Nature morte -1953 Giorgio Morandi

 

Giorgio Morandi (1890-1964)

 

Nature morte

1953

Huile sur toile
Dim 35,5 x 45,5 cm

Collection Particulière.

 

 

Le peintre

Morandi est bolognais.
C’est un peintre et graveur solitaire (sans femme ni enfant).
Il est casanier et d’une discrétion légendaire.
Il ne voyagera pas (au-delà des villes italiennes -Padoue, Venise -1910, Florence-1914, Rome -1919, Milan, excepté un bref séjour en Suisse à Winterthur).
Il passera toute sa vie à Bologne, sa ville natale.
Bologne est une ville de grande tradition culturelle.
En 1907, le jeune-homme obtient l’autorisation paternelle de s’inscrire à l’Académie beaux-arts de Bologne.
Morandi est déterminé à s’engager dans une carrière artistique.
Il a 18 ans lorsque son père meurt. C’était un commerçant qui n’approuvait pas les ambitions artistiques de son fils. À sa mort, le peintre déménage dans un appartement proche du centre-ville avec ses trois sœurs et sa mère.
Sa chambre est son atelier, il y dort et y travaille jusqu’à sa mort en 1964.
En 1922, il expose à la Fiorentina Primaverile de Florence avec De Chirico, Carrà et Arturo Martini.
En 1927 il a une activité intense de graveur qu’il poursuivra jusqu’en 1933.
En 1928 il participe à la XVIe Biennale de Venise avec quatre eaux fortes et un ensemble de gravures.
En 1930 il est nommé professeur pour la gravure à l’Académie des beaux-arts de Bologne. Il conservera ce poste jusqu’en 1956.
De 1930 à 1962 il participe à diverses expositions en Europe et en Italie où il est présent à toutes les Biennales.
En 1948 il est nommé membre de l’Académie Nationale de Saint Luc à Rome et remporte le premier prix de peinture à la XXIVe Biennale de Venise.
En 1950 il est présent avec six tableaux à l’exposition « l’art italien moderne » au musée national d’Art moderne de Paris.

 

Le tableau

Une bouteille, une grande carafe, un bougeoir, un ramequin et un petit flacon de parfum sont disposés les uns à côté des autres et représentés à l’aide d’un étonnant rehaut bleu vif.

Cette disposition évoque une mise en scène théâtrale.

 

Composition

Notre œil voit les objets légèrement en surplomb.

Le tableau se compose d’une table calée contre un mur et chargée d’ustensiles.

Tous les objets, au nombre de cinq, sont soigneusement disposés sur la table, les grands sont alignés et les petits sont placés devant.
Ce sont des ustensiles ménagers et de toilette.

La bouteille, la carafe et le bougeoir dotent la scène d’une certaine verticalité, ils sont placés en enfilade.
Les deux objets plus petits, placés sur le devant du plan, sont vus frontalement et leurs ombres projetées, suscitent une sensation de profondeur spatiale.

Les objets sont peints sur un fond de grisaille, dans une ambiance dépouillée qui leur confère une grande présence.

Les couleurs bleuies et la lumière laiteuse façonnent la composition.
Elles détachent les objets les uns des autres et les individualisent par rapport à leur matière, blanc pour la porcelaine de la carafe, du bougeoir et du ramequin, gris pour le verre du bougeoir et bleu por le flacon et la bouteille.

La lumière sculpte la carafe, glisse sur le bougeoir, détache le flacon et éloigne le ramequin. Les objets s’imbriquent les uns dans les autres et créent un rythme abstrait et lumineux.

La couleur du plan semble presque se fondre dans le flacon et génère une ombre.

Le peintre crée une harmonie de bleus. La palette chromatique est sobre, les couleurs passent du blanc-bleu au gris-bleu puis au bleu-bleu.

Tous les objets apparaissent légèrement instables, comme s’ils donnaient de la gîte. Les goulots et la bougie penchent vers la gauche du tableau.
Leur irrégularité leur confère un aspect organique et apporte un certain charme à l’œuvre.

Le vide tient une place aussi importante que le plein.
C’est la lumière tranchée qui impose se ressenti.
La lumière éclaire le silence.

La touche est onctueuse. Elle coule les matières en une seule.
Elle impose les formes et trace les couleurs, les bleus, les gris, les blancs et les beiges.

 

 Analyse

 I- Les influence de Morandi

Contrairement aux futuristes qui expriment le mouvement grâce à une décomposition et une fragmentation des formes, Morandi confère une dimension monumentale à des objets beaux et simples.
Quand les futuristes rejettent farouchement le passé, Morandi fait preuve d’un classicisme intemporel, évitant les éléments tels que les étiquettes des bouteilles et autres caractères typographiques susceptibles de trahir une époque et un lieu.

