Les Ambassadeurs – 1533 Hans Holbein le Jeune

 

Hans Holbein le Jeune (1497-1543)

 

Les Ambassadeurs

1533

Huile sur panneau de chêne

Dim 207 x 209,5 cm

Conservé à la National Gallery à Londres

 

Le peintre

Hans Holbein le Jeune fut le plus brillant portraitiste de la Renaissance.
Grâce à son talent, il traversa sans encombre une période difficile pour les artistes du nord de l’Europe et mena une carrière florissante à la cour d’Henri VIII d’Angleterre.
Issu d’une famille d’artistes d’Augsbourg, en Bavière, Holbein commence sa formation avec son père qui est un peintre connu pour ses retables et ses portraits situés dans la filiation des artistes flamands.
Hans Holbein est dit Hans Holbein le Jeune.
En 1515, il s’installe à Bâle, en Suisse, où il se lie d’amitié avec les humanistes de la ville, Érasme le remarque. Il entre dans l’atelier du peintre le plus réputé de la ville, Hans Herbst. Il réalise des panneaux et des fresques, ainsi que des gravures sur bois destinées à des illustrations et des pages de titre d’ouvrages.
En 1517 il voyage probablement en Italie.
Holbein prospère grâce à des commandes d’œuvres religieuses. Il crée une série de gravures sur bois pour la version allemande de la Bible traduite par Martin Luther, ainsi que des dessins à la plume pour Éloge de la folie d’Érasme.
En 1519, à la mort de son frère aîné, le peintre Ambrosisus Holbein, il reprend son atelier à Bâle.
En 1520 il devient citoyen de Bâle en tant qu’époux d’une citoyenne de la ville.
En 1526 il quitte Bâle pour fuir les conflits religieux, face au déclin des commandes d’œuvres sacrées, Holbein se met au portrait avec succès.
Il se rend en Angleterre avec une lettre de recommandation d’Érasme pour son ami Thomas More. Il est hébergé pendant deux ans chez More. Il réalise un portrait de son hôte.
En 1527, il représente la famille More réunie, (œuvre dont il ne reste qu’un dessin) qui fut le premier véritable portrait de famille profane.
En 1528, Holbein regagne Bâle et adopte la religion protestante.
Sa dernière grande commande religieuse La Vierge avec la famille du bourgmestre Meyer -1530 reflète la diversité de ses influences artistiques, le soin porté au portrait perfectionné par les maîtres flamands et le traitement monumental de la figure humaine inspiré de la peinture italienne.
En 1532, la situation instable de Bâle conduit Holbein à s’installer définitivement en Angleterre. Les commerçants allemands de Londres commandent des portraits à Holbein. Très vite il attire l’attention des membres de la cour et reçoit des commandes tels le tableau Les Ambassadeurs.
Cet impressionnant portrait jumelé attira l’attention du roi.
En 1536, Holbein devient peintre officiel du roi Henri VIII et réalise de nombreux portraits du souverain, de ses épouses, de ses courtisans et de nobles.
Peintre d’un roi puissant, Holbein bénéficie d’une très grande renommée.
En 1543, 
Il meurt en novembre , au cours d’une épidémie de peste qui ravagea Londres.

 

Le tableau

En 1533, Jean de Dinteville, ambassadeur de France à Londres, reçut la visite de son ami et compatriote Georges de Selve, évêque de Lavaur.
A gauche du tableau, l’ambassadeur de France et commanditaire du tableau – en robe courte représente le pouvoir politique, à droite du tableau son ami l’évêque – en robe longue représente le pouvoir religieux. C’est un diplomate et un émissaire du Pape.
Les vêtements et la posture des deux hommes représentés reflètent la vie active et la vie méditative, l’État et l’Église.

La scène représente un événement qui s’est passé le 11 avril 1533.
Une ambassade française fut envoyée par François 1er au près du roi Henry VIII d’Angleterre pour négocier une alliance contre Charles Quint.

Le tableau devait être accroché dans le grand salon du château de Polisy appartenant aux Dinteville.

Ce tableau est l’une des œuvres d’Hans Holbein le Jeune, les plus connues. Cette œuvre ambitieuse contribua à la consécration d’Holbein comme peintre de la cour d’Angleterre.

 

 Composition

Holbein insiste sur l’aspect officiel du tableau et attire l’attention du regardant sur les atours et les objets exposés sur le meuble à deux niveaux.

C’est une composition frontale.
Les motifs géométriques du tapis au sol donnent de la profondeur à la pièce.

