Le Connecticut près de Northampton – 1836 Thomas Cole

Tomas Cole (1801-1848)

 

Le Connecticut près de Northampton

1836

Huile sur toile
Dim 131 x 193 cm

Conservé au MET, Metropolitan Museum of Art à New-York

 

Le peintre

Thomas Cole est né dans le nord-ouest de l’Angleterre. Il devient apprenti chez un fabricant d’estampes et s’initie au dessin. En 1818, il suit sa famille qui émigre aux États-Unis. Thomas Cole rejoint Philadelphie où il s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts. Il y améliore sa technique et s’initie à la peinture de paysage.
Après son arrivée à New-York en 1825, il remonte l’Hudson jusqu’aux monts Catskill et, à partir d’esquisses, exécute une série de paysages qui le rendent célèbre.
Influencé par les peintres européens, mais avec une forte sensibilité américaine, Cole invente une nouvelle interprétation du paysage, qu’il considère à la façon des romantiques comme un sujet sublime inspirant crainte et respect. L’indéniable dimension nationaliste de ses paysages explique leur popularité.
Soutenu par John Trumbull (impressionné par les premiers tableaux de Cole), qui souhaite promouvoir un art du paysage typiquement américain, Thomas Cole reçoit des commandes régulières de riches mécènes et d’amateurs d’art. Ce qu’on appellera l’Hudson River School vient de naître.
Cole est considéré comme le fondateur du groupe de « l’Hudson River School » qui rassemble des peintres de paysages vivant et travaillant dans la vallée de l’Hudson, entre New-York et les monts Catskill, de 1820 à 1870 environ. Leurs paysages très lumineux associent les dimensions sauvage et sublime dans des scènes imagées de nature intacte. Il ne s’agit pas d’une école car le groupe n’est pas rassemblé autour d’un artiste en particulier et ne promeut pas de principes précis.
En 1827, Cole ouvre un studio dans une ferme à Cedar Grove dans la ville de Catskill. Il exécutera une grande partie de son œuvre dans ce lieu. Catskill, de nos jours, est une région de reliefs de l’État de New-York, située au nord de la ville de New-York.
De 1829 à 1832, Cole voyage en Europe, Londres, Paris, Florence, Rome et Naples.
Parti des États-Unis en naturaliste, c’est en peintre romantique qu’il revient. Il pense que les sens et les émotions peuvent révéler de bien plus grandes vérités que la raison. Il est épris de nature qu’il associe à la fois à l’âme humaine et au divin. Cole est érigé en figure de proue du romantisme américain.
Au fil du temps, ses visions se font de plus en plus lyriques et mystiques, rappelant celles du peintre allemand Friedrich.
En 1841 -1842, Cole voyage à nouveau, il parcourt la France, l’Italie et la Suisse.
Le peintre s’enfonce plus avant dans l’allégorie.
Cole est imprégné des traditions religieuses et artistiques européennes et un grand admirateur des poètes romantiques, entre autres Byron.
Il fut le premier peintre à valoriser le patrimoine naturel des États-Unis.
Cole inspira une génération de peintres américains de paysages, notamment Frederic Edwin Church, son plus brillant élève.

Durant les dernières années de sa vie, Cole devient de plus en plus religieux.
Cole mourut prématurément d’une pneumonie en 1848.

 

Le tableau

En 1826, Cole s’installe dans le village de Catskill (New-York), sur la rive occidentale de l’Hudson.
Il parcourt la région du Nord-Est, souvent à pied, et fait des études de paysage au crayon.

C’est à partir de ses dessins qu’il compose les peintures dans son atelier au cours de l’hiver.
Ce tableau est inspiré d’une étude exécutée dans le Massachusetts.

Ce tableau fut exposé en 1836 à la National Academy of Design avec le titre : Vue du Mont Holyoke, Northampton, Massachusetts, après un orage.

Ce tableau accueilli avec chaleur par le public a été interprété comme un panorama rendant hommage aux décors américains et à la domestication de la nature.

Peu de personnes avaient saisi la grande interrogation de l’artiste.

 

Composition

La grandeur de la toile confère au paysage un aspect monumental.

Cole s’efforce de représenter le fleuve, la végétation, les rochers, le ciel et les nuages de façon précise et réaliste.

Il rend compte de l’atmosphère du paysage et des détails qui font sa singularité.

Le point de vue du regardeur se situe sur un lieu escarpé sur le mont Holyoke d’où il a une vue plongeante à hauteur d’homme, sur le méandre du fleuve Connecticut et sur les terres cultivées.
Le regardeur a le sentiment d’être lui-même sur la toile et d’être celui qui observe la scène. Il est en retrait par rapport à l’orage.
Le regard tout d’abord attiré par le premier plan à l’aspect pittoresque, se trouve rapidement happé par le fleuve qui serpente à l’arrière-plan.

