Saint Michel et ses anges terrassant le dragon -vers 1373-1382- Tapisserie de l’Apocalypse

 

Hennequin de Bruges et Robert Poinçon

 

 Tapisserie de L’Apocalypse
Saint Michel et ses anges terrassant le dragon

 Vers 1373-1382

Tapisserie tissée de laine

Hauteur (actuelle), environ 450 cm

Cartons de Hennequin de Bruges (dit jean de Bruges)
Licier : Robert Poinçon

Conservée au musée de la Tapisserie de l’Apocalypse, situé au château d’Angers -France

 

La tapisserie

Cette scène fait partie du plus important ensemble de tapisseries médiévales existant au monde, la tapisserie de l’Apocalypse, commandée par le duc Louis 1er d’Anjou (1339-1384), frère du roi de France Charles V, sans doute pour le château d’Angers.

La tenture raconte la vision que saint Jean a reçue et consignée dans le dernier livre du Nouveau Testament, l’Apocalypse.
Ce texte détaille la lutte du divin contre Satan jusqu’à la victoire finale et l’apparition de la Jérusalem Céleste, qui marquera la fin de l’Histoire et le salut de l’Humanité.
La tenture illustre chaque épisode du récit.
Pour la compréhension des scènes, une bande de texte, aujourd’hui disparue, accompagnait chaque tapisserie.

À son époque, elle est conservée la majeure partie de l’année à l’abri des regards, gardée comme un trésor. C’est une œuvre d’apparat, une œuvre de prestige. Elle n’est tendue que pour des occasions fastes. Elle fut exposée dans la cour de l’archevêché à Arles, pour célébrer le mariage du duc Louis II d’Anjou et de Yolande d’Aragon, en 1400.

La tenture est léguée à la cathédrale d’Angers au XVe par le dernier descendant des Anjou, le roi René.

Démodée et tombée dans un profond discrédit la tapisserie est morcelée au XVIIIe.
Mise en vente en 1843, rachetée par l’évêque Mgr. Angebault, elle est rendue à la fabrique.
C’est au milieu du XIXe que sa valeur est à nouveau appréciée et que commence un long travail de restauration sous l’impulsion du chanoine Joubert.

Actuellement, la tapisserie est partiellement recomposée et exposée dans une très longue galerie construite pour elle, dans le musée de la Tapisserie de l’Apocalypse, à Angers.

Source Wikipédia : Une trentaine de fragments de la tapisserie ont été inventoriés lors du premier confinement en 2020 dans le stock d’œuvres d’art de la galerie d’art Ratton-Ladrière à Paris. Celle-ci en était la propriétaire depuis 1924 et l’achat par Charles Ratton auprès d’un marchand d’art allemand.
Après authentification des fragments par la direction régionale des affaires culturelles des Pays de la Loire et le Laboratoire de recherches des monuments historiques, la galerie a décidé, au printemps 2020, d’en faire don à l’État, propriétaire de la tenture.
Les fragments de la tapisserie viennent début mai 2021, de rejoindre la tenture après près d’un siècle d’oubli.

L’œuvre comptait à l’origine sept immenses pièces mesurant environ 5 m de hauteur-originale sur une longueur-originale de 24 m par pièces et présentant chacune 14 tapisseries sur deux registres, soit 98 scènes.
Aujourd’hui la mutilation de la tapisserie nous prive de douze tapisseries complètes et de huit autres qui sont à l’état de fragments.

Chaque pièce est composée d’une première tapisserie représentant un personnage introductif, assis sous un dais gothique et absorbé dans la lecture des Écritures.
Ce personnage de vieillard présenté en lecteur, est mystérieux.
C’est une invention de Jean de Bruges, il n’existe pas dans les manuscrits enluminés.
L’hypothèse la plus séduisante est celle de M. Louis-Eugène Lefèvre : les sept vieillards forment un groupe homogène et constituent une réunion de personnalités ayant un rang égal et des rôles similaires.
Ce groupe serait les sept églises d’Asie : Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée.
Les vieillards sont leurs évêques méditant les paroles du fils de l’Homme, écrite par saint Jean à leur intention.
Ce que l’on prend pour des dais de pierre seraient les Églises elles-mêmes
Pour étayer son hypothèse, M. Louis-Eugène Lefèvre montre comment à l’instigation du duc d’Anjou, Jean de Bruges put être amené à évoquer chaque église séparément, « comme autant de prologues ou de frontispices en tête de chacune des sept pièces » de la Tapisserie de L’Apocalypse.

