La Cène -1486 -Domenico Ghirlandaio

Domenico Ghirlandaio (1448-49 – 1494)

 

La Cène

1486

Fresque

Dim 400 x 880 cm

Située sur le mur du réfectoire du couvent franciscain Ognissanti, à Florence.
Ce couvent a été transformé en musée.

 

Le peintre

Domenico Bigordi dit Ghirlandaio doit son surnom à la réputation de son père qui était très connu pour fabriquer des guirlandes ornant les coiffures des jeunes-femmes de Florence. Ghirlandaio a fait son apprentissage dans l’atelier de d’Alesso Badovinetti ou d’Andrea Verrocchio ou peut-être les deux.

En 1472, son entrée à la confrérie florentine de Saint Lucas, signe la fin de son apprentissage.

Domenico créa plus tard un atelier avec ses frères David et Benedetto et son beau-frère Sebastiano Mainardi.
Cet atelier très réputé accueillit Michel-Ange.

Au Vatican, au début des années 1480, Domenico collabore avec Sandro Botticelli, Cosimo Rosselli et le Pérugin aux fresques de la chapelles Sixtine.

C’est seulement ensuite qu’il travaille à Florence et devient l’un des peintres favoris de la bourgeoisie marchande et de l’aristocratie. Ses qualités de portraitiste minutieux, attentif au moindre détail, lui assure une belle renommée.

Vasari fait l’éloge de ses fresques peintes dans la chapelle Tornabuoni de la basilique Santa Novella (1485-90).

Avec Sandro Botticelli et Léonard de Vinci, Domenico appartient à une génération de peintres dont l’activité artistique s’est déroulée à l’époque de Laurent de Médicis, la période de la splendeur de Florence.
Laurent de Médicis eut recours aux services de Domenico dans la dernière partie de sa vie.

Ghirlandaio meurt prématurément à l’âge de 44 ans au sommet de sa carrière artistique, emporté par la peste, en 1494.

 

Le tableau

La fresque a été commandée à Domenico Ghirlandaio au moment où il s’apprêtait à partir à Rome pour peindre la chapelle Sixtine avec d’autres peintres florentins.

Le thème de l’œuvre est un de ceux de l’iconographie chrétienne : La Cène (Cena repas du soir en latin) est le nom donné par les chrétiens au dernier repas que le Christ prit avec les douze apôtres le soir du jeudi saint.

Peint à fresque en 1486,  la Cène orne le réfectoire qui conserve encore les anciens lavabos, le portail et une Annonciation du début du XVe. Le cloître est décoré de fresques du XVIIe représentant des épisodes de la vie de saint François d’Assise et dans l’église se trouvent deux fresques de Ghirlandaio, Saint Jérôme dans son étude et la Vierge de Miséricorde.

Le thème de la Cène est très souvent peint dans les réfectoires des couvents florentins.

Andrea del Castagno réalise une fresque sur le même thème, avec Judas seul face au Christ en 1447.
Entre 1494 et 1498, Léonard de Vinci reprend le sujet en lui donnant plus d’animation. Il s’inspire de Ghirlandaio en intégrant l’architecture du réfectoire du couvent de Saintes-Marie-des-Grâces à sa composition.
Andrea del Sarto entre 1526 et 1527 réalise celle de San Salvi
En 1493-96 Pérugin réalise celle de l’ancien couvent des religieuses de Foligno.

Domenico a réalisé plusieurs Cène
En 1476 celle de l’abbaye de Passignano et en 1480 celle de Tous les Saints (situé sur la route de Borgo All Saints, sur le mur du réfectoire entre deux cloîtres du couvent de Tous les Saints à Florence).
Une Cène pour le réfectoire du couvent de San Marco à Florence.

La Cène étudiée est celle du couvent Ognissanti.
Domenico a choisi de représenter le moment où le Christ annonce qu’un des apôtres le trahira.
La fresque est chargée de références symboliques à la Passion et à la Résurrection du Christ.

 

Composition

C’est une composition bien organisée, nette et claire.

