Giotto (1266 ou 67 – 1337)
Les lamentations sur la mort du Christ
Vers 1303-1306
Fresque
Scènes de la chapelle Scrovegni
Dim totale : 1,90 x 1,98 m
Le peintre
Giotto est un peintre, sculpteur et architecte italien de la République florentine.
Giotto est né dans une famille de petits propriétaires terriens, la famille a confié leur fils à l’atelier de Cimabue.
Cimabue assure la formation du jeune garçon au talent prometteur.
Le peintre florentin rompt avec le style byzantin, abstrait et statique.
Giotto ouvre un atelier où il est entouré d’élèves. Il s’occupe de la conception des œuvres et de la mise en place des compositions les plus importantes ; il laisse les secondaires aux assistants.
Artiste majeur du Trecento, ses œuvres sont à l’origine du renouveau de la peinture occidentale. C’est l’influence de sa peinture qui va provoquer le vaste mouvement de la Renaissance à partir du siècle suivant.
Les fresques que Giotto a peintes à Florence, à Assise et à Padoue figurent parmi les sommets de l’art chrétien.
La chapelle
Pour expier ses pêchés, Enrico Scrovegni fit ériger près du palais familial une chapelle dédiée à la Vierge Marie et chargea Giotto de peindre des épisodes de la Vierge et du Christ à l’intérieur, ainsi qu’un immense tableau représentant le jugement dernier au-dessus de l’entrée.
Commencée en 1302, la chapelle fut consacrée dès 1305.
855 jours furent nécessaires à Giotto pour couvrir de fresques les 1000m2 d’espace.
La chapelle montre en de multiples images cette conception « terrestre » de la représentation du cycle de la vie de Marie et de la vie du Christ.
Les figurants, les animaux, sont mélangés aux figurations du Christ.
Les fresques sont situées dans les collines ou dans la ville.
Cette composition suit une logique chronologique de la vie d’Anne et de Joachim, les parents de la Vierge Marie à celle du Christ, dans le sens horizontal et de haut en bas, dans une séquence narrative.
Les scènes sont séparées verticalement par de larges bandes de marbre peint qui sont richement décorées.
Giotto enveloppa ses compositions de bordures à feuillages variés, d’où se détachent symétriquement des médaillons avec des bustes de personnages évangéliques.
Ce cycle de fresques est le plus complet réalisé par le maître toscan dans sa période de maturité.
La chapelle des Scrovegni, dite Église de l’Arena (en raison de l’amphithéâtre qui se dressait dans le jardin à l’époque romaine) est l’un des joyaux de Padoue, en Vénétie.
La ville de Padoue a acquis la chapelle en 1881 pour éviter la perte des fresques, qui étaient à cette époque, gravement endommagées.
Une importante restauration des fresques a été entreprise en 2001.
Les peintures de Giotto, qui occupent toute la surface des murs de l’édifice, jusqu’au plafond en coupole, évoquent la Rédemption, l’Annonciation et des événements marquants de la vie du Christ au jugement dernier.
Giotto a peint une cinquantaine de scènes.
Giotto peint un cycle centré sur le thème du Salut.
Son jugement dernier a inspiré Michel-Ange.
La couleur dominante est un bleu intense couvrant murs et plafond, en toile de fond des tableaux individuels et conférant aux œuvres un grand réalisme tout en évoquant la voûte céleste. Cette voûte céleste est parsemée d’étoiles.
L’unité du récit est assurée par la perspective bifocale qui ordonne la structure et unit les deux murs en un schéma coordonné de lignes diagonales.
Sur chaque panneau, architecture et paysage s’étendent ensemble en profondeur, ce qui renforce la cohérence de l’œuvre.
À partir du moment où Giotto place parmi les hommes les histoires du légendaire chrétien, il dispose les séquences dans des lieux figurant la réalité du monde perçu.
Ce monde réel est fait de collines, de vergers, de villes en activité.
Le christ n’entre plus dans Jérusalem, il entre dans Sienne, il entre dans le monde du regardeur.
Le regardeur peut déchiffrer les scènes et comparer son propre point de vue à celui présenté sur les murs de la chapelle.
Les dimensions de la chapelle offrent le sentiment d’un lieu précieux et intimiste.
La fresque
Cette scène est d’un réalisme remarquable, encore nouveau au début du XIVe .
Les personnages occupent le devant de l’espace.
Giotto ancre ses personnages dans l’espace réel par la perspective et par un traitement sensible du modelé.
Les personnages religieux ressemblent à des êtres vivants, grâce à l’expressivité des gestes et des regards.
La scène la plus poignante de tout le cycle montre la mère et les amis du Christ pleurant sa mort.
Giotto capte divers degrés de chagrin.