Venaient ensuite 14 scènes avec des extraits de l’Apocalypse, un baldaquin abritant un personnage contemplatif et des anges musiciens dans les nuages au-dessus de près fleuris, avec un fond alternativement rouge ou bleu.

Les tapisseries étaient réparties sur deux registres séparés à l’origine, par une bande de couleur brune, sur laquelle on lisait en lettres gothiques, blanches ou rouges, de 6 cm de hauteur, des versets correspondant à chaque scène de la rangée supérieure, une autre bande brune au-dessous des tapisseries du registre inférieur avait la même fonction.
Toutes ces inscriptions ont aujourd’hui disparu, ainsi que les décorations du haut et du bas des pièces.

Destinées à faire comprendre au regardant que les scènes déroulées devant ses yeux se passaient entre le ciel et la terre, elles montraient, vers le haut, le firmament peuplé d’anges musiciens ou tenant des armoiries et, vers le bas, une terre verdoyante et fleurie où se jouaient différents petits animaux.

 

Composition

Saint Michel et ses anges terrassant le dragon est la huitième tapisserie-registre du bas, de la 3ème pièce de la Tapisserie de l’Apocalypse. Cette pièce est complète.

La composition est claire et dynamique.
Les figures sont monumentales et expressives.

Saint Jean est sous le baldaquin, à gauche de la tapisserie, il observe la scène d’affrontement accoudé à la fenêtre, son attitude trahit la préoccupation du saint.
Saint Michel, au centre de la scène, affiche un visage souriant et satisfait.
Saint Jean et saint Michel sont revêtus d’un habit savamment drapé.
Les attitudes des figures sont pleines de vie.

Dans la partie haute de la composition, le ciel reconnaissable à sa couleur bleu et délimité par un feston de nuages blancs, déchire le fond de la composition qui est tapissée de damiers bleus-marine décorés de quadrilobes bleus-foncé.
Le ciel forme un triangle-inversé, par cette ouverture saint Michel et les anges combattants font irruption dans la scène.
Saint Michel muni d’une grande lance surmontée d’une croix et les anges munis de sabre et de lances, transpercent le dragon.
Le mal affidé à Satan est vaincu, il gît au sol.

Plus spectaculaires que toutes leurs sources connues, ces scènes insistent sur l’attention portée au réel, surtout dans la flore et les visages.

Si le dessin est primitif il témoigne d’une incontestable valeur artistique et s’apparente à l’art des enluminures des manuscrits.

Pour les détacher du fond, un tracé foncé surligne les figures.
Ce procédé évoque le travail des verriers qui utilisent une armature de plomb pour rendre apparent à une grande distance le contour des personnages.

L’architecture représentée reflète le gothique du XIVe.

Jean de Bruges ne se préoccupe pas des lois de la perspective. Les ornements fleurissent sans aucune attache avec le sol, à la manière des miniatures des livres.

La technique employée est celle de la tapisserie de haute lice qui utilise de grands métiers sur lesquels sont montés des fils de laine non teintés.
Sur cette base et par différentes techniques de points, le licier tisse les fonds et les motifs à l’aide de fils de laine colorés.
L’Apocalypse d’Angers est une tapisserie dite « sans envers », tous les arrêts sont cachés à l’intérieur même du travail, donnant ainsi un résultat parfait des deux côtés.
La Tapisserie de L’Apocalypse est lisible sur son envers.
(Le revers de la tapisserie ayant été protégé de la lumière pendant plusieurs siècles, les couleurs ont conservé leur éclat d’origine. Nous avons ainsi connaissance de la richesse des coloris de l’époque médiévale).

 

Analyse

 I- Le rôle essentiel des arts somptuaires religieux et royaux de la période gothique dans les rituels ponctuant la vie religieuse et profane.

