Saint Apollinaire et la Transfiguration – milieu du VIe – Mosaïque de Ravenne

 

Mosaïque byzantine

 

Saint Apollinaire et la Transfiguration

Milieu du VIe

Mosaïque

Longueur de l’abside : environ 120 cm

Conservée in situ – abside de la basilique Saint Apollinaire-in-Classe, à Ravenne, Italie

 

La mosaïque

Saint Apollinaire fut le premier évêque de Ravenne.

Dans cette mosaïque, située sur l’abside de la basilique Saint Apollinaire-in-Classe, Saint Apollinaire est représenté en compagnie des douze apôtres représentés en moutons, tandis que le Christ est symbolisé par la croix placée au-dessus du saint.

Trois autres moutons apparaissent parmi les arbres : ce sont les apôtres, Pierre, Jacques et Jean, qui étaient avec le Christ lors de la Transfiguration.

C’est-à-dire au moment où les prophètes Elie et Moïse, que l’on aperçoit dans le ciel (de part et d’autre de la Croix) apparurent et que Dieu reconnut le Christ comme son fils.

 La basilique Saint Apollinaire-in-Classe, fut édifiée au VIe par Julius Argentarius (un riche banquier), sur un plan basilical (à trois nefs). Elle doit sa dénomination « in Classe » à la présence d’un oppidum Classis qui fut construit pour défendre le port à proximité, construit par Octavianus Augustus.
Elle est construite en briques rouges. Le campanile fut rajouté au Xe.

C’est un édifice religieux imprégné de l’influence de l’Orient byzantin.

La basilique fut consacrée en mai 549 par l’évêque Maximien.

Durant cette période Ravenne est le plus grand centre religieux de l’Italie.

La basilique est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO pour ses mosaïques.

 

Composition

C’est une mosaïque typique de l’art byzantin avec sa multitude de symboles.

La scène représente la Transfiguration du Christ sur le mont Tabor.

C’est une scène champêtre.
Sur un fond uni, les sujets sont représentés de façon stylisée et frontale.

La scène est délimitée par une superposition de festons à caractère purement ornemental.

Tout en haut de la scène, à la perpendiculaire de la croix, émerge du ciel une main bénissante, symbolisant la main de Dieu le père.

Dans le registre supérieur, au centre de la composition, se détachant sur un ciel scintillant d’or, le Christ transfiguré est représenté sous forme d’une croix gemmée, typique de l’art byzantin, au centre d’un disque. La croix est sertie de pierres précieuses et entourée de quatre-vingt-dix-neuf étoiles d’or et d’argent, sur un fond azur. Le disque est festonné de rouge et d’or, conforme à l’iconographie traditionnelle de la Transfiguration.

La croix est entourée des signes grecs Alpha et Oméga -symboles du début et de la fin, utilisés pour définir Dieu dans la bible.
Le visage du Christ est en médaillon au centre de la croix.
Sous la croix, il y a l’inscription « salvus mundi », Salut du monde, qui est un autre symbole du Christ.
La croix est encadrée par deux figures de saints flottants dans les nuages stylisés, Elie et Moïse, les deux prophètes de l’Ancien Testament.
Ils annoncent les souffrances de la Passion du Christ et la nouvelle alliance de Dieu et des Hommes par la venue du Christ.
C’est le sujet de la Transfiguration.

Dans le registre central, les trois apôtres témoins de la transfiguration, sont représentés sous forme de moutons, deux à droite et un à gauche, saint Pierre, saint Jacques et saint Jean.
Les trois moutons ont le regard tourné vers la croix.

Dans le registre inférieur, au centre se dresse saint Apollinaire, hiératique et solennel. Il porte des habits pontificaux de prêtre byzantin.
Il est représenté les bras levés et ouverts dans l’attitude de prière à Dieu.
Il est entouré de douze moutons qui représentent les apôtres.

Entre chaque mouton une gerbe de lys symbolise la pureté rituelle.

Le paysage en fond est constitué d’arbres (on reconnait les pins) et d’oiseaux, c’est une large vallée verte et fleurie.