Deux hommes jeunes sont représentés en pied, entre eux, les objets disposés sur un meuble à deux étagères, sont des instruments de mesure astronomique et des objets relatifs aux arts.
Derrière eux, une grande tenture de velours vert pousse les personnages sur le devant de la scène.

Chaque objet est représenté avec précision et soigneusement disposé.
L’étagère supérieure du meuble est recouverte d’un tapis anatolien sur lequel sont posés un globe céleste, trois horloges solaires (qui illustrent l’attention nouvelle portée à la mesure du temps), deux quadrants et un instrument de mesure astronomique médiéval -appelé torquetum.
Sur l’étagère inférieure du meuble se trouvent un globe terrestre (passion des contemporains pour les grandes découvertes), un livre d’arithmétique, une équerre, un luth, un livre d’hymnes luthériens et quatre flûtes à bec. Ces objets évoquent la connaissance de la géographie et les lois de la perspective. Les chants luthériens dénoncent les querelles religieuses entre catholique et partisans de la Réforme.

Les deux hommes soutiennent le regard du regardant.
Ce double portrait focalise notre regard sur les objets des étagères.

Sa maîtrise technique reproduit la réalité dans les moindres détails.
Les costumes et les objets sont rendus avec une grande précision.

L’ambassadeur âgé de 29 ans, tient dans sa main droite une dague dans un fourreau soigneusement ouvragé, chaque détail de la ciselure est visible. Il porte un collier dont le médaillon représente un personnage ailé terrassant un dragon, c’est l’archange Michel. Ce collier est celui de l’ordre de Saint Michel, la plus haute distinction de la chevalerie française. Sur son bonnet est épinglée une broche représentant un crâne -semblable à celui du premier plan. Son costume est luxueux. La soierie rouge de sa chemise est mise en valeur par le velours vert de la tenture. Sa pelisse de fourrure noire est doublée d’hermine.

En contraste, le personnage religieux, âgé de 25 ans, porte un manteau de couleur brune. Cette couleur sombre évoque l’austérité du personnage. Il se tient dans la même attitude que l’ambassadeur un bras posé sur l’étagère.

On observe qu’ils portent tous les deux une barbe fournie -c’est une mode lancée par François 1er.

Les visages des deux personnages trahissent leur tempérament.
Holbein saisit l’essentiel pour nous restituer une vérité, tout en l’enjolivant.

Sa technique est une synthèse de la minutie du réalisme flamand et de l’idéal de beauté italien.

Au bas du tableau, au centre et au premier-plan, le crâne figuré en anamorphose a fait l’objet de nombreuses interprétations.
Les anamorphoses à miroir se développent à partir de XVIIe et deviennent un sujet de divertissement très répandu au XIXe
Dans ce tableau en adoptant une vision rasante de côté, on voit le crâne.

Holbein a peint un divertissement mondain censé surprendre le regardant dans le château de Polisy. Le regardant n’entre pas dans le tableau, l’anamorphose du premier plan l’invite à tourner autour.

 

Analyse

C’est un tableau à clefs, à vous d’ouvrir les portes ou pas.
Les historiens, les humanistes et les scientifiques s’y attèlent depuis le XVIe.

 Il y a une leçon de morale dissimulée dans la devinette de l’image du premier plan. Pour la trouver :

I/ il faut se remettre dans le contexte de l’époque

II/ et recomposer l’image déformée.

 I- Ce tableau a été peint à une époque troublée.

 La religion de Luther diffuse dans tout l’Europe.
Il y a de fortes tensions entre le roi d’Angleterre Henri VIII et l’Église de Rome. La naissance de l’Église anglicane un an après la réalisation de ce tableau entérine un tournant dans l’histoire de la chrétienté en Europe au XVIe.
Il y a un changement des rapports de force en Europe. La France est cernée sur tous les fronts. Les personnages représentés sont des diplomates. Ils sont à Londres pour négocier une alliance entre le roi de France François 1er et le roi d’Angleterre Henri VIII contre l’empereur d’Allemagne Charles Quint.
Les Ambassadeurs célèbrent les valeurs de l’Humanisme du XVIe.

Jean de Dinteville et Georges de Selve sont les premiers représentants de la diplomatie française de l’époque. Il se font représentés avec tous les instruments du savoir et du pouvoir du moment. Tous deux ont la physionomie sereine et réservée qui sied à leur haute charge.
Ils incarnent la religion de la politique et de la raison d’état.
C’est l’idée de Machiavel, un an avant la réalisation du tableau, il publiait Le Prince où il démontre que la politique obéit à des règles propres.