 Le Moyen-Âge connut l’apogée de la création d’objets somptuaires jugés plus précieux que les peintures et les sculptures.
La valeur de l’or, des pierres et de l’ivoire conféra une importance sans égale à ces œuvres, aujourd’hui classées dans les arts « décoratifs » ou « mineurs ».

À l’époque, récipients, tapisseries et objets liturgiques resplendissants tenaient une place très importante dans le déroulement des cérémonies profanes et religieuses.
Au point que les détracteurs des signes extérieurs de richesse, comme le cistercien Bernard de Clairvaux (1090-1153), admettaient qu’ils incitaient à la piété. La philosophie néoplatonicienne interprétait la beauté matérielle comme une manifestation divine., et les objets luxueux avaient alors un pouvoir rédempteur susceptible d’élever le regardant vers la spiritualité.
Les orfèvres jouissaient d’un statut si enviable que certains furent anoblis et que l’un d’eux fut même canonisé.

Au cours de cette période les techniques évoluèrent peu, même si, au milieu du XIIIe, les orfèvres adoptèrent un langage gothique.
Au XIVe leurs œuvres se firent plus monumentales, avec des pièces de forme architecturale, de petits édifices faisant allusion à la Jérusalem Céleste ou au temple de Salomon.
Au contraire des reliquaires romans, qui enfermaient les saintes reliques, les reliquaires gothiques s’ouvraient pour permettre aux fidèles de voir leur contenu.

Réalisées dans le même style, les pièces profanes conféraient à leur mécène un prestige similaire. Comme la Coupe d’or royale -vers 1375, elle est ornée de scènes en bas-relief couvertes d’émail translucide (basse-taille), créant un jeu d’ombres et de lumière très riche.
L’emprunt des boîtes en ivoire sculpté à la sphère islamique a favorisé la réapparition de ce matériau dans le monde profane.
La réouverture des routes de l’ivoire venant d’Orient engendra cercueils, boîtes, peignes et miroirs en grand nombre.
À la fin du XIIe, la diffusion de la littérature vernaculaire et l’émergence des codes de la chevalerie se traduisirent dans les thèmes gravés sur les objets. Les valves de miroirs représentaient des scènes de la vie de la Cour ou des romances et servaient de cadeaux pour les deux sexes.
À cette époque apparurent également les retables portatifs, diptyques ou triptyques de petit format qui permettaient la pratique religieuse individuelle.
Le triptyque en ivoire de la Vierge en gloire –vers 1290 illustre le passage à un style plus « courtisan » en faveur de Paris. Certaines de ces pièces ont conservé une grande partie de leur peinture et dorure d’origine, ce qui donne une idée de leur réalisme.

Le développement des ateliers parisiens de tapisserie est dû à l’influence de Jean le Bon et de ses fils, Charles V et ses trois frères qui prisaient les tentures historiées. Les tapisseries commencèrent à jouer un grand rôle dans la décoration des demeures et des églises.
Cela explique la commande de la Tapisserie de L’Apocalypse par le Duc d’Anjou


II – Le rôle de la tapisserie pour son commanditaire

Louis Ier d’Anjou est un homme de son époque. Il est engagé dans la guerre de Cent Ans face aux Anglais et devient régent du royaume de France à la mort de son frère.

La Tapisserie de l’Apocalypse affiche son ambition politique à travers la symbolique de l’Apocalypse.

 L’Apocalypse prédit la fin des temps et la lutte des forces du Bien contre celles du Mal jusqu’au triomphe de Dieu. Ces pièces résonnent de manière particulière aux oreilles des hommes du XIVe qui subissent famines, épidémies et guerres.

La tenture d’Angers est un document précieux sur le contexte historique, social et politique de la fin du XIVe.


III – Jean de Bruges, peintre officiel de la cour de Charles V, s’est inspiré des enluminures pour créer la tapisserie de l’Apocalypse.

Introduits en France par l’intermédiaire des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, les manuscrits historiés montrant l’Apocalypse exercèrent une influence considérable sur les arts plastiques (réf. Émile Mâle : l’art religieux du XIIe en France –1924).
Après une brève éclipse, l’Apocalypse réapparut vers 1250, apportant un nouveau cycle miniaturé issu d’Angleterre, dont les liens avec l’ancien cycle offert par les manuscrits espagnols ou leurs copies sont mal définis (réf. Arthur Haseloff : Histoire de l’art –1926).
L’un de ceux-ci, au XIIIe servit de modèle aux arts textiles, comme en témoigne la Tapisserie de L’Apocalypse.