Cole indique grâce à l’eau, ce sur quoi doit porter l’attention du regardeur. Cole insiste en donnant au fleuve la forme d’un point d’interrogation.
On aperçoit le peintre qui s’est représenté le regard interrogateur tourné vers nous.

Sur la forêt s’abat un lourde averse, issue d’un amas de nuages sombres.

La vallée au troisième plan constitue la partie droite de la composition est, quant à elle, épargnée par la catastrophe. Elle est surplombée d’un ciel bleu parsemé de quelques nuages blancs.

Ces deux ciels mis côte à côte donnent lieu à un fort contraste entre les deux moitiés du tableau. Le contraste est renforcé par l’opposition tranchante entre la forêt et la vallée.
Une diagonale divise le tableau en deux moitiés.
La partie gauche de la composition est plus foncée que la partie droite.
L’orage s’oppose au ciel bleu.
Dans la vallée s’étendent les plaines cultivées où serpente le Connecticut.
Parce qu’elle a été défrichée la vallée est d’un vert pâle, alors qu’elle a surement été recouverte de forêts du même vert que le mont Holyoke par le passé.

Au premier et au deuxième plan,  le regardeur voit une forêt primaire.
Elle parait très sauvage et débordante de vie, les arbres semblent pousser les uns sur les autres.
Le peintre utilise le vert qui est la couleur de la vie et du règne végétal.

Au premier plan le rocher escarpé et l’arbre mort bornent la composition et guident le regard vers la profondeur du paysage, vers le fleuve et les terres cultivées.
Le rocher et l’arbre mort forment un promontoire qui met en valeur le méandre et le fleuve qui deviennent les éléments principaux du tableau.
La couleur des rochers est fidèle à la réalité, leurs formes et leurs stries sont peintes avec précision.
Sur ce rocher le peintre a posé son bagage, une chaise et un parasol, en contre-bas l’artiste est devant son chevalet. Il est minuscule face à l’environnement sauvage qui l’entoure. C’est son matériel qui indique sa présence.

À gauche, la nature foisonnante et sauvage, des forêts et des branches cassées, un ciel de tempête et l’arbre abattu.
Dans ce premier plan Cole a peint la végétation dans un camaïeux de verts.
Cole peint l’orage avec minutie montrant ainsi son intérêt profond pour le détail.

À droite, au second et troisième plans, une vue lointaine sur des prairies, la nature cultivée, les montagnes dépouillées de leurs arbres, le ciel bleu, les cheminées dont la fumée supplante les nuages qui s’effacent.

D’un côté les forces de la nature se déchainent, de l’autre la nature domestiquée respire le calme.
Le peintre nous donne à voir, l’Amérique sauvage et l’Amérique humanisée.

Toutes les couleurs et toutes les variété de formes s’affrontent.
Le regardeur a l’impression que la nature est vivante.

Une perspective plongeante s’ouvre sur le fleuve, le méandre et les terres cultivées.

Cole est particulièrement attentif à ce que le fleuve est un aspect réaliste.
Ce plan au loin domestiqué par l’homme est presque uniforme.
Cela est dû à la distance et à l’homme.

Les nuages se battent avec la fumée et couronnent les montagnes au fond du tableau.

Cole travaille la lumière.

La lumière est sombre à gauche, elle porte l’orage dans le ciel, à droite l’horizon s’éclaircie, l’eau du fleuve reflète le ciel clair, chargé de nuage cotonneux, fidèles à la réalité, par leur forme, leur couleur et leur mouvement, et de fumées.

 

Analyse

Ce tableau, également appelé The Oxbow (le Méandre) en référence à la boucle que décrit le cours d’eau, symbolise le contrôle de la nature par l’homme.
Sur le coteau au centre dans le fond du tableau, apparait le nom hébreux « Noah » qui lu à l’envers signifie « Shaddai » (le Tout Puissant), suggérant que le paysage est l’œuvre de Dieu et qu’il ne doit pas être profané.
Cole peint un paysage lumineux associant les dimensions sauvages et sublimes dans une scène imaginée de nature intacte.
Cole dépeint un paysage divisé entre une nature sauvage et primitive sur la gauche de la composition et les terres cultivées arcadiennes sur la droite.