 Chaque élément représenté est signifiant.
Le savoir, le luxe, la puissance terrestre comme la puissance spirituelle sont rassemblés sous nos yeux.
Les deux étagères représentent les contrastes entre le ciel et la terre.
Sur l’étagère du haut la perfection avec l’ordre du ciel et l’étude des corps célestes, sur l’étagère du bas la terre précaire et les symboles de l’intelligence confrontée à l’organisation du savoir en pleine mutation, exprimée par des signes de mauvais augures (une corde du luth est cassée, il manque une flute dans l’étui, le livre d’arithmétique est ouvert à la page traitant de la division et le globe terrestre est à l’envers).
Les motifs géométriques du sol sont inspirés du plancher médiéval de l’Abbaye de Westminster. Ils symbolisent le don de la vie fait par Dieu aux hommes.

 Ce portait double confère au tableau une grande originalité.
C’est une première en Europe du Nord.

 

II – Il faut attendre le XXe, pour que la compréhension du tableau devienne une évidence.

 C’est l’historien d’art Jurgis Baltrusaïtis qui déchiffre l’image en anamorphose du premier plan.

Le regardant doit tourner autour du tableau pour que la figure cachée au premier regard reprenne son aspect de crâne.

Le crâne représenté en image déformée renvoie aux vanités humaines et à leurs fragilités. C’est un memento mori (souviens-toi de ma mort).
Il exprime l’intérêt de l’époque pour l’occultisme et la mort.
Le crâne au pied des deux hommes éduqués et au sommet de leur carrière respectives, insiste sur la fragilité de la vie.
Puissant ou misérable le même sort nous est à tous réservé.

Ainsi le message du tableau s’éclaire au XXe.
Plutôt que de courir après la gloire, l’honneur et la fortune, le chrétien bien inspiré ferait mieux de se préparer au jugement dernier.
Face à une vie humaine lourde et conflictuelle la mort (le crâne) apparait pleine de santé dans une oblique fulgurante arborant un large sourire.

Ce tableau dénonce l’imbrication de la vie et la mort.
Il faut l’accepter ou périr.

 

Conclusion

Holbein tourne autour de la Mort.
En 1526, il crée une Danse macabre et exécute un alphabet de la mort où les cadavres et les vivants s’enlacent sur les lettres.
La Danse macabre est une suite de 41 gravures sur bois exécutées en 1526 et publiées en 1538 à Bâle dans un recueil intitulé Les simulacres et historiées faces de la mort.
Contrairement aux représentations des fresques, dans la Danse macabre d’Holbein la mort ne mène pas la danse, elle intervient dans des scènes de la vie quotidienne. Il fait de la mort un justicier dénonçant l’abus de pouvoir et l’avarice. C’est l’époque de la Réforme et des révoltes paysannes.
Holbein est un anticlérical…
La Mort vient chercher le pape au moment le plus prestigieux de sa carrière, le couronnement de l’Empereur. L’évêque paraît confus alors que la Mort le prend par la main et le guide à travers un troupeau de moutons. La Mort empoigne le moine alors qu’il tente de fuir avec ses possessions. Et la nonne dans sa chambre richement décorée fixe d’un regard concupiscent son amant au même moment qu’elle prie. La Mort survient et éteint la bougie !
L’humour permet à Holbein de représenter la Mort s’emparant d’abord de l’or de l’homme riche avant de lui voler son âme.
Chez Holbein, la Mort est agressive, jubilatoire, cruelle -lorsqu’elle enlève l’enfant à sa famille ou amicale -lorsqu’elle aide le paysan aux champs.

Ces scènes provoquèrent la haine du clergé et les rires du peuple.

À l’avant-dernière scène de la Danse macabre, le jugement dernier, Holbein retombe sur ses pieds avec sa leçon de morale qu’il réitèrera dans les Ambassadeurs : La rédemption est possible avec l’aide du Christ.
Grâce à lui l’homme peut triompher de la mort.

Les simulacres de la Mort de Hans Holbein le Jeune sont demeurés très populaires à travers les siècles et furent réinterprétées par plusieurs artistes du XVIe, parmi eux celle de 1544 de Heinrich Vogtherr.

La gloire d’Holbein le Jeune fut considérable de son vivant et après sa mort.
C’est un dessinateur exceptionnel.

Au XVIe et XVIIe Holbein est au sommet de la hiérarchie des artistes de tous les temps aux côtés de Michel-Ange et Raphaël.