Les détails très réalistes de la faune et de la flore expriment la vraisemblance du monde terrestre que le saint a côtoyé durant sa vie.

La mosaïque est vue de face, il n’y a pas de profondeur.

C’est le disque central qui détermine l’équilibre de la composition.

Le chant des oiseaux doit être perçu raison pour laquelle leur dimension est disproportionnée par rapport à la végétation.

Les petites tentes au pied des arbres, symbolisent l’errance de l’homme terrestre -évoquée par le nomadisme d’Israël au désert, contrairement aux moutons, elles sont vues du dessus.

Le sens symbolique de la représentation s’exprime dans le mélange des points de vue.

Plus on monte dans les registres, plus le dessin est stylisé.

La grande précision du dessin s’explique par la finesse du travail des artisans et par la petitesse des tessels de verre, d’or, de pierres, de céramique et de métaux employés pour réaliser les motifs des mosaïques.

Peu de couleurs sont utilisées, elles se mettent en valeur les unes par rapport aux autres.  Les couleurs sont fraîches et en harmonie.

La lumière éclaire la basilique en faisant ressortir les couleurs éclatantes des mosaïques. Elle participe à la spiritualité du lieu.

 

Analyse

 I- Histoire de Ravenne

Lors du 1er siècle, Ravenne finit par devenir la capitale de l’empire d’Occident.
Le roi ostrogoth Théodoric s’empara de la ville qui fut ensuite reconquise par Justinien 1er, pour devenir au VIIe une ville sans histoire et relativement isolée, victime au cours de ce même siècle d’un pillage orchestré par Charlemagne.
Bien qu’elle connue une époque de gloire, les revers de fortune de Ravenne la transformèrent en une simple bourgade de province.
Ce développement avorté permit de préserver ses extraordinaires bâtiments du début de l’ère chrétienne.
C’est sous Théodoric que démarrèrent les chantiers des basiliques Saint-Vital, Saint-Apollinaire-le-Neuf et Saint-Apollinaire-in-Classe.
Les constructions furent achevées par Justinien qui reprit Ravenne en 540.


II- Très peu d’œuvres d’art chrétiennes antérieures à 313, date de la conversion de Constantin au christianisme, nous sont parvenues.

La cité italienne de Ravenne compte d’étonnantes mosaïques datant du début du christianisme.

Ces mosaïques témoignent de l’extraordinaire richesse mise au service par les gouverneurs séculiers, les autorités religieuses et aussi les particuliers, de la décoration architecturale, qui révèle à la fois l’idéologie de la doctrine religieuse et un mécénat laïc particulièrement actif.

Les plus belles mosaïques de Ravenne furent réalisées au début du Ve et à la moitié du siècle suivant ; période correspondant à l’antiquité tardive ou au début de l’ère chrétienne, et qui s’achève avec la mort de l’empereur Justinien en 565.

Quant au thème de la mosaïque, la Transfiguration, rares sont les représentations de l’art byzantin et de l’art roman arrivées jusqu’à nous.

 Des mosaïques datant du VIe relatant cet épisode de la vie de Jésus,

Celle de Saint Apollinaire et la Transfiguration à Ravenne en Italie, est la plus belle.

Des traces d’une scène de Transfiguration sont encore visibles dans la basilique Euphrasienne de Parenzo (Porec en Croatie), sur le mur postérieur de la basilique, à l’extérieur de la partie absidale.

Dans celle du monastère de Sainte-Catherine au mont Sinaï (situé sur les pentes du mont Sainte Catherine, dans le sud de l’Égypte). La mosaïque occupe l’abside de l’église, c’est la plus ancienne des mosaïques des églises d’Orient.
Le Christ transfiguré émerge d’une mandragore bleue.
Il est représenté en pied, bénissant de la main droite et encadré par un halo cruciforme qui irradie huit rayons argentés désignant les prophètes Moïse et Elie et les trois apôtres Pierre, Jacques et Jean.

