Triptyque de Merode -1425-28 Robert Campin

 

Robert Campin, le maître de Flémalle (v.1375 – 1444)

 

Triptyque de Merode

Vers 1425-28

Huile sur panneau

Dim 65,5 x 117,8 cm

Conservé au MoMA -Métropolitan Museum of Art, New-York

 

Le peintre

La vie de ce peintre est mal connue. Il est peut-être né à Tournai -en Belgique vers 1375. Sa carrière de peintre se déroule essentiellement à Tournai.
En 1415, il acquiert le statut de bourgeois de Tournai et occupe des fonctions publiques, magistrat de la ville et doyen de la guilde des orfèvres.
Il crée un atelier dans cette ville et emploie comme assistants Jacques Daret et Rogier van der Weyden. Comme dans tous les ateliers de la Renaissance, le travail était collectif. Robert Campin ne signait jamais ses œuvres, ce qui complique la tâche des spécialistes quant aux attributions des tableaux de Robert Campin seul ou d’un travail d’atelier.

Il est le premier grand artiste qui imprime sa marque au renouveau de la peinture en Flandre. Il est surnommé le Maître de Flémalle. Il doit ce titre à un fragment d’un grand autel de Flémalle (ville de la Belgique wallonne) qu’il a décoré et dont deux panneaux nous sont parvenus.

 

Le tableau

Ce tableau est l’une des plus grandes pièces du Maître de Flémalle.

Le tableau a appartenu à des familles aristocratiques belges, les Arenberg puis les Merode de 1820 à 1956. Il doit son nom à la famille des Comtes de Merode. Le Retable rejoint le marché de l’art en 1956.
Il fait partie de la collection Cloisters à New-York.

Ce triptyque est considéré comme la plus belle œuvre d’un peintre primitif flamand exposée à New-York.
C’est le plus célèbre tableau de Robert Campin.. et atelier.

Le panneau central étant relativement petit (64 x 63 cm), cette œuvre a été commandée pour un usage privé.
Les portraits des donateurs sont représentés sur le volet de gauche.

Le triptyque a été associé à Malines en Belgique, le blason figurant sur la fenêtre du panneau central étant celui d’une famille originaire de la ville.

Le thème de l’Annonciation a été l’un des thèmes religieux la plus représenté.
C’est un épisode de l’évangile selon saint Luc (1,26-38) :
Alors que Marie est entrain de lire, l’archange Gabriel, vient lui annoncer qu’elle mettra au monde un enfant, Jésus, et qu’il sera nommé « fils du Très-Haut ». Marie surprise lui répond « Mais comment cela pourrait-il se faire, puisque je suis vierge ? ». Gabriel lui dit « L’Esprit Saint viendra sur toi (…) voilà pourquoi celui qui va naître sera saint et qu’il sera appelé le Fils de Dieu ».

 

Composition

Le retable présente les figures et l’évènement sacré de l’Annonciation dans un cadre très détaillé.

Le panneau central illustre l’archange Gabriel venu annoncer à Marie la nouvelle de la conception.
Les personnages occupent le premier plan.
C’est une scène diurne qui met en scène des personnages dans leur quotidien.
La Vierge habite une maison flamande contemporaine avec son mobilier typique.
Elle reçoit la nouvelle de la conception alors qu’elle est en train de lire.
Les personnages bibliques sont beaux, leurs attitudes sont gracieuses.
Il y a de la joie dans le visage de l’archange et de la précaution dans ses gestes. Il est entièrement vêtu de blanc. Sa tunique est retenue par une ceinture en brocart bleu damassé d’or. La lumière jette des reflets bleutés sur sa tunique. Ses ailes sont impressionnantes. Elles ont un aspect rigide et brillent d’or -mis en valeur par une bordure vert foncé.
On observe que le bout de l’aile droite de l’ange n’est pas dans l’image, ainsi qu’un bout de sa tunique. Ce détail suggère la présence d’une porte.
Le corps de Marie dessine une ligne serpentine tout en douceur, elle est assise sur le sol, ses cheveux lâchés, ondulent sur ses épaules, elle est accoudée à une banquette et tient son livre d’Heures ouvert à deux mains dans une attitude détendue. Elle est vêtue d’une ample robe rouge.
L’humilité de la position de Marie est renforcée par la position de L’archange qui la domine légèrement.
Un petit baigneur portant une croix fuse du hublot juste au-dessus de l’archange.

