Vieille femme cuisant des oeufs – 1618 Diego Velasquez

 

Diego Rodriguez de Silva y Velasquez dit Diego Vélasquez (1599-1660)

 

 Vieille femme cuisant des œufs

 1618

Huile sur toile

Dim 101 x 120 cm

 

Conservé en Écosse à Édimbourg à la Scottish National Gallery

 

Le peintre

Né à Séville, Vélasquez est issu d’une famille noble d’origine portugaise installée depuis un siècle à Séville du côté de son père (Juan Rodriguez de Silva) et andalouse du côté de sa mère (Jeronima Velàzquez) dont il prendra le nom.
Il fait son apprentissage dans l’atelier de Herrera le Vieux.
En 1611, il devient l’élève de Francisco Pacheco dont il épousera la fille. Pacheco est cultivé, humaniste et pédagogue. Après six années passées chez cet excellent maître, il reçoit sa licence de peintre, prend son indépendance et s’impose un plan d’études. Il dessine et peint sur l’observation directe de la nature. Il possède son propre atelier. Ses premières compositions datent de 1618 à 1623, elles sont influencées par le caravagisme. Ce sont des scènes humbles et quotidiennes.
Le tableau étudié est de cette période avec L’Adoration des rois –1619, Le Vendeur d’eau –1620, Jésus chez Marthe et Marie -1618, Les pèlerins d’Emmaüs –1618-22, Les larmes de Saint Pierre –1617-19, Les ivrognes (Le triomphe de Bacchus) -1628-29. En 1622, Velasquez part à Madrid.
Vélasquez exécute de beaux portraits de Philippe IV, de 1623 à 1625.
Le roi en est enchanté. Il lui attribue immédiatement la charge prestigieuse de peintre du roi, première étape d’une brillante ascension à la cour.
À la cour de Madrid, Vélasquez jouit de l’opportunité d’étudier l’une des meilleures collections d’art en Europe, riche en œuvres de la Renaissance italienne et de peintres vénitiens, notamment Titien.
Son œuvre exceptionnelle apparait plus remarquable encore à la lumière des responsabilités qu’il endosse au sein de la maison royale.
En 1629, Rubens vient en ambassade à Madrid où, conformément à sa charge, Vélasquez le reçoit. Ils deviennent amis, Vélasquez partage son atelier avec Rubens.
Sur les conseils de Rubens, Vélasquez se rend en Italie avec le désir d’accroître ses connaissances artistiques.
Il séjourne deux ans en Italie. La peinture vénitienne modifia sa perception de l’espace, de la perspective et de la couleur.
À son retour il est nommé surintendant des travaux royaux. Il participe à la décoration des appartements royaux. Ce qui l’amène à faire un second voyage à Rome à la recherche de décorateurs pour réaliser les fresques des plafonds de la nouvelle résidence. C’est au cours de ce second voyage entre 1649 et 1651, que Vélasquez peint le portrait du pape Innocent X. Ce tableau lui apporta une grande renommée à Rome et lui ouvrit les portes des deux grandes académies de la Ville.
En 1654, le roi le nomme maréchal-fourrier du palais : Vélasquez a la charge écrasante, du logement des hôtes de marque et des déplacements royaux. C’est un grand honneur pour le peintre.

Tout en assurant sa charge de portraitiste officiel de la Cour, Velasquez réalise son chef-d’œuvre, le tableau reposant sur l’illusion de la réalité, Les Ménines.

 


Le tableau

Ce tableau de style baroque, est une œuvre de jeunesse, peint à Séville.

Vélasquez peint la vie en cuisine.

Une vieille femme semble proposer un œuf à un jeune garçon, peut-être un serviteur venu emporter des victuailles et des boissons.

Le tableau est conservé en Écosse depuis 1955, date à laquelle il a été acheté aux héritiers de sir Francis Cook.

 


Composition

Un sens aigu de la composition

Les personnages occupent le premier plan
Un fond noir masque l’espace de la pièce, matérialisé par un panier accroché au plafond dans l’axe du tableau.
Ainsi aucun meuble ne détourne notre regard de l’essentiel.

Le jeune garçon se tient debout et occupe le coté gauche du tableau. Son habit est si sombre qu’il se confond avec l’obscurité de la pièce. Seuls sont représentés son visage et ses mains. Sa main gauche tient une carafe et sa main droite cale contre son corps une énorme calebasse. Un col et des revers de manches blancs délimitent son habit. Il arbore un air renfrogné dirigé vers le regardant.

Face au jeune garçon, la cuisinière, une vieille femme est assise. Le regardant voit son visage de profil et son buste de trois-quarts. Elle est légèrement voutée devant une marmite en terre-cuite contenant des œufs frits, posée sur un réchaud. A sa gauche, devant-elle, une table de cuisine agrémentée d’ustensiles, un pichet en terre-cuite, une carafe de vin, une baratte de beurre, un bol blanc sur lequel un couteau est posé.

Chaque objet a une fonction, la bassine de cuivre au pied du réchaud capte la lumière, génère une oblique et donne de la profondeur au plan. Le couteau et son ombre portée dans l’assiette occupe la même fonction que la bassine dans un autre plan, ils marquent l’horizontale. Le batteur dans la baratte marque aussi un oblique en sens inverse, de la droite vers la gauche.

Tous ces objets , et les lignes qu’ils induisent, rythment le tableau.
Ils donnent une présence et du souffle à l’espace qui se découpe autour des personnages.

L’espace réel prolonge l’espace fictif de la représentation.
La scène est devant le regardant et se prolonge dans son espace.