Contexte :

La peinture de paysage se popularise au États-Unis tout au long du XIXe. Au fur et à mesure que la population s’urbanise et commence à se souvenir avec nostalgie d’une vie rurale où, telle une sorte d’Arcadie, l’homme et la nature coexistait en paix.

Les premiers colons affirmèrent que leur destinée consistait à créer un royaume de Dieu sur terre.
Ainsi la nature sauvage fut considérée à la fois comme une manifestation sublime du divin et un symbole de patriotisme.

Le site et d’antiques pistes indiennes ont conditionné le premier développement de Northampton.
Les colons au XVIIe furent de véritables pionniers. Les River Towns fondées sur le fleuve Connecticut abritaient plus de 27000 habitants.
Northampton connut vite la nécessité de se défendre contre les Indiens et devint un important carrefour de lignes de diligences.
Entre 1700 et 1800, se poursuit l’endiguement du Mill, rivière capricieuse qui traverse le territoire de la colonie avant de se jeter dans le Connecticut. Le Mill fournit l’énergie hydraulique aux ateliers qui s’installent sur ses rives. L’amélioration des communications (bac sur le Connecticut et ponts sur la Mill) permet la création de services réguliers de diligences qui font de Northampton la ville d’étape essentielle entre Boston à l’est et Albany à l’ouest.
Vers 1800, le premier canal creusé aux États-Unis est inauguré au sud de la ville et va permettre le transport des grains vers Boston, via le Connecticut et la mer.
Avec l’âge d’or de Northampton de 1800-1845 et l’expansion des faubourgs industriels de Leeds et de Florence, s’affirme la fonction industrielle qui va subsister pendant tout le XIXe. C’est le temps où les forêts sont déchiffrées pour faire place aux cultures et aux voies ferrées et pour faire fonctionner l’industrie de tannage.
La ville fait preuve de dynamisme dans tous les domaines.

Depuis le porche de sa maison Cole pouvait voir les arbres s’effondrer. Horrifié, il n’a pas hésité à critiquer à plusieurs reprises le gouvernement responsable de cela. Pour comprendre le sentiment d’horreur de Cole, il faut remonter à son enfance, Cole a passé les premières années de sa vie dans le nord-ouest de l’Angleterre, une région très impactée par la révolution industrielle.


Le tableau et sa morale :

C’est durant cette période que Thomas Cole a peint son paysage.
Le peintre juxtapose la nature sauvage et la nature domestiquée,  entre les deux, un méandre du fleuve Connecticut.
Cole crée une importante tension en opposant un ciel d’orage tumultueux à un ciel dégagé au-dessus du placide Connecticut.

Le peintre a l’ambition de peindre un paysage idéal.

Il compose en atelier à partir de dessins pris sur le vif.
Le style de Cole privilégie les points de vue aériens et les effets de lumières sur des eaux et des ciels calmes.

Le paysage oppose la nature vierge du Nouveau Monde aux terres cultivées de la vallée.
Cole souligne la supériorité de la nature vierge face aux lointaines étendues cultivées.

L’orage qui vient de balayer la vallée peut être perçu comme une riposte de la nature face à son défrichement causé par l’homme.

Chaque fois que Cole montre un orage, on peut supposer qu’il incarne à la fois, la fureur de la nature et la fureur divine. Il est fort probable que ces deux interprétations se confondent dans l’esprit de ce peintre romantique.

Cole s’est représenté à la frontière des deux moitiés. C’est le point le plus paradoxal du méandre, celui où la rivière transforme sa progression inexorable en un mouvement circulaire.
Cole se représente assis devant son chevalet, coiffé d’un haut de forme, en contre-bas du gros rocher où il a planté un parasol. Cole est enraciné dans le paysage, il se fond dans la nature.

L’artiste s’est représenté pour demander au regardeur si le nouveau pays compte préserver sa splendeur naturelle ou poursuivre son exploitation sans limite.

La même année, 1836, Cole l’exprime ouvertement à travers une série : Le cours de l’Empire, un cycle de cinq toiles, ce sont des paysages allégoriques représentant le même lieu à des époques différentes : Lever du jour nuageux (État sauvage), Matinée lumineuse (État arcadien ou pastoral), Midi glorieux (Accomplissement de l’Empire), Après-midi de tempête (Destruction) et Crépuscule calme (Désolation).
Ces cinq tableaux sont le pendant des tableaux de Turner (qu’il a rencontré à Londres en 1829) l’Ascension et le déclin de l’Empire carthaginois –1817.

Cole a la volonté d’investir le paysage d’une signification philosophique à la manière de Nicolas Poussin et ses Quatre saisons.

