cette toile c’est sa parfaite visibilité

 

II-      La grande préoccupation de Malevitch au long de sa vie d’artiste est la    recherche du sens de l’image.

Malevitch est un peintre qui réfléchit beaucoup, c’est un artiste en perpétuelle recherche. C’est ainsi qu’un nouveau style émerge de ses pinceaux.
Malevitch se détache des formes cubistes pour adopter un style radicalement abstrait qu’il baptise « suprématisme ».

Malevitch a grandi au milieu des icônes.
Logiquement sa pensée se structure à partir de l’image du saint et de l’icône.
Le peintre évolue d’une représentation visible vers une représentation de l’invisible.

La transformation du visage en une face permet de porter à l’universalité une certaine idée de l’homme.

C’est la définition de cette idée qui va préoccuper Malevitch.

Le suprématisme dépouille le sujet et prône une concentration « suprême » sur ce qui réside derrière la réalité physique.

Dans son manifeste, Le monde sans objet -1927, Kazimir Malevitch explique la naissance du suprématisme : « En 1913, dans ma tentative désespérée de délivrer l’art du poids inutile de l’objet, je cherchais refuge dans la forme carré. »

Le suprématisme inventé par Malevitch délaisse la représentation naturaliste en faveur de l’abstraction.

Malevitch parle d’une peinture sans objet.

Malevitch conteste la formule religieuse en détournant le terme « face » de son usage habituel. La nouvelle image qu’il s’agit d’inventer ne sera pas soumise au principe de ressemblance.

Malevitch écrit : « …Je suis allé au principe des principes et quand j’ai atteint la surface plane qui a formé le carré, j’ai forgé ma propre image ».

Malevitch illustre sa pensée pour la première fois en 1915 à l’occasion d’une exposition intitulée, zéro dix « 0.10 », avec son tableau : Carré noir sur fond blanc-1915 (conservé dans les réserves de la galerie Trétiakov à Moscou). L’image de l’homme et l’image du monde se sont définitivement réunies dans le Carré noir sur fond blanc, visage sans visage absolu. L’image du monde a englouti l’image de l’homme. Ce tableau simplifie la forme à l’extrême, avant que ses séries de blanc sur fond blanc de 1918 ne purifient la forme et la couleur davantage encore. Carré blanc sur fond blanc -1918 (conservé au MoMA à New-York)

Pour Malevitch les icônes anciennes se sont progressivement vidées de sens et ne font que miroiter une image de Dieu périmée.
Les icônes vénèrent les dieux inexistants.
Malevitch juge indispensable de dénoncer ces images en tant que fausses.

Dans la face, ajoute Malevitch, « il y a le commencement et la fin » puisqu’elle est à la fois l’accomplissement de la « facialité » en tant que telle et le dépassement de la face vers le sans-face (ou sans visage).

Malevitch : « le signe exprimant telle ou telle sensation n’est pas une image de sensation. Le bouton laissant passer le courant n’est pas une image du courant. Le tableau n’est pas la représentation réelle [de la face], car cette face n’existe pas. Il en découle que la philosophie du Suprématisme n’examine pas le monde, ne le touche pas, ne le voit pas, mais ne fait que le ressentir ».

La fonction du visage humain dans la peinture figurative est celle d’un signe. L’art suprématiste l’exprime : le visage représenté  n’est pas l’image d’un visage réel. Malevitch le qualifie de masque.

L’image permet de se placer dans l’écart entre le matériel et le spirituel.

L’image passe du matériel vers l’immatériel, du sensible vers l’intelligible, du visible vers l’invisible.

Malevitch : « je compris les paysans à travers l’icône ; je perçus leurs faces, non comme celles de saints, mais comme celle de simples hommes. »
Comme dans l’icône, dans le monde paysan l’image du monde et l’image de l’homme ont conservé leur harmonie, leur intégrité.

Le monde paysan restera, tout au long de l’œuvre de Malevitch, le lieu de l’authenticité du monde, cette authenticité qui est le refrain de la pensée suprématiste.

A partir de 1928, la dernière période de sa vie de peintre est marquée par une série de portraits figuratifs.

Malevitch à boucler la boucle.


III-      Malevitch ouvre une porte aux futurs peintres de monochromes, en proposant une double lecture, physique et métaphysique de l’œuvre.

La nouveauté du suprématisme est d’inventer une symbolique réaliste.
Une symbolique propulsée par les rythmes du sans objet.

Malevitch parle de « constructions autonomes, vivantes ».

Malevitch interprète les notions de pesanteur et de légèreté, de statisme et dynamisme pour créer un espace avec des formes colorées.

La surface oscillante et scintillante de carré blanc sur fond blanc évoque un monde spirituel. Les bords de la toile au lieu de restreindre l’espace, représentent son infinité, dans laquelle le carré libre superposé est libre de se mouvoir.

En supprimant tout sujet spécifique, Malevitch eut le sentiment d’atteindre quelque chose d’universel et de transcendantal, libérant non seulement la peinture mais aussi son public de toute signification objective.

Le suprématisme fut un moyen d’atteindre les idéaux que la Révolution russe semblait rendre possibles.

Malevitch inspire, c’est une référence pour : l’avant-garde soviétique : Alexander Rodtchenko et Wladyslaw Strzeminski ; l’après-guerre américaine : Barnett Newman, Mark Rothko ; les monochromes des années 1950-70
en Europe : Yves Klein, Heinz Mack et Otto Piene, Lucio Fontana, Roman Opalka et l’après 1970 et les monochromes de Robert Ryman, Pierre Soulages, Clément Mosset, pour ne citer qu’eux.

Les textes et les tableaux de Malevitch ont une résonance internationale.

 

Conclusion

Kazimir Malevitch est un des acteurs majeurs du mouvement de l’avant-garde russe. C’est la radicalité de ses positions qui en font un artiste exceptionnel en ce début de XXe.

Malevitch fait preuve d’une incroyable lucidité en posant les bases d’une redéfinition des enjeux de la peinture jusqu’à envisager la possibilité du
« dernier tableau ».

Les artistes abstraits américains qui oscillent entre la matérialité et la spiritualité seront fascinés par l’œuvre de Malevitch.

La guerre en Ukraine se poursuit

La jungle – 1943
Tableau de Wifredo Lam,
Conservé au MoMA à New-York

 

Les soldats ukrainiens formés par les occidentaux et très motivés répondent à l’occupant par des opérations militaires d’une extrême intelligence.

L’attaque du port de Sébastopol est un fait de guerre exceptionnel.

Les russes déconcertés ripostent par la vengeance sur l’habitant.
Moscou attaque la population civile en prenant pour cibles l’eau et l’électricité.
Quatre millions d’Ukrainiens sont affectés par les coupures d’électricité, informe Zelensky.  Poutine a pour objectif de faire vivre un enfer aux ukrainiens.

En larguant une pluie de missiles sur l’Ukraine, Poutine pratique une guerre psychologique et s’enfonce dans le crime de guerre.

Nous avons compris que les russes ne réfléchissaient pas comme nous.
Pour les russes le « Grand Satan » c’est l’Occident.
Leur obsession est de désataniser l’Ukraine.
Françoise Thom (historienne et soviétologue française) l’exprime clairement :
« Chaque mouvement vers le dialogue est considéré comme un signe de faiblesse de la part de Poutine ».

Sources : magazines d’informations LCI