Le panneau de gauche représente les donateurs du triptyque, à genoux en prière, devant trois marches d’un jardin qui conduisent à une porte entre-ouverte. Ils observent l’événement par la porte ouverte.
Le donateur est entièrement vêtu de noir, sa femme porte un manteau noir sur une robe rouge, sa chevelure est recouverte d’un voile blanc.
Le troisième personnage en habits de fête se tient sous le porche. C’est un ajout ultérieur peint pas un autre artiste. Le porche est ouvert sur la rue où l’on distingue un cavalier et un personnage assis sur un banc.

Le panneau de droite représente Joseph s’affairant avec ses outils dans son atelier de charpentier. Sont visibles, une hache, une scie au sol et sur son établi, une tenaille, des clous et un marteau, entre autres. Joseph travaillant évoque une présence rassurante. Il est représenté âgé, vêtu d’un manteau marron d’où dépassent les manches rouges de sa chemise, sa tête est ceinte d’un turban bleu foncé.
La scène est éclairée par la lumière provenant de la fenêtre du fond par laquelle on aperçoit une vue urbaine animée.
Le peintre accorde un soin minutieux au moindre détail de ce paysage éloigné.
Il a peint les flèches de deux églises, saint Pierre (à gauche) et sainte Croix (à droite) de la ville de Liège.

La perspective crée la profondeur. Elle est conduite, dans le panneau central, par les hublots circulaires à gauche de la composition et la cheminée à droite.
Notre vue du panneau central est légèrement plongeante, alors que celle des donateurs est frontale. Dans le panneau de Joseph on retrouve une vue légèrement plongeante avec une perspective plus cohérente que dans le panneau central. Dans le panneau central, la perspective est inégalement répartie, la position de la table laisse perplexe ; les personnages semblent flotter.

La technique à l’huile permet de traiter en finesse la texture des surfaces, la rigidité ou la souplesse, les nuances de la lumière reflétée sur les objets.

Les vêtements des figures sont peints avec minutie.
On distingue les différentes étoffes et les bijoux.

Le ciel que l’on voit sur les trois panneaux est un ciel flamand, un ciel gris incrusté de nuages gris découpés par la lumière flamande.

 

Analyse

I – Qu’il soit peint ou sculpté, le retable est une forme majeure de l’art européen.

De part son format et son emplacement, il était pour les artistes de la Renaissance l’objet de commandes importantes. Placé au-dessus de l’autel dans une église ou dans une chapelle privée, le retable représentait le personnage sacré auquel l’autel était dédié et procurait aux fidèles une source de méditation lorsqu’ils assistaient à la messe ou priaient.
Tous les grands peintres créaient des retables, généralement pour des notables de la ville et aussi pour des mécènes d’autres pays. Ainsi les artistes flamands réalisèrent des retables pour l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre et les villes marchandes de l’Europe du Nord.

Les retables flamands se distinguaient de ceux des autres pays d’Europe à la fois par leur format et par leur style.

En Italie, ils se composaient souvent d’un imposant élément principal flanqué de deux panneaux secondaires présentant des saints debout, le tout soutenu par une prédelle.
Très décorés et encadrés de riches sculptures, les retables espagnols occupaient tout un mur.
Les retables flamands comprenaient un panneau central et deux volets latéraux refermables. Le dos des volets étaient peints de portraits de saints ou de récits simplifiés, offrant au regardant des thèmes de méditation même lorsque la scène centrale n’était pas visible.

II – Robert Campin est à l’origine d’un nouveau style qui se démarque du style gothique international.
C’
est la caractéristique essentielle de ses œuvres.

Robert Campin a la volonté de se rapprocher d’un réalisme inconnu du caractère narratif du gothique international des siècles précédents.

La Madone aux fraisiers -vers 1420, attribuée au Maître du jardin de Paradis de Francfort et conservée au musée d’Art de Soleure en Suisse, est un bon exemple d’art gothique international.
C’est une peinture sur panneau rehaussée de feuille d’or.
La tête de la Vierge est entourée d’un nimbe (ou auréole) que les artistes placent depuis l’antiquité autour des figures divines. Elle porte une riche couronne d’orfèvrerie qui est une survivance tardive du moyen-âge.  Il en est de même pour les fraises qui passaient pour nourrir les âmes des enfants défunts.
Le jardin est idéalisé. Mais le rendu minutieux de la nature annonce pourtant l’époque moderne.

