Le Balcon -Manet 2

Edouard Manet (1832-1883)

Le Balcon
1869
Huile sur toile
170 x124,5 cm
Conservé à Orsay

Edouard Manet

1832 Naissance à Paris dans une famille de la haute bourgeoisie
1848-49 Il échoue au concours d’entrée à l’école navale. Dans le même temps il voyage au Brésil où il réalise un grand nombre de dessins.
1850 Avec l’accord parental, il entre dans l’atelier de Thomas Couture. Il y restera six ans. Il rencontre Eugène Delacroix et voyage en Italie et aux Pays-Bas.
1856 Manet ouvre son premier atelier rue Lavoisier
1859 Buveur d’absinthe est refusé au Salon
1861 Le chanteur espagnol  et Portraits de Mr et Mme Manet sont acceptés au Salon
1863 Il épouse Suzanne Leenhoff qu’il fréquente depuis de nombreuses années. Elle sera son modèle dans plusieurs tableaux (notamment La lecture)
1865 il voyage en Espagne . Manet peint de nombreux tableaux inspirés de la peinture espagnole. Il est fasciné par Velázquez.
1867 Manet organise sa propre exposition après plusieurs tableaux refusés par le jury du Salon. Le public ne suit pas.
1868 Rejeté par le jury et incompris des amateurs d’Art, Manet se rapproche des peintres novateurs : Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir, Edgar Degas, Paul Cézanne, Alfred Sisley, Camille Pissarro et Berthe Morisot.
1874 Manet refuse de participer à la première exposition impressionniste qui a lieu dans l’atelier du photographe Nadar
1883 Manet meurt à Paris des suites d’une longue maladie.

 

Description

Au balcon qui n’est pas un balcon de théâtre, quatre personnages deux femmes un homme et dans l’ombre un adolescent.
Manet est passionné par Goya, ce tableau se réfère au célèbre
« Mayas au balcon » du maître espagnol.
Mais le sujet est d’une autre nature. Le repas est achevé,  les personnages s’apprêtent à partir, une des jeunes femmes boutonne son gant, l’homme debout achève une cigarette, la troisième personne, au premier plan est assise immobile l’avant- bras appuyé à la  balustrade, elle n’est pas dans la même dynamique que les autres personnages.
Les trois personnages regardent dans trois directions différentes, et leur regards sont eux aussi très différents.
Le sujet apparaît comme totalement insignifiant, il ne porte aucun sens hors celui d’un temps mort entre deux autres moments plus significatifs: le repas qui vient de s’achever et la sortie de ce lieu.
Le Balcon est traité comme une scène de théâtre.
On pourrait imaginer que le spectacle est terminé et qu’on s’apprête à sortir.

Cette allusion au théâtre que la mise en scène du tableau désigne crée l’illusion d’une rumeur issue de l’extérieur du tableau.
Mais on ne peut l’identifier car on ne saura jamais ce que ces gens regardent.
Peut-être un jardin avec des enfants, ou bien la rue et son fracas de calèches et de voix

Le jeune homme est  Antoine Guillemet, peintre de paysage ami de Manet, la jeune femme aux gants, Fanny Claus ,violoniste, amie de la femme de Manet, elle même aussi musicienne. La troisième est Berthe Morisot élève de Manet et son modèle dans plusieurs tableaux.
Elle est le personnage central de cette oeuvre, Manet n’a-t-il pas voulu développer une scène de genre autour d’un portrait ?
Idée médiane entre la mise en scène du  Déjeuner sur l’herbe et celle de L’Olympia.
Au fond dans l’ombre un adolescent, peut-être le beau-fils de l’artiste, Léon Leenhoff, portant une cafetière en argent, regarde aussi vers l’ouverture de la porte fenêtre.

Composition

La composition frappe par sa verticalité : lignes verticales des volets, de l’embrasure de la porte, des montants du balcon et des personnages.
Des horizontales très fortes, la rambarde du balcon, les persiennes, les lignes des sourcils, s’opposent à cette verticalité et donnent une structure orthogonale. L’axe médian est  marqué par le personnage de Guillemet cadré par les montants verticaux du balcon.

La diagonale qui va du coude droit de Berthe Morisot au « bibi » fleuri de Fanny Claus, ponctuée par les diagonales divergentes de l’éventail et de l’ombrelle, se situe dans le plan du tableau et ne lui donne aucune profondeur.
La perspective est inexistante, mis à part la trouée d’ombre de l’intérieur de la pièce et le traitement en perspective  de la potiche et du tabouret, la profondeur est donnée par des plans successifs crées par la lumière. Dans cette toile, tout est surface et théâtralité.

On retrouve dans le balcon la palette apparemment restreinte d’Olympia faite avec les blancs, les verts et les noirs. De la même manière Manet utilise les couleurs vives ou plus chatoyantes avec parcimonie, sur des zones aux surfaces très restreintes. Le peintre accorde en réalité le vert émeraude à Fanny Claus (l’ombrelle), le bleu à Antoine Guillemet (la cravate) et le rouge à Berthe Morisot (l’éventail).