Jean de Bruges se réfère aux bibles enluminées du XIIIe conservées dans la bibliothèque de Charles V. l’une d’entre elles, datée du début du XIIIe, par le style de ses peintures et ses particularités linguistiques, montre sur trois pages, des tableaux dont le sujet est emprunté à la légende de Saint Jean. (Elle est conservée à la bibliothèque nationale -ms.fr. 403). Le reste du volume est rempli de figures de l’Apocalypse qui s’apparente à un autre manuscrit conservé à la bibliothèque d’Oxford (réf. V. Coxe The Apocalypse of St. John the divine –1876)

Jean de Bruges s’est inspiré de la bible conservée à la bibliothèque nationale, il ne l’a pas copiée – l’ordre des sujets de la tapisserie est identique à celui du livre, avec 84 scènes pour la tapisserie et 75 pour les peintures du livre prêté par Charles V au Duc d’Anjou.
Il s’est également inspiré d’autres manuscrits de l’Apocalypse. Parmi eux, il citait l’Apocalypse dite de Coussemacker (conservée à la bibliothèque royale de Bruxelles) et celle de la bibliothèque du petit séminaire de Namur (qui semble copiée sur un exemplaire du XIIIe).

Tantôt une miniature faisait l’objet de deux ou trois tapisseries, tantôt une tapisserie résumait plusieurs miniatures. Cinq sujets n’ont aucune correspondance avec les peintures et sont l’œuvre de Jean de Bruges.

À la fois enlumineur et fresquiste, Jean de Bruges a l’habitude de traiter les grands formats et les détails.

L’exécution de la tapisserie est orchestrée par Nicolas Bataille (marchand de tapisserie) et réalisée dans l’atelier parisien de Robert Poinçon.

En l’espace de trois ans, cinq pièces auraient été tissées. Les deux autres pièces qui complètent la tenture durent être exécutées à la suite des autres. L’absence de document ne permet pas de connaître avec certitude la date d’achèvement de la tapisserie.
Le petit nombre de tons employés par le licier- douze ou quinze- et la grosseur du fil de laine peuvent expliquer la rapidité présumée avec laquelle l’ouvrage complet put être exécuté.

 

Conclusion

La grande majorité des textiles gothiques ayant disparu, on ne connait leur existence que par les écrits.
Réalisées dans les plus belles étoffes, les tapisseries et autres pièces textiles de luxe se composaient de fils d’or et d’argent, de soie, avec des teintures coûteuses.
L’iconographie et le style de leurs créateurs ont évolué de pair avec les autres arts.

Roger-Armand Weigert :
« Tapisserie de L’Apocalypse est un spécimen unique de l’art pictural de la fin de XIVe, elle constitue un précieux document prouvant l’étroite cohésion qu’unit, à ses débuts, la tapisserie et les enluminures. Cette alliance continuera, au cours des siècles suivants, mais à mesure que l’on atteindra les Temps modernes, la gravure rempliera le rôle primitivement dévolu aux manuscrits historiés. »

L’ampleur et la virtuosité technique de la Tapisserie de l’Apocalypse marquèrent un tournant dans l’art de la tapisserie, qui devint populaire dans toute l’Europe.

La tenture de l’Apocalypse est ainsi révélatrice de l’art pictural de la fin du Moyen Âge, entre héritage de l’iconographie des siècles passés et réalisme de plus en plus prononcé dans le traitement des architectures et l’approche de la tridimensionnalité.

La tapisserie de l’Apocalypse est aujourd’hui présentée toute l’année au sein du château du château d’Angers, dans des conditions très spécifiques de conservation, depuis la construction d’une galerie dédiée dans les années 1950.

Les dernières restaurations datent des années 1990. Un constat d’état a été lancé en 2016, il permettra d’en apprendre davantage sur cette œuvre.
Elle est aujourd’hui,
Par ses dimensions, son ancienneté et sa virtuosité stylistique et technique, un chef d’œuvre extraordinaire et unique de l’art médiéval.