Les  retables de Robert Campin offraient au regardant un prolongement de son propre monde, ce qui rendait l’événement réel et palpable.

Campin poétise et enchante le réel.

Ses figures sont belles.
Cet artifice permet au peintre d’installer une distance entre le regardant et les personnages religieux.
C’est ce qui le différencie des tableaux de son élève Rogier Van der Weyden.
Campin évoque la réalité quotidienne, tout en préservant une distance entre les personnages représentés et le regardant.

La Vierge à l’écran d’osier -1440, conservé à la National Gallery à Londres, plus tardive que le triptyque étudié, le démontre.
Si Campin attache beaucoup d’importance au réalisme du décor, il garde une certaine distance entre le regardant et ses figures. Dans ce tableau, l’écran d’osier de la cheminée, simule un nimbe à la Vierge dont les traits sont idéalisés.

Chez Campin, La limite entre le divin et le réel n’est pas définie.

Robert Campin s’intéresse en priorité, à l’exactitude du décor.
Le peintre s’autorise toutes les fantaisies formelles en ce qui concerne la perspective de la représentation et les rapports entre les éléments du triptyque. Le décor du retable est celui dans lequel vivait l’élite de l’époque.
Le peintre reproduit ce que l’œil humain peut capter de la réalité du monde qui l’entoure. Ainsi les volets intérieurs qui sont typiques des intérieurs flamands se retrouvent dans d’autres tableaux du peintre comme dans le panneau de sainte Barbe du Triptyque de Weri -1438, conservé au Prado.

Pour l’aspect formel de son tableau, Campin a deux cordes à son arc :
La perspective qui permet de créer l’illusion de la profondeur et la peinture à l’huile.
L’huile de lin remplace l’œuf, la peinture est plus liquide et plus translucide.
Elle permet la technique du glacis qui consiste à superposer plusieurs couches successives jusqu’à obtenir la brillance si caractéristique des peintures flamandes.
Cette technique produit des effets de transparence, de relief et de dégradés qui donnent aux représentations le réalisme recherché.
Les peintres flamands sont les premiers à utiliser la peinture à l’huile et ce retable est l’un des premiers tableaux peint à l’huile.

III – Robert Campin est un peintre influenceur :

De nombreux détails représentés pour la première fois sur ce tableau réapparaissent dans des scènes d’Annonciation chez d’autres artistes.

Campin truffe son tableau de symboles iconographiques sous l’apparence d’objets du quotidien, Panofsky l’a baptisé « le symbolisme déguisé ».
Décryptage … suggestif :
Le livre sur la table évoque le nouveau testament. Il est ouvert sur la bourse de tissu vert qui a servi à le transporter et, est posé sur un rouleau, symbole de l’ancien testament. C’est une allusion à la prophétie de l’archange.
Marie semble tenir son livre protéger par un tissu blanc. Il s’agit d’un type médiéval de reliure dans laquelle le tissu est solidaire du livre.
On retrouve chez van der Weyden et sa Madeleine lisant-avant 1438,(national Gallery Londres) le même type de livre.
Ce livre pourrait être interprété comme une métaphore de l’enfant à venir, enveloppé de langes.
Les lions sur l’accoudoir de la banquette (banquette que l’on retrouve dans La Vierge à l’écran d’osier et dans un tableaureprésenté dans un livre d’Heures quelques dizaines d’années avant ce retable : Annonciation, Cluny. 01252 fol 27 -1415-20), font référence au trône de Salomon dans l’ancien testament.
On retrouvera les lions chez Van Eyck et son portrait des Époux Arnolfini.
Les fleurs de lys dans le vase de majolique, sur la table, sont un symbole incontournable de la virginité de Marie et apparaissent dans un grand nombre de tableaux consacrés à l’Annonciation.
La serviette blanche et la bassine, suspendues pourraient être une évocation de la pureté de Marie.
L’absence de feu dans la cheminée symbolise la chasteté de Marie.
De la bougie éteinte sur la table, s’élève une fumée. La bougie est en train de s’éteindre. Serait-ce dû à un courant d’air provoqué par l’intrusion par le hublot, du petit baigneur ? Une autre bougie, pas allumée s’est fichée dans un des deux bras de lumière fixés sur le manteau de la cheminée. La première bougie sur la table est vue en plongée et celle de la cheminée est vue en contre-plongée. Celle de la table est en cire d’abeille blanche, très onéreuse et celle de la cheminée en cire d’abeille naturelle, jaune.
On note que la colombe représentée traditionnellement dans les Annonciations médiévales n’est pas visible. Dans cette composition, le saint esprit serait évoqué par la lumière rougeoyante et la volute de fumée de la bougie entrain de s’éteindre.
Les ailes de l’archange sont incandescentes comme des flammes.
Elles symbolisent le feu divin.
La souricière placée sur le rebord de la fenêtre de l’atelier de Joseph est une métaphore utilisée trois fois par saint Augustin : « la croix du seigneur était la souricière du diable, l’appât par ce qu’il a été attrapé était la mort du Seigneur »
Le petit baigneur qui arrive dans un faisceau lumineux par le hublot portant la croix de la Passion, serait la représentation de l’arrivée de l’enfant conçu par Dieu et envoyé dans le ventre de Marie.
Cette doctrine a été condamnée au concile de Trente.