Les gestes et le regard suspendu du jeune garçon indiquent que l’objet de son attention est situé dans l’espace du regardant.

Ce tableau est sec et dur d’exécution.

La vieille femme est figée dans son geste, d’une main elle tient une cuillère en bois avec laquelle -on devine, qu’elle remue le contenu de la marmite. Dans l’instant représenté, le peintre a suspendu son geste au-dessus de la marmite.
Sa main gauche tient un œuf -on devine, qu’elle s’apprête à casser cet œuf sur le bord de la marmite.
On devine ces mouvements car Vélasquez les a suspendus volontairement.
A la manière d’un photographe, Vélasquez fait un « arrêt sur image ».
Le peintre nous introduit de cette façon dans la toile.

Il décrit chaque objet avec minutie.
Et les enveloppe d’une lumière crépusculaire qui évoque le Caravage.

 

Analyse

En représentant simplement une scène de la vie quotidienne, cette toile est novatrice.

Elle appartient au genre des bodegones, mot qui signifie dans ce contexte une peinture prenant pour sujet la nourriture et la boisson.

 I – Le désir de Vélasquez de repousser les limites de la peinture est visible dès ses premières bodegones, remarquables par la maîtrise technique et l’attention qu’il porte au réel.

Son désir d’investigation du visible, particulièrement sensible dans les détails des natures mortes, rappelle les premières scènes de genre d’Annibale Carrache.

Portraitiste officiel du roi, Vélasquez était inégalé dans sa capacité à représenter la fonction publique d’un modèle tout en offrant une analyse pénétrante de sa personnalité, qu’il soit roi, pape, esclave ou nain.

Tous les tableaux de Vélasquez laissent entrevoir les êtres humains derrière la façade.

Les portraits que Vélasquez a réalisé tout au long de sa vie de peintre, sont autant de pages historiques, tant il a apporté de justesse d’observation et d’intensité de pénétration à rendre les traits physionomiques des descendants de Charles Quint.

Il peint des figures populaires et familières conformément à son tempérament réaliste.
L’attitude des personnages, leurs gestes, tout dans ce tableau est familier, de la plus parfaite justesse et de la plus naturelle aisance : c’est l’image de la vie saisie dans sa vérité absolue.
Le regardant perçoit son humanité.

Ce tableau nous permet de dépasser les hiérarchies sociales du temps de Vélasquez, peu accessibles pour le regardant d’aujourd’hui.

Si cela n’a pas de sens d’un point de vue historique, ce qui compte c’est ce que montre le tableau. C’est l’attrait principal de la peinture de Vélasquez.

Dés 1618 Vélasquez est épris de vérité.

Sa technique est remarquable sur sa façon de percevoir les choses et d’expérimenter la réalité.

Le peintre restitue avec vivacité l’éclat métallique des ustensiles, les reflets de la carafe en verre dans la main du garçon et les tonalités du bol blanc sur lequel repose le couteau. Velasquez transforme en peinture, grâce à un artifice raffiné, ce qui l’observe. Il restitue au regardant une vérité, sa vérité.

Et nous fait réfléchir sur notre manière de voir le monde.

II – Vélasquez peignait pour se confronter et dépasser les œuvres de la grande peinture internationale côtoyées à Rome et dans les collections royales madrilènes.

La proximité des figures peintes avec la surface du tableau, la lumière puissante et les ombres veloutées, le caractère très réaliste des personnages et des objets rappellent fortement Caravage.
Pourtant le travail de l’italien était encore peu connu à Séville.
Probablement Vélasquez est parvenu de lui-même à ce naturalisme intensément observé. Ce tableau est une de ses premières œuvres.

Plus tard il voyage en Italie où il se familiarise avec les œuvres de Raphaël, Michel-Ange, Titien, Tintoret.
Il rencontre Rubens.
Il prend le meilleur des maîtres européens.
Le style de Vélasquez est international.
On retrouve dans son œuvre, les citations des peintres du Nord et de l’Italie. Vélasquez échange avec la tradition internationale.

 

 III – D’un point de vue psychologique la scène est troublante :

L’extrême jeunesse du garçon et l’expression calculatrice de son interlocutrice soulèvent des questions au sujet des motivations de la cuisinière.

 L’ambiguïté du regard de la cuisinière laisse le champ de l’interprétation ouvert.

 

Conclusion

Toute la dernière période de la carrière de Vélasquez est jalonnée d’une succession de chefs-d ‘œuvres de la plus libre et surprenante exécution, attestant de la progression constante du peintre tout au long de sa vie, Les Ménines étant l’œuvre de la consécration.

Vélasquez est le peintre espagnol le plus important de l’époque baroque et l’un des plus grands de tous les pays.
Avec Francisco Zurbaran et Bartolomé Esteban Murillo, il a dominé le XVIIe.

« Peindre, ce qui s’appelle peindre, personne ne le fit mieux que lui » écrit le philosophe Eugenio d’Ors.

« Velasquez a trouvé le parfait équilibre entre l’image idéale qu’on lui demandait de reproduire et l’émotion qui submerge le spectateur » dit Francis Bacon.

Edouard Manet adorait ses couleurs, ses touches variées et la représentation qui paraissait si naturelle de ses modèles. il le qualifie de « Peintre des peintres ».

Les historiens de l’art le place au sommet du panthéon culturel occidental. La force d’attraction persistante de Vélasquez réside pour une grande part dans sa virtuosité. Il a été une inspiration pour les impressionnistes français du XIXe.

Velasquez est l’un des grands maîtres européens de la peinture avec qui les artistes modernes dialoguent toujours.

Les philosophes et les littéraires contribuent également à maintenir l’attention sur son art.