Du moyen-âge nous avons conservé sur le thème de la Transfiguration des peintures murales, comme celle du monastère de sainte-Catherine du Sinaï, datant du XIIe ; des peintures sur bois comme celle de Pologne au XIVe ou celles des icônes russes du XVe.

En revanche la Renaissance italienne est riche, de nombreux peintres se sont emparés du thème :

Giovanni Bellini a peint une Transfiguration en 1480-85, conservée au musée Correr à Venise

Lorenzo Lotto a peint une Transfiguration en 1510-12, conservée au Museo Civico-villa Coloredo Mels à Recanati, Italie.

Raphaël a peint une Transfiguration en 1520, conservée au musée du Vatican

Gérard David a peint une Transfiguration en 1520, conservée à Bruges

Le Titien a peint une Transfiguration en 1560, conservée dans l’église Saint Sauveur à Venise

Rubens a peint une Transfiguration en 1605, conservée au musée des Beaux-Arts de Nancy.

Aujourd’hui, les mosaïques inspirent les créateurs :

Dolce & Gabbana se sont inspirés des mosaïques de la Cathédrale de Monreale en Sicile pour la collection Alta Sartoria présentée en septembre 2017.

 

III – Quel est le message de la Transfiguration ?

 « Transfiguration » est la traduction latine du grec « metamorphosis ».

Les scènes représentées sur les mosaïques et les peintures murales au début de la chrétienté avaient pour vocation de transmettre un message visuel.

 Cette scène est conçue comme une annonce.

L’objectif de la transfiguration du Christ était de permettre aux disciples de mieux le comprendre.

Le dialogue de la loi et de la gloire perpétré par Elie et Moïse qui sont les deux piliers de la Loi, nous enseigne qu’il n’y pas de jouissance sans Loi, pas de repos sans trans-humance, pas de parole sans geste.

Moïse et Elie ont gravi la montagne pour y accueillir cette révélation, l’un en recevant les Tables de la Loi, l’autre en se laissant envahir par la gloire de Dieu.
Moïse a guidé le peuple dans le désert.
Elie témoigne du nécessaire passage par la Loi, du nécessaire exode qui va les conduire vers Jérusalem.

Les trois compagnons de Jésus, Pierre, Jacques et Jean assistent hébétés à la transformation sans en percevoir l’enjeu. Ils sont spectateurs et non acteurs.
De la nuée, symbolisant le rapport à l’Autre, ils entendent la Voix qui les met en face de Jésus. La Voix du Père n’est pas seulement la voix qui parle, elle est la Voix qui se tait et qui parle parce qu’elle se tait.
La Voix est la métamorphose de la parole de l’Esprit.

C’est cette reconnaissance qui délimite le parcours de la Transfiguration.
Jésus a été institué « Fils » par la soumission à la Loi et l’obéissance à la Voix.

L’ordre de la parole n’est plus celui de l’appel, il est celui de la reconnaissance.

C’est la chair qui parle, qui crie et qui prie, qui s’offre, qui meurt et ressuscite.

La finitude est la condition de l’homme mortel, renvoyé à lui-même et invité à nouer des relations symboliques avec ses semblables.

Ainsi l’homme mortel prend pour repères les symboles inscrits dans la société, dans l’État et dans sa vie spirituelle.

 

Conclusion

Ces mosaïques parfaitement conservées éblouissent et influencent les artistes et les créateurs à travers les siècles.

La Transfiguration est un symbole puissant.

Le thème de la Transfiguration est « ce qui échappe »
C’est aussi la définition de la création.
En adéquation avec les artistes qui sont à la recherche de l’insaisissable.

Comme le sont les scènes de la vie quotidienne de Vermeer, ou le sfumato de Léonard de Vinci qui, en juxtaposant les couches de couleurs renouvelle le clair-obscur.

Quand l’artiste extrait l’objet ordinaire de sa fonction pratique, on pense à De Chirico, Magritte, Ernst ou Warhol, il le transforme en œuvre d’art, l’objet passe du stade réel au stade symbolique.

Comme une évidence, l’œuvre d’art a une portée symbolique en résonance avec la Transfiguration.