Campin distille un symbolisme religieux profond.

Le symbole le plus fort et le plus subtil du Retable, est l’interaction entre la porte ouverte dans le panneau des donateurs et la porte fermée dans le panneau central. Avec une continuité spatiale nous devrions retrouver le palier de la porte et la porte ouverte dans le panneau central.
Or, la porte est fermée, nous le savons parce que l’extrémité de l’aile droite de l’ange est prise dans la porte ainsi qu’un pan de sa tunique.
La continuité la scène est toute subjective.
En devenant un concept dans le panneau central la porte nous transmets un message : La porte étant fermée, les donateurs n’ont pas accès à la scène qui se déroule dans l’autre pièce.

La scène qu’ils regardent ne peut être que la vision née de leur dévotion.

Dans La Vierge au chanoine Van der Paele, dix ans plus tard, Van Eyck reprendra l’idée de Campin en la transposant, le donateur -le chanoine, est âgé et a besoin de lunettes. Van Eyck lui a ôté ses lunettes le chanoine ne voit donc pas la scène qui se déroule devant lui et la vision qu’il en a -comme les donateurs du Triptyque de Merode est intérieure, c’est une image mentale.

 

Ce triptyque condense les innovations flamandes
Si Campin est à l’origine du nouveau style, d’autres peintres de son époque suivent le même chemin comme les frères Van Eyck. C’est avec le réalisme sublimé des figures de Van der Weyden que le nouveau style atteindra son apogée.

Ce triptyque présente un sujet récurrent, cependant il se distingue par son originalité et le raffinement des détails.


Conclusion

L’attribution du Retable de Merode est discutée par les historiens de l’art.
Ainsi Lorne Campbell n’est pas convaincu par l’attribution à Robert Campin. Il trouve le retable « incohérent dans sa conception ». Pour l’historien, les compositions de Campin ont une continuité spatiale absente ici…
Il argumente en opposant le Triptyque de Seilern dit Le triptyque de l’enterrement du Christ que Campin a peint en 1415.
Le Retable de Merode a fait l’objet de retouches ultérieures avec l’ajout d’un troisième personnage dans le volet des donateurs.
D’autre part, à cette époque, tous les maîtres dirigeaient un atelier et l’intervention des apprentis dans les œuvres des maitres était courante.
Il est donc difficile de trancher.

Campin ne fut pas le seul à s’orienter vers une peinture plus réaliste en ce début de XVe. Les frères Van Eyck et Rogier Van der Weyden produisaient à la même époque des œuvres similaires.
L’influence du Maître de Flémalle fut cependant considérable en Flandre, en Allemagne et en France.

Quant à la représentation de la réalité humaine avec ses sentiments et ses imperfections, Campin opère une révolution.

Robert Campin ouvre une porte que van der Weyden exploitera à fond.

Il faudra plusieurs siècles pour conquérir le Vrai.
Le XVe et XVIe sont des étapes essentielles.

La Renaissance cherchera à magnifier le réel, le Beau et le Vrai deviendront indissociables jusqu’à la fin du XIXe.