La composition s’articule autour d’une table en U, le Christ est assis au centre, entouré de ses apôtres.

Ghirlandaio a respecté l’iconographie traditionnelle.

La position centrale du Christ est soulignée par l’architecture et par la répartition des apôtres.

Disposés derrière une table parsemée de cerises, les douze apôtres : Pierre, André, Jacques le Majeur, Jean l’Évangéliste, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques le Mineur, Thadée, Simon et Judas, prennent place de part et d’autre du Christ qui élève la main pour bénir le pain et le vin. Le disciple que le Christ aimait, Jean, a posé la tête sur son épaule. Seul Judas est assis face au Christ, tournant le dos au regardeur.

Chaque apôtre affiche une pose et une expression propres en écoutant le Christ.

Judas isolé sur un tabouret, face aux autres est un présage de sa trahison. Son bras droit est levé. Ce geste montre son intention de tremper un morceau de pain dans le plat de Jésus.
Le chat assis dans son dos semble attendre un morceau de nourriture.

Ghirlandaio situe cette scène dans une loggia qui s’ouvre sur un jardin verdoyant, dans lequel faucons et faisans évoluent parmi les cyprès et citronniers.

Sur la table sont présents des objets de la vie courante du XVe. Ces objets ont une charge symbolique.
Sur la table, il y a des fruits, citrons, oranges et cerises, des pains ronds et des carafes. Domenico ne laisse rien au hasard, la vaisselle, les carafes, les couverts, le pain et les cerises, sont à leur place devant chaque convive.

La nappe est brodée sur les bords au point d’Assise.

Les oiseaux et les plantes que le peintre a représentés sont des symboles.
Le paon est symbole d’immortalité, le faisan évoque la résurrection.
Quant aux plantes, le cyprès est symbole de mort, la palme est symbole du martyre.
Les cerises sont le symbole de la passion.
Le chat assis derrière Judas est un symbole négatif, c’est la représentation du diable, du mal.

Le rendu des détails est attentif et analytique.

Les personnages sont vêtus à la mode contemporaine.
Les personnages s’intègrent rigoureusement dans ce cadre, chacun d’eux est individualisé et détaillé avec soin.

La composition est régie par la perspective et les proportions.

L’effet de perspective est accentué par l’ouverture de la double voûte sur un jardin d’arbres fruitiers.

Les lunettes qui ouvrent sur le jardin respectent l’architecture réelle de la pièce.
Domenico a retracé fidèlement la structure architecturale.
Le sol en damiers crée la profondeur.

Les lignes rigoureuses définissent un espace dont la géométrie prend une force démonstrative à travers les deux espaces, la loggia et le jardin. Elles établissent un lien entre les figures et les symboles.

La jonction des voûtes du réfectoire au centre de la composition désigne le Christ et renforce sa position centrale.

La matière picturale est lumineuse et compacte, le dessin est parfait. Les mains sont représentées avec virtuosité.

La douce lumière de la peinture dialogue avec la vraie lumière.

Une atmosphère lumineuse et sereine baigne toute la scène.

Analyse

 I-  Art Sacré

Dans l’Italie de la Renaissance, où le christianisme intervenait dans tous les aspects de la vie, l’art sacré était omniprésent.

Les sujets ne manquaient pas : la Bible, les hagiographies et les textes apocryphes constituaient des sources inépuisables de récits populaires que les artistes pouvaient illustrer dans un cadre fourmillant de détails.

Au XVe, les églises florentines étaient de véritables musées avec leurs fresques aux thèmes bibliques et leurs autels ornés de représentations des saints.

Les familles fortunées rivalisaient pour installer et décorer des chapelles privées dans toutes les églises de la Ville. Soucieux d’obtenir la meilleure qualité, les commanditaires négociaient des contrats précis avec les peintres qu’ils employaient.

Dans les monastères, outre les églises et les cellules de moines (comme à San Marco), les réfectoires aussi se prêtaient aux fresques, illustrant notamment le thème de la Cène.

