Persistance de la mémoire – 1931 Salvador Dali


Salvador Dali (1904-1989)

 

 Persistance de la mémoire

1931

Huile sur toile

Dim 24,3 x 33,3 cm

Conservé au MoMA à New-York

 

Le peintre

Dali étudie les Beaux-Arts à Madrid.
Il est attiré à la fois par l’académisme, l’impressionnisme et le cubisme.
Il lit Freud. Très influencé par la psychanalyse, Dali donne à ses tableaux une forme graphique originale et se passionne pour les rêves et l’inconscient.
Par l’intermédiaire de Miró, Dali rejoint le mouvement surréaliste en 1928.
Il rencontre Gala en 1929. Elle sera sa muse et l’amour de sa vie.
Dali devient une figure de proue des surréalistes.
Il séjourne aux États-Unis de 1940 à 1948 où son influence s’exerça sur la mode, la publicité et les décors de ballets.
À son retour en Espagne, il traverse une crise religieuse et retrouve la tradition baroque et les paysages de son enfance, en harmonie avec son tempérament.
Il a dévoilé sa personnalité riche et complexe à travers ses écrits : la vie secrète de Salvador Dali –1942 et Journal d’un génie -1954.

 

Le tableau

Ce tableau est aussi appelé : Les montres molles

C’est un œuvre emblématique du surréalisme.

L’année du tableau, 1931 est marquée par l’instabilité politique en Espagne. Le pays connaît l’avènement de la Seconde République qui sera marquée par la guerre civile en 1936. La situation débouchera sur l’accès au pouvoir de Franco en 1939.

Dali représente une plage des alentours de Port Lligat, au nord de sa Catalogne natale.

L’idée de la toile lui vint alors qu’il se retrouva seul dans une cuisine devant un camembert.
Dali :  « Lorsque je fus seul, je restai un moment accoudé à la table, réfléchissant aux problèmes posés par le « super mou » de ce fromage coulant. Je me levai et me rendis dans mon atelier pour donner, selon mon habitude un dernier coup d’œil à mon travail. Il me fallait une image surprenante et je ne la trouvais pas. J’allais éteindre la lumière et sortir, lorsque je « vis » littéralement la solution : deux montres molles dont l’une pendrait lamentablement à la branche de l’olivier. »


Composition

C’est un petit format

Des montres en train de fondre, un gousset dévoré par les fourmis et la tête flasque d’un autoportrait sont disposés dans un paysage de Catalogne.

Dali peint les montres par-dessus le paysage.

Le paysage à l’arrière-plan, à droite de la toile, représente fidèlement la côte rocheuse près de sa maison de Port Lligat au nord de Barcelone. Les rochers descendent vers la mer sous un ciel bleu et blanc.
À l’arrière-plan, à gauche de la toile, un rectangle bleu, un miroir, peut-être une piscine.

Au second plan se dresse un arbre mort, sur la branche duquel est suspendue une montre molle.

Au premier plan, trois montres sont regroupées. La première, à gauche de la composition, est une montre-gousset recouverte de fourmis, posée sur le bord d’un promontoire, une terrasse. À côté, une montre molle se répand sur le bord de la terrasse. La troisième montre molle est posée sur le cou d’un masque.

Le masque est au centre du premier plan. C’est un autoportrait, une caricature du peintre. Une créature amorphe et étrange. La large paupière est close, une langue semble sortir de la bouche ouverte.
Dali a peint cette caricature dans deux œuvres de 1929, Le Grand Masturbateur et L’énigme du Désir.

Au premier plan les couleurs sont brunes -pour le sol et la terrasse et froides pour les montres molles et le masque.
Le gris de l’arbre ajoute à une atmosphère terne.
L’arrière-plan en revanche, est lumineux grâce aux couleurs du ciel et au jaune des rochers.

Le regardant voit au premier plan le monde rêvé, imaginaire,  sombre et désolé puis, à l’arrière-plan, un paysage réel, avec ses rochers et sa plage.

 

Analyse

 I-   Le surréalisme repose sur la croyance à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée.

André Breton définit le surréalisme dans le premier Manifeste du surréalisme en 1924.
Héritier du dadaïsme, le surréalisme naquit à Paris et se propagea plus largement que tout autre mouvement artistique du XXe, de la Grande Bretagne à la République tchèque et à L’Australie, et s’attacha tout autant aux objets trouvés qu’à la peinture, en passant par le cinéma. Il ne se caractérise par aucun style esthétique. IL embrasse au contraire une idéologie qui prône la révolution dans tous les domaines de l’existence.