L’Oxbow a un caractère moral ostentatoire.
Le peintre en représentant le méandre, dessine avec l’eau du fleuve un point d’interrogation.
Il humanise le fleuve.
Exprime-t-il ainsi sa perplexité face à déforestation à grande échelle.

Cole introduit dans son tableau une dose magistrale de poésie et de philosophie.
Il a la nostalgie du pastoralisme et de la ruralité.

Cole remet en question les comportements couramment liés à l’exploitation de la nature.
Cole plaide en faveur de la préservation de l’environnement naturel.

L’arbre mort est-il vraiment là,  ou le peintre l’a-t-il imaginé.
Cole combine observation et imagination, afin de créer une composition qui reflète sa propre vision du paysage.

L’arbre mort est une projection des émotions du peintre.
La composition de Cole n’est pas un miroir du paysage, car il ne reflète pas exactement le réel. Elle est la projection de sa propre perception du paysage, de son intériorité et de ses émotions.
Cole a montré qu’en combinant observation et imagination, il confère au tableau un pouvoir émotionnel particulier. Le regardeur est absorbé par le paysage.

Ce tableau exprime la crainte de Cole, à savoir que le matérialisme américain ne détruise le paysage qu’il aime.

Ce tableau a une dimension politique puisqu’il incite le regardeur à préserver les étendues sauvages de l’Amérique, et à réfléchir sur l’équilibre fragile qui existe entre nature et civilisation.
Le tableau dénonce l’impact de l’homme sur l’environnement. Le peintre condamne le comportement destructeur des hommes envers la nature.
De ce point de vue Cole se rapproche du courant romantique européen.

Cette composition est double, elle renvoie au monde et à une essence plus émotionnelle.

Le patrimoine naturel du Nouveau Monde équilibrera-t-il le patrimoine culturel de l’Ancien.
La présence humaine ne peut que dégrader le paysage.

Cole par l’intermédiaire de son tableau, signale que les montagnes de Catskill et les autres territoires du nord-est sont en réalité sous la menace constante de la hache.

Avec cette métaphore discrète sur le temps et sur l’éternité, sur le progrès continu et sur le cycle des destructions de la nature et des constructions industrielles, Cole nous confie ses réflexions et sollicite la réflexion du regardeur.

Cole a été l’un des premiers peintres américains à projeter des idées religieuses, morales, philosophiques et sociales dans le paysage, se faisant ainsi juge du comportement de l’homme et de sa nature tout au long de sa carrière.

Pendant son adolescence, en Angleterre, il s’était rendu compte des dégâts environnementaux causés par l’industrialisation dans son Lancashire natal.

Cole voit l’écoulement du temps d’un mauvais œil, il est frustré que celui-ci altère l’apparence de la nature.

Cole a voulu représenter un monde qui réfléchisse sur sa condition.

Le peintre considère qu’il est de son devoir de transmettre une morale dans ses tableaux.

Ce désir s’est intensifié dès qu’il a commencé à fréquenter l’Église épiscopale de Saint-Luc, à la fin des années 1830.

Le temps moderne supplante le temps ancien et provoque une grande nostalgie chez le peintre.

 

Conclusion

Les œuvres de Thomas Cole considérées comme conservatrices, critiquent les tendances contemporaines de l’industrialisation, de l’urbanisation et de l’expansion vers l’ouest.

Cole dit « Notre société aspire seulement à accomplir quelque chose plutôt qu’à profiter de quelque chose ».

Après avoir captivé le monde pendant près de cinquante ans, les peintres de l’Hudson River School ont fini par perdre l’intérêt du public. Au même titre que ses successeurs Cole est tombé dans l’oubli.
Ce n’est que dans les années 1970 que les œuvres de l’Hudson River School ont connu un regain d’intérêt, des musées leur ont consacré des expositions, les faisant réapparaitre aux yeux du public après avoir été mis de côté durant des décennies.

À sa mort, Cole a laissé de nombreux tableaux, dessins, carnets, lettres et manuscrits, qui ont permis aux chercheurs de faire son portrait. Beaucoup de ses paysages possèdent une dimension religieuse, historique, littéraire ou allégorique, ce qui a permis de prendre conscience de la diversité des genres abordés au cours de sa carrière.

Le rôle de protecteur d’un Éden menacé par l’homme qu’a eu le peintre des années 1820 à 1850 a donc été salué par les américains, qui le considèrent toujours comme un modèle à suivre, à l’heure de la crise climatique sans précédent que traverse le monde.

Les œuvres de Thomas Cole sont conservées principalement, au Metropolitan Museum of Art de New-York, au musée des Beaux-Arts de Boston et à la National Gallery of Art de Washington D.C.