A ces trois couleurs principales, le vert véronèse des volets et du balcon, le blanc des robes et de la potiche et le noir du costume de Guillemet s’ajoutent trois couleurs savamment disposées : le bleu des hortensias et de la cravate de Guillemet, le rouge de l’éventail et l’ocre des gants de Fanny Claus.

La palette est ainsi faussement réduite.
Les trois couleurs principales sont subtilement modulées par la lumière et la touche. La source lumineuse est placée devant les personnages qui la reçoivent de face. Il n’y a presque pas d’ombres portées. Le contraste est très fort entre les valeurs claires et sombres.

La facture , la composition, les formes du Balcon sont nouvelles, Manet pratique une frontalité d’un autre type que ses prédécesseurs. Il affirme la surface plane du tableau, et la creuse par l’ombre. Tout le premier plan est dans la lumière, et c’est en s’éloignant de la première surface « immobile » qu’incarne Berthe Morisot, que les formes commencent à bouger.
Le regard perçoit le mouvement interne du tableau en s’enfonçant dans l’ombre à l’intérieur.
Par la composition, l’encadrement vert  parallèle aux limites du tableau, entre la peinture et l’image, le regard pénètre dans l’intérieur du tableau rendant l’œuvre captivante.
Il y a une opposition entre le rendu très précis du visage de Berthe Morisot et le flou des deux autres personnages, de même que s’opposent la facture lisse des volets et du balcon et les touches affirmées des robes blanches, des fleurs et du chien.

Le mouvement est souligné par un détail original : le peintre ménage un léger flou sur les visages des deux personnages sur le départ, Guillemet et Fanny Claus, cet effet de « bougé » entre, comme pour les mains, en opposition avec le visage de Berthe qui est le plus travaillé et parait d’une immobilité spectrale.
C’est un travail de portraitiste très abouti.
On sent parfaitement que le peintre accorde une importance centrale à cette figure, les petits coups de pinceau utilisés, la couleur de la carnation font vivre ce visage de l’intérieur.
L’intensité de la présence est troublante malgré l’immobilité de la pose.

Au fond dans l’ombre de l’intérieur, un  mouvement  horizontal : passage sans importance du jeune adolescent, allusion à l’autre temps celui qui continue de tourner celui du travail, dans l’ombre et le noir.

Analyse

A la fois portrait de groupe et scène de genre, Le Balcon fut perçu comme un tableau très dérangeant lors de son exposition au salon de 1869. Mélange d’illusionnisme par le réalisme des portraits des trois personnages principaux Berthe Morisot, Antoine Guillemet et Fanny Claus et, de théâtralité, par son sujet et le traitement de l’espace.
Manet se détache de tous les portraits de l’époque et son étrangeté ne manque pas de séduire, des artistes aussi divers que Matisse, Van Dongen et Magritte.
Comme Le déjeuner sur l’herbe et L’Olympia, Le balcon,exposé au salon de 1869 fut sujet à controverses.
Un critique de l’époque écrit :
« Mr Manet ne fait pas de différence entre un visage et une paire de pantoufles »  On peut juger par cette phrase de l’incompréhension dont fut victime le peintre, incompréhension d’autant plus injuste que bien des critiques de l’époque signalent la virtuosité de son travail.

Avec Manet « l’éternel est menacé » et avec lui toutes les valeurs traditionnelles de l’ancienne peinture humaniste.
Cela devient évident dans le Balcon, tout ce qui fait la peinture est utilisé d’une autre manière et donc pour d’autres buts.
La taille monumentale du tableau magnifie une scène de genre où en apparence il ne se passe rien.
L’espace est comparable à celui de la peinture de l’antiquité, avec une différence : le lointain est noir.
Cet encadrement vert viridian est pour l’époque choquant, il enferme le tableau et détruit l’illusionnisme en rappelant la scène à la surface de la toile.
Manet veut  une peinture de la perception directe, dans l’absolu sincérité.
Il se saisit de ce qu’il voit sans prétexte , aucune mythologie ni culture classique.

Manet  est cultivé, dandy railleur et sceptique, il n’est pas dupe, il voit très bien ce que le monde devient.
Il perçoit  les conséquences de la photographie pour la peinture d’une part, mais aussi sa signification profonde: l’instant du réel montré dans sa totale nudité, et puis immédiatement mort et sauvé à la fois.

C’est dans Le balcon que s’affirme sans ambiguïté la vision de Manet, il y fait   figurer au centre son élève et amie déjà célèbre Berthe Morisot.
Pour Manet, ce qu’il voit là, immédiatement, devient le sujet de la peinture.
Le balcon en est  l’illustration parfaite.

L’instant  est mis en scène pour y recréer par la peinture cette durée perdue.
Ce tableau complexe perpétue un instant sans importance et par son mécanisme propose une autre peinture.
C’est pour Manet une sorte de mouvement perpétuel, un glissement vers l’insignifiance, où la peinture devient le fait central de l’art au détriment du contenu.
C’est  à ce moment et par Manet que l’art moderne commence.