Si certains sont debout, dans un deuil silencieux, les mains croisées, d’autres pleurent en tenant les mains et les pieds blessés du Christ.
Saint Jean l’évangéliste tend les bras en arrière en signe d’angoisse tandis que la Vierge enlace son fils.
Les émotions et les états de l’âme sont évidents, tout comme l’éloquence des gestes et des expressions.
Les réactions des anges dans le ciel, sont encore plus marquées : ils sont agités de pleurs presque audibles.
L’espace interne de la fresque existe avec des relations logiques entre les personnages et les volumes représentés, les personnages divins sont humanisés dans leur corporalité, l’espace est construit du point de vue du regardeur.
La perspective s’inverse.
Le regardeur regarde un monde se rapprocher de lui.
Les variations chromatiques rendent les figures solides et volumineuses.
Le bleu contraste avec l’or (utilisé notamment pour les auréoles et les étoiles de la voûte) et constitue une des caractéristiques marquantes de l’œuvre de Giotto.
Avec son bleu profond et inimitable, Giotto invente une couleur qui portera le nom de « bleu Giotto ». Ce bleu intense se répète dans chaque scène.
Le fond est fait d’un ciel d’azur, donnant à la chapelle cette luminosité si particulière.
Le ciel, tel que le perçoit le regardeur, envahit les images retraçant la vie de Jésus.
Les personnages sont peints presque en grandeur nature ce qui donne une unité à la fresque et une grande proximité avec les personnages.
Les gestes des figures maintiennent un équilibre entre la « gravitas » de l’Antiquité et le côté gracieux de l’art gothique.
Giotto est habile à organiser les scènes avec réalisme et à créer des groupes de personnages qui interagissent les uns avec les autres.
Les figures sont insérées dans un espace dont Giotto a une grande maîtrise en s’ouvrant à la troisième dimension, c’est à dire à la profondeur.
La simplicité et la dignité des personnages révèlent l’esprit subtil de Giotto et son œil de peintre et de sculpteur, instruit par la contemplation des chefs-d’œuvre de l’art antique.
Comparés aux fresques d’Assise, la couleur et les volumes sont devenus plus doux.
Une foule de personnages s’agite autour du Christ. Le Christ mort est allongé au milieu d’eux. La dynamique vient de la gestuelle des personnages.
Giotto ne représente pas les blessures du Christ mort.
Giotto exprime la souffrance avec les expressions des personnages.
Le mur de pierre qui file dans la diagonale du tableau marque la profondeur.
Au-delà du mur, la voûte céleste avec les anges désespérés.
Le thème du paysage qui localise l’action apparait chez Giotto avec le souci de décrire le monde réel et de mettre en image la nouvelle théologie.
Analyse
Les personnages de Giotto s’inscrivent dans la réalité.
Giotto a cherché à camper ses scènes dans un environnement terrestre qui puisse être crédible.
Giotto narre une histoire et transmet des émotions.
Jamais en peinture les sentiments humains n’avaient été restitués d’une manière si exceptionnelle.
Giotto s’est appliqué à décrire de manière réaliste chaque détail de la vie quotidienne.
Ce procédé lui a permis de transposer les personnages sacrés dans le monde réel.
Giotto a actualisé et laïcisé l’histoire sacrée.
Humaniser la figuration de Dieu, du Christ, de la Vierge, c’est faire entrer le monde terrestre dans la peinture.
Humaniser la figure de Dieu, l’installer au milieu des hommes, c’est donc peindre la réalité de la Terre, la réalité des lieux.
Dans cette fresque le Christ est au milieux des femmes et des hommes. Il est de la même taille qu’eux.
La Vierge est montrée comme une femme, elle est humanisée.
Le regardeur est dans un espace rationnel.
La fresque est conçue comme un espace profond, conforme à la réalité de perception du regardeur.
Le naturalisme de ses fresques se traduit par le fait que les personnages sont toujours caractérisés par une expressivité remarquable des sentiments et des humeurs, dans une représentation de la figure humaine rendue avec plasticité, avec un accent solide.
Giotto mène une enquête approfondie sur l’émotion humaine, toujours rendue avec un réalisme vivant.
Cette humanisation est un des apports du XIVe dont Giotto est le principal représentant et le plus inventif. La chapelle présente un répertoire d’images de la nouvelle modernité, des conceptions qui s’imposent petit à petit.
Dans cette scène Giotto met l’accent sur la communication entre les personnages.
Si Giotto illustre au mieux l’humanisation des figures, c’est aussi parce que son travail est lié à la théologie franciscaine et aux commandes de cet ordre.
Peindre des paysages évoquant la réalité du monde conduit à représenter des architectures pouvant abriter les séquences du récit.