À chaque maître sa propre interprétation, de sorte que le regardeur jouissait de diverses représentations d’un même épisode biblique qui enrichissaient sa vie religieuse.

Ces peintures offraient une protection spirituelle à ceux qui vivaient sous le regard bienveillant d’un saint personnage.


II– Le style de Domenico Ghirlandaio

L’intention stylistique nourrit le pinceau de Domenico Ghirlandaio.

Domenico Ghirlandaio expérimente tous les grands courants de la peinture florentine. Il mélange la peinture lumineuse de Verrocchio, le souci de perspective de Masaccio, le réalisme des maîtres flamands et reproduit la tradition narrative florentine.

 Le peintre fait le lien entre l’espace pictural et l’espace architectural.
La fresque de Ghirlandaio s’insère dans l’architecture du réfectoire dont le style est d’une époque antérieure.

Avec cette Cène on est en présence de la conclusion réfléchie des problèmes de composition remontant au Trecento : Ghirlandaio applique dans son espace civil la perspective de Masaccio en place de l’espace pittoresque de Gozzoli, la loggia, servant de cadre à la scène sacrée. La loggia se combine avec les perspectives du jardin.

Ghirlandaio excelle dans la réalisation de sa composition spatiale.

Dans la Cène on retrouve la façon de peindre de Masaccio qui intégre une perspective reposant sur l’architecture du lieu. Ici le plafond du couvent est intégré à la composition en créant deux lunettes. Les lunettes placées au-dessus de la Cène ouvrent sur un jardin d’arbres fruitiers et un ciel clair où volent des oiseaux.
Dans la fresque de Domenico, La présentation de la Vierge au temple –1485-90, située dans la basilique Santa Maria Novella à Florence, la perspective repose sur un paysage urbain.

Domenico a un don d’observation attentive qui lui vaudra d’être le maître le plus renommé et le plus recherché de la fin du XVe.

Le regardeur reconnaît dans la Cène les portraits des membres de la grande bourgeoisie florentine.

Domenico croque le caractère des personnages attentifs ou distraits, émus ou souriants.

Les mouvements soulignés par le jeu des mains, les expressions des personnages sont magnifiquement dessinés.

Sur la table les bouteilles en verre avec de l’eau et du vin, les couverts, les mets, évoquent la peinture flamande.

Ces objets sont chargés d’une puissance d’intégration dans l’espace.

Les objets et les oiseaux représentés par Domenico ont acquis un pouvoir de médiation entre culture humaniste et culture religieuse, entre le monde laïc et le monde religieux.

Ghirlandaio sollicite les motifs tirés de la nature pour les accorder au thème de la Cène. Les objets et les oiseaux sont des symboles qui racontent.
C’est la part d’invention de Domenico Ghirlandaio.

Ses lunettes en trompe-l’œil ouvrent sur les oiseaux, les arbres et les fruits du jardin, rien n’est laissé au hasard,
Domenico reproduit le jardin avec une grande précision.

Domenico a une approche pragmatique et artisanale du support, il peint le jardin du couvent Ognissanti.

Les arbres florissants, le paon, le couple d’oiseaux, le chat, tout comme les visages des apôtres sont délicatement dessinés par la lumière.

Domenico mêle la lumière picturale à la lumière du jour.

Cette douce lumière met en valeur les détails décoratifs et la sérénité de la composition.

Le monde de ces objets est le monde laïc et, en même temps, ce sont des objets emblématiques dont la dimension religieuse exprime l’idée d’intériorisation et de spiritualisation dont ils sont le relais dans le monde réel.

Cet ordre domestique dégage une harmonie et une sérénité nécessaires à la dévotion inspirée par la spiritualité.

Ghirlandaio offre à la conscience du regardeur le support qui l’exalte.

 

Conclusion

Domenico Ghirlandaio est l’une des personnalités les plus marquantes de la société florentine au cours de la seconde moitié du XVe.

Artisan respectueux de la tradition, il permet aux historiens de comprendre les structures socio-économiques de son temps. Ghirlandaio incarne la transition