Selon les surréalistes, en se concentrant sur le monde visible et tangible, les hommes se sont coupés d’un monde de réalités supérieures que l’on peut trouver par le rêve ou le hasard, et qu’ils appelèrent « le merveilleux ».
Prétentions bourgeoises et catholiques devaient être bouleversées et subverties.
La résolution des contraires et la primauté accordée à l’instinct plutôt qu’à la logique gouvernèrent leur pensée.

Artistiquement il en résulta des images produites à l’aide de procédés automatiques et expérimentaux, prétendument sans réflexion préalable de la part de l’artiste.

La préparation et les techniques nécessaires à la peinture sur toile constituaient une menace à l’immédiateté, à la fluidité et au caractère surprenant du résultat et des juxtapositions des œuvres expérimentales. Néanmoins c’est par ses tableaux à l’huile que le mouvement demeure le plus célèbre.


II-   Dali peint ses rêves. Il représente les frasques de son imagination.

L’effet généré par ce tableau peut être comparé à celui d’un rêve, où l’étrange et l’impossible deviennent tout à fait crédibles.

Le temps mesurable fond et laisse place à des souvenirs et des perceptions qui débutent dans le rêve et persistent dans le monde éveillé à travers la représentation que Dali en fait avec tant de vraisemblance.
La plage et l’horizon s’étendent au loin comme l’infinité d’un monde onirique où tout peut arriver, dont la transformation d’objets solides en objets mous.

Le tableau peut être regardé comme une représentation naturaliste de rêves, dont les associations singulières semblent pourtant parfaitement réalistes en termes de perspective, tout en composant des références philosophiques significatives.


III-   Dali propose au regardant la mémoire comme moyen de s’inscrire dans le temps qui passe.

Le temps ne passe pas ou le temps file.
Le temps n’avance pas ou, il ramolli, les montres ramollissent.
Le temps est déformé.

Sans montre le temps est éternel.

Le paysage est immuable.
C’est un clin d’œil à la mémoire. Le paysage fige le temps.

La mémoire capte le temps qui passe.

Dali use de symboles :
La mouche, posée sur la montre, peut s’envoler à tout moment et exprime la fugacité du temps.
L’arbre mort parle de l’incapacité à lutter contre le temps.
Les montres molles sont le temps relatif
La montre-gousset ne fond pas, elle est recouverte de fourmis. Les insectes symbolisent la décomposition, la mort.
Le masque qui gît par terre représenterait Dali ou le monde intérieur et son onirisme.
Le miroir incarne l’inconstance, il reflète la réalité et l’imaginaire.
L’œuf (seul sur la plage) incarne le renouveau.

La plage est déserte et le sol est dur.
La rive représente le vide émotionnel que ressent le peintre.
Les montagnes sont ancrées dans le sol et dans la mémoire tout comme la mer lumineuse.


IV-   Le tableau est marqué par la psychanalyse freudienne.

Selon Freud, le surréalisme met en valeur ce qu’il cherche, l’inconscient.

L’opposition entre mou et dur, entre surréalisme et réel interpelle le regardant.

Le tableau met en évidence la relativité du temps.

Le temps bonifie la mémoire comme un camembert coulant.
Les camemberts coulent
Les montres coulent
La mémoire coule
La mémoire ne retient que le bon

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Apollinaire –Alcools 1913, 1ère strophe du poème « Sous le pont Mirabeau »

V-   Dali réinterpréte son tableau vingt ans plus tard.

Le tableau devient Désintégration de la persistance de la mémoire –1952-53.
Dali explore le sujet du progrès technologique.
La plage est inondée « tout y est suspendu dans l’espace sans que rien ne touche à rien ». Les montres à gousset reviennent à l’état de molécules.
Le Dali de la psychanalyse s’incline devant le Dali de la physique et de la religion.

 

Conclusion

 Le tableau a marqué les esprits et continue de fasciner les amoureux de l’art.

Dali est une figure majeure du Surréalisme aux côtés de Joan Miró et d’André Breton.

Ses toiles plongent le regardant dans un monde onirique propice à la réflexion.
Et si ce tableau doit sa résonance à un camembert, c’est très fort.