Giotto, en 1305, a la capacité à mettre en place des volumes architecturaux complexes et à les reproduire. Les édifices sont reconnaissables par les contemporains.
Les histoires ne sont pas contées dans des décors idéalisés et intemporels mais dans des lieux réels.
C’est l’émergence d’un nouveau savoir, la capacité à tracer des architectures complexes avec des problèmes de perspectives difficiles à résoudre.
Giotto en peignant la réalité peut aussi peindre l’envers du décor.
Sa perspective est empirique mais elle approche au plus près la traduction de la réalité perçue.
La perspective développée au siècle suivant par des peintres comme Masaccio, apportera plus de rigueur dans la construction mathématique mais elle ne proposera plus de charme ou de séduction.
Une tradition considère que Dante Alighieri exilé de Florence en 1302, se trouve à Padoue au moment où Giotto y effectue ses fresques. Le choix d’une partie des compositions dont Giotto décore la chapelle des Scrovegni est attribué à son influence.
Par le traitement de l’architecture et du paysage, les fresques de Giotto sont remarquablement innovantes pour l’époque.
Giotto excelle dans la représentation des relations humaines, avec des figures qui ont du volume et une présence psychologique, des êtres vivants aux rapports intenses, qui réfléchissent et ressentent des émotions.
Giotto a transformé des récits bibliques en événements poignants dont les protagonistes ont un caractère bien défini dans un environnement identifiable.
L’image « parle » aux regardeurs parce qu’elle est localisée, ancrée dans la réalité, parce qu’elle est mémorable.
Conclusion
L’excellent état des fresques est assuré par une série de contrôles effectués en permanence par une équipe d’experts.
Suite aux derniers travaux de restauration, une entrée latérale a été mise en place. Elle est équipée d’un système de climatisation qui, en plus de contrôler le flux de visiteurs, empêche les particules polluantes présentes dans l’atmosphère de pénétrer dans la chapelle. Cela permet de maintenir des niveaux de température et d’humidité optimaux pour la préservation des fresques.
La chapelle a été consacrée le 25 mars 1303, jour de la fête de l’Annonciation.
En 1304, le pape Benoît XI, ami des Scrovegni, publie un acte d’indulgence pour les visiteurs leur accordant une dispense d’une année et quarante jours s’ils la visitent lors des fêtes de la nativité, ou de la Purification et de l’Assomption de la Vierge.
Ces fresques sont considérées comme le chef-d’œuvre de Giotto.
Elles marquent un tournant de l’histoire de la peinture européenne.
Vasari : « Giotto a fixé d’une façon définitive les destinées de l’art florentin. Il est un des créateur de la peinture moderne ».
« Les peintres sont sous la dépendance de la nature : elle leur sert constamment de modèle ; ils tirent parti de ses éléments les meilleurs et les plus beaux pour s’ingénier toujours à la copier et à l’imiter. Cette dépendance éternelle, c’est à Giotto , peintre de Florence, qu’on la doit. »
Giotto a apporté l’humanisation de la figuration de Dieu et des personnages représentés, l’apparition des paysages terrestres et la relation avec la réalité du monde perçu, la réalisation picturale d’architectures complexes pour localiser les scènes évoquées.
L’humanisation du répertoire des images et des histoires chrétiennes apparait comme un élément déterminant et caractéristique de l’évolution de la peinture du la fin du XIIIe et du début du XIVe. C’est une rénovation théologique.
Cette nouvelle conception des images entraînera un grand bouleversement du travail pictural.
Les prémices de la Renaissance apparaissent dans les fresques de Giotto qui a peint des paysages servant d’écrins à la Vierge et à Jésus.
Les deux dromadaires initiaux de Giotto à Padoue sont devenus une caravane de chevaux, de dromadaires, d’animaux exotiques, traversant les collines, les villes, qui mènent à Bethléem, mais plus sûrement dans quelque village de Toscane.
Plus tard sur les murs de la chapelle des Médicis, Benozzo Gozzoli (vers 1422-1497) reprend ce cortège des mages pour lui faire traverser les collines toscanes aux alentours de Florence.
C’est un aboutissement du geste de Giotto de 1305 qui, avec sa version des mages, présente dans sa forme primitive, les prémices d’un des fleurons de la Renaissance, réalisé 150 ans plus tard.
Giotto a ouvert les voies de la Renaissance.
Sources :
Wikipédia : la chapelle des Scrovegni
Michael Baxandall -1985 : L’œil du Quattrocento
Umberto Ecco -1997 : Art et Beauté dans l’esthétique médiévale
Gilbert Croué -2003 : Les primitifs italiens du ciel d’or divin au ciel bleu de la terre.