Saint Georges et le dragon – 1470 – Paolo Uccello

 

Paolo Uccello (1397-1475)

 

Saint Georges et le dragon

1470
Huile sur toile
Dim 55,6 x 74,2 cm

Conservé à la National Gallery à Londres.

 

Outre les diverses représentations religieuses, les artistes italiens peignirent une vaste gamme d’œuvres profanes de commande, destinées aussi bien aux églises qu’aux résidences privées.

 

 

Le peintre

Paolo Uccello est né et a passé toute sa vie à Florence où il est mort. Son surnom : Uccello veut dire : oiseau.

Il fut l’élève du sculpteur Ghiberti avec lequel il a travaillé à la porte du Baptistère de Florence.

C’est un artiste partagé entre l’innovation de la première Renaissance italienne (au même titre que Masaccio) et la tradition du style gothique international.

C’est ce mélange de styles et la personnalité multiforme de P. Uccello qui font l’intérêt de ses peintures.

 

 

La légende

Paolo Uccello s’est inspiré d’un texte de Jacques de Voragine (dominicain et archevêque de Gênes), auteur de La légende Dorée (XIIIe). Il raconte que dans la citée de Silène, en Libye, au IVe, sévissait un dragon qui exigeait qu’on lui remette chaque jour deux jeunes gens tirés au sort. Le jour où la fille du roi est tirée au sort, Georges arrive à Silène sur son cheval blanc, combat le dragon et le transperce de sa lance. L’animal est dominé. « Lance ta ceinture et enroule-la autour du cou de la bête » ordonne-t-il à la princesse. Tous trois rejoignent la porte de la ville.

C’est ce moment de la scène que le peintre a choisi de représenter.

 

Le tableau

En 1470 Paolo Uccello reprend un thème qu’il a exploré par deux fois, en 1430 (musée de Melbourne) et en 1435 (Musée Jacquemart-André -Paris).

Bien que le sujet de cette œuvre soit religieux, le style est élégant dans la représentation d’un chevalier sauvant une princesse qui, sereine, en tenant le dragon en laisse, esquisse un geste vers lui.

 

Composition

Si Paolo Uccello s’intéressait particulièrement à la perspective géométrique. Vasari relate qu’Uccello travaillait jusque tard dans la nuit pour réussir le point de fuite d’une œuvre. Dans ce tableau elle n’est pas remarquable.

Le tableau est construit sur trois plans successifs qui produisent un effet de profondeur.
Au premier plan : le combat
Au deuxième plan : la grotte, les rochers -à gauche du tableau et les nuages tourbillonnants -à droite du tableau.
À l’arrière-plan : la plaine, puis les montagnes -au centre et le ciel à l’horizon.

Les carrés de verdure au premier plan et au second plan– (tenant le rôle des dallages des compositions d’intérieurs) forment des lignes de fuite qui dirigent l’œil du spectateur vers les montagnes.
Les rochers, les ailes du dragon et le cheval cabré installent la profondeur.
La scène s’articule dans le croisement des diagonales qui permet le raccourci osé du dragon et du cavalier et, amène au premier plan la tête ensanglantée du dragon transpercé par la lance.

La caverne est traitée comme des rochers de théâtre, depuis Giotto les peintres représentaient les montagnes de cette façon en s’inspirant de décors de fêtes, reconnaissables par le public et renforçant la dramatisation de l’histoire.

Cette scène se passe au IVe, le peintre la transpose au XVe comme en témoignent les armures et les vêtements de la princesse qui appartiennent au monde courtois.

Le dessin est léché, les couleurs sont vives et harmonieusement distribuées.

Le tableau baigne dans une lumière blanche qui frappe le visage de la princesse. On ne sait pas d’où vient cette lumière, les personnages n’ont pas d’ombre ; elle est en contradiction avec la présence d’un croissant de lune et des nuages tourbillonnants dans un ciel bleu-gris.

La lumière plonge le tableau dans l’atmosphère onirique des contes et légendes.

Les qualités formelles et la fraîcheur d’esprit qui se dégagent de cette peinture sont héritées du style gothique international.
Ce tableau dégage beaucoup de charme.

 

Analyse

La réussite du tableau de la National Gallery provient du caractère très dynamique de la représentation et du chromatisme.

Dynamisme
Dans la version de Londres, Uccello a choisi un cadre resserré sur les trois figures.
La position du dragon, de face et en mouvement, met en évidence sa tête et ses énormes pattes griffues.
Sur la droite du tableau, saint Georges attaque le dragon juché sur son cheval blanc au galop. Sa lance est plantée dans le cou du dragon.
Le spectateur qui a un regard en contre-plongée ressent la puissance et le mouvement et a l’impression que le cavalier et le dragon foncent sur lui.
Le calme de la princesse renforce la violence de l’action.

Chromatisme
L’indétermination jour-nuit permet de jouer avec la lumière.
Le ciel est sombre et un croissant de lune apparait. Dans le même moment les personnages et le sol du premier plan sont éblouis de lumière. Les gris et beige des rochers et du sol contrastent avec le ciel sombre et l’intérieur noir de la grotte. Les touches de couleurs chaudes de la robe, du harnachement du cheval et du sang qui coule égayent la peinture.

Le thème de Saint Georges et le dragon a été maintes fois traité et s’est prolongé jusqu’au XXIe. L’épisode séduit les peintres par sa portée morale, son contenu narratif et sa dimension esthétique.

Uccello a peint trois tableaux sur ce thème. Celui de Melbourne (1430) est influencé par le style byzantin avec un fond doré, celui de Paris (1435) est un intermédiaire entre le gothique international et la Première Renaissance -avec trois points de fuite, celui de Londres (1470) est l’aboutissement du savoir-faire du peintre.

Raphael traite le sujet en 1503. Le peintre maitrise la perspective géométrique et la représentation du mouvement.
En 1606, Rubens compose dans le style baroque, un Saint Georges tout en puissance, très réaliste, avec la musculature saillante du cheval.
Suivront Gustave Moreau au XIXe, Kandinsky au XXe et Kantor au XXIe qui utilise le thème légendaire pour exploiter son potentiel chromatique sur un support de vitrail.

 

Conclusion

Avant La légende Dorée de Voragine, la figure mythique qui affronte un monstre menaçant une personne revient perpétuellement dans l’Histoire
Avec Persée qui délivre Andromaque.
Avec Horus qui tue une bête malfaisante.

Le succès du culte de Saint Georges est considérable. Il est devenu l’emblème de pays ou de régions comme l’Angleterre, le Portugal, la Catalogne et l’Aragon. Il est le Saint patron de corporations : chevaliers, armuriers, laboureurs. De nombreuses villes européennes sont sous sa protection.

Aujourd’hui Superman, le super-héros proroge le mythe.

Uccello a déjà peint les grandes commandes des fresques du Cloître vert et les tableaux des batailles de San Romano lorsqu’il représente le Saint Georges et le dragon de la National Gallery.

Il a traversé la révolution de la peinture qui a mis en place la maîtrise de la perspective géométrique dont Masaccio est le premier représentant.

À une époque dominée par les œuvres de Brunelleschi, Donatello et Masaccio, celle d’Uccello montre un goût prononcé pour la plasticité des formes et étonne par son caractère fantastique.

Paolo Uccello compte parmi les personnalités les plus marquantes de la Renaissance florentine.