Courbet (1833-1877)
La Truite
1873 –
Huile sur toile
Dim. 65,5 x 98,5 cm
Conservé au musée d’Orsay
Ce tableau est une variante du tableau peint en 1872, conservé à Zurich.
Courbet
1833-1848 Les années de jeunesse à Ornans puis Besançon.
14 ans, il apprend la peinture.
20 ans il part à Paris. IL copie les maîtres au Louvre, admire Géricault, Delacroix, les peintres espagnols.
Premiers tableaux de style réaliste de 1841 à 1846
1841 Le désespéré
1842 il ouvre son premier atelier dans le quartier latin.
1842 L’homme au chien noir
1844 L’homme blessé
Son style évolue, sa palette s’obscurcit
1845-46 L’homme à la ceinture de cuir. Portrait de l’artiste
Il abandonne le style romantique et s’inspire de son terroir à Ornans
1848 Il expose une dizaine de toiles au Salon et bénéficie d’une reconnaissance publique. L’état lui achète Un après dîner à Ornans
1849 Avec L’enterrement à Ornans Courbet exprime son souhait de réformer la peinture d’Histoire en peignant un monde familier sur des grandes toiles.
Il se heurte à l’incompréhension et provoque le scandale.
Il rencontre un riche collectionneur, Alfred Bruyas, qui devient son mécène. Courbet peut ainsi vivre de sa peinture.
1855 Courbet écrit
« le titre de réaliste m’a été imposé comme ont imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques. Les titres en aucun temps n’ont donné une vision juste des choses…j’ai étudié l’art des anciens et des modernes…être à même de traduire les mœurs , les idées, l’aspect de mon époque selon mon appréciation, être non seulement un peintre mais encore un homme,…faire de l’art vivant, tel est mon but ».
1856-1870 Ce sont les années fastes.
Courbet revisite la scène de genre et le portrait.
Son style évolue, ses nouvelles toiles annoncent ce que sera la peinture moderne durant les vingt années suivantes.
Il peint une abondante production de scènes de chasse, paysages et natures mortes florales.
Il continue à scandaliser avec deux toiles aujourd’hui disparues:
Le retour de la conférence –1863, montrant des ecclésiastiques éméchés et
Vénus et Psyché –1864 refusé pour indécence.
L’origine du monde –1866 est une commande privée et demeura inconnue du public.
1870 À la chute du second Empire, Courbet est élu président de la Fédération des Artistes.
1871 » La Commune » de Paris le charge d’ouvrir les musées. Arrête le 7 juin, le peintre est condamné à 6 mois de prison
1871-77. Le temps des épreuves
En 1873 Courbet est condamné à payer les frais de reconstruction de la colonne Vendôme après avoir lancé une pétition réclamant le déboulonnage de la colonne. Courbet perd une grande partie de sa fortune et part s’installer en Suisse.
Il sombre dans l’alcool, ses problèmes d’argent et de procédures deviennent une obsession.
IL meurt en Suisse le 31/12/1877, quelques jours après que son atelier est été dispersé en vente publique.
Pourquoi ce tableau ?
Après avoir purgé sa peine de Communard à la prison de Sainte Pélagie à Paris et avant de partir pour un exil définitif en Suisse, Courbet séjourne à Ornans dans son Jura natal, où il peint des natures mortes avec une grande sensibilité. Courbet en représentant la truite prise à l’hameçon, condense tout un univers : celui de la rivière de montagne.
Cette Truite est la deuxième version d’un tableau peint en 1872.
Ce poisson, magnifique de puissance, a été sorti de l’eau, blessé.
Courbet exprime le dernier râle d’un torturé en peignant la truite la gueule ouverte, le sang coulant de ses ouïes.
Ce tableau est l’extériorisation violente et tragique du sentiment que Courbet ressent en ces années de malheur.
Courbet est en exil volontaire, on a voulu le ruiner, il poursuit son œuvre, son propos sur la nature est le même, sa conception de la beauté identique.
Dans sa peinture rien n’a changé.
Description
Ce tableau représente un poisson blessé, couché sur le flanc.
La truite est posée sur les cailloux et la roche, un fil de pêche sort de sa gueule ouverte, le sang coule de ses ouïes.
Composition
Le cadrage est serré.
La toile est découpée en trois diagonales.
Au premier plan, les cailloux et la roche de la rive
À l’arrière- plan la falaise,
Entre les deux, le poisson repose sur une ligne parallèle aux lignes de pierres.
La palette de ce tableau est riche en coloris chauds.
L’aspect minéral est rendu par les teintes de bruns rouges et d’ocres jaunes en accord avec la couleur des pierres ferreuses et le sable.
La truite est peinte avec des gris brillants teintés de rose orangé et de bleu.
Ce travail de camaïeu fait ressortir les taches de sang sur la tête du poisson soulignant la ligne noire de l’ouïe.
La lumière est rasante. Elle est concentrée dans le bas du tableau est fait miroiter les couleurs. La toile est éclairée de face.
La lumière butte au premier plan du tableau et se réfléchit sur le dos du poisson. Elle enferme la truite entre les teintes brunes de la roche et les cailloux du rivage.
Cette oeuvre est presque entièrement travaillée au couteau.
C’est une technique propre à Courbet. Un principe d’empâtement qui permet au peintre de donner un éclat dense et puissant aux coloris, en couvrant vite et fortement.
Analyse
C’est un tableau rugueux, âpre, cru, violent et tragique.
Courbet peint la représentation d’une truite en étant très fidèle à la réalité. Cependant son art de composer et de peindre ajoute une dimension supplémentaire, le spectateur est envouté.
Cette truite est un événement réel. Il dénonce l’état affectif de Courbet.
Le fruit d’une partie de pêche qui donne l’occasion à Courbet d’exprimer ses sentiments tragiques.
Brisé par les épreuves qu’il vient de traverser, Courbet revient dans cette œuvre aux expressions romantiques de sa jeunesse.
Si l’influence hollandaise de La truite est indéniable, la puissante individualité de Courbet éclate dans sa technique de peinture. Sa touche est emportée, la pâte est rugueuse, les contrastes sont violents.
Dans ce lyrisme se lit le désespoir de l’homme.
Cette évolution de la technique du peintre sera reprise par Manet, Cézanne et les impressionnistes.
(c’est ce que j’ai souhaité vous montrer en choisissant les « regards » du tableau)
Ce poisson blessé est l’image du peintre.
Cette double signification, si elle vient du romantisme a perdu l’idéalité au profit de l’identité.
« In vinculis faciebat » : « fait dans les liens »
Courbet appose cette citation sur sa Truite peinte un an plus tôt en 1872.
Il l’a empruntée au peintre David qui l’avait écrite sur un autoportrait réalisé alors qu’il était enfermé à la Bastille.