Son étude minutieuse de la forme et sa palette sourde évoquent une influence cubiste.

La clarté des formes et des couleurs de Paul Cézanne compte parmi les sources d’inspiration majeure de Morandi.

Morandi a aussi beaucoup médité devant les modèles de Giotto et de Piero della Francesca.

Le jeu des vides et des pleins associés au goût des textures provoque une certaine sensualité et confirme, l’observation minutieuse des tableaux de Chardin, comme son Château de cartes-1737.

Dans les années 1916-1919, Morandi exécute de singulières natures mortes métaphysiques. Il démontre ainsi, qu’à l’instar de Carlo Carrà et Giorgio De Chirico, il propose des juxtapositions énigmatiques faisant figurer des éléments classiques et des éléments familiers, à la fois novateurs et étranges.

Au bout du compte, les mouvements modernes interviennent sous forme d’allusions dans sa recherche de peintre.

Morandi peint ce qu’il voit et son pinceau est d’une grande sobriété.

II- Morandi considère ces objets comme des modèles d’atelier

Durant pratiquement toute sa carrière, Morandi peint ces objets avec franchise, sans en faire des objets utilitaires.

Il ne leur confère pas non plus de valeur métaphorique et les aborde d’une manière exclusivement picturale, en termes de forme et de couleur, en observant attentivement le placement des ombres et des effets de lumière.

Les natures mortes de Morandi sont parfois comparées à des décors de théâtre. Les objets du quotidien étant acteurs d’une pièce silencieuse, s’imposant ainsi comme autant de personnages au sein d’un paysage.

Cela est encore plus remarquable dans la Nature morte peinte la même année que le tableau étudié, mais qui est beaucoup plus minimaliste et où la table est devenue une scène de théâtre évidente. Morandi représente trois bouteilles blanches et trois boites énigmatiques et sombres.
Autre observation : les objets ne projettent plus d’ombre.

Dans chaque tableau, la disposition et l’interaction entre ces formes familières change et, souvent elles ne semblent pas s’accorder entre elles. Des ustensiles de cuisine cohabitent avec des accessoires féminins, tels que les flacons de parfum.

Morandi met en scène ses objets et ordonnance le réel en pensant au monde qui l’entoure.

Morandi peint un univers de silences et de temps suspendus.
IL quête l’essence du réel avec la conscience très forte d’une faille, d’une mélancolie, d’un vide.

Pas de clair-obscur, les objets affrontent la lumière.

La lumière, en échange, leur donne leur force et leur présence et leur fabrique une réalité surréelle.

Les poètes se sont nourris des tableaux de Morandi -Claude Estéban, Yves Bonnefoy ou Philippe Jaccottet.

La simplicité apparente des tableaux de Morandi leur confère une qualité transcendantale ouverte à de multiples interprétations.

Morandi a passé toute sa vie à faire de la peinture une expérimentation en partie formelle. Sa démarche est solitaire, méditative, philosophique et poétique. Le travail de Morandi est « une poésie des profondeurs », une poésie qui sonde le sensible, les choses du quotidien et le passage du temps.

En 1957, Morandi : « Les sentiments et les images que suscite le monde visible en nous sont très difficiles à exprimer ou peut-être inexprimables avec des mots, car ils sont définis par des formes, des couleurs, l’espace et la lumière ».

En 1958, il ajoute :
« La matière existe bien sûr, mais n’a pas de signification intrinsèque, comme celle que nous lui attachons. Nous pouvons juste savoir qu’une tasse est une tasse, qu’un arbre est un arbre. »


Conclusion

Les natures mortes de Giorgio Morandi, un peintre au tempérament réservé et calme, sont des œuvres simples mais évocatrices, individuelles et pourtant universelles par leur traitement de la forme et du contenu.

Morandi est peu connu du grand public. Le peintre a traité dans un style austère et des formats modestes, les thèmes du paysage et de la nature morte.

Son style pictural témoigne du soin qu’il accordait à la structure et au dessin.

Il est connu avant tout pour ses natures mortes dépouillées et énigmatiques.

Il est faiblement représenté dans les collections publiques françaises, avec seulement cinq tableaux et une dizaine d’œuvres sur papier.

Au cours des années 2000, Morandi est devenu un peintre important.
Ses œuvres rares sont très recherchées.
Barak Obama a choisi deux de ses peintures en 2009 pour enrichir les collections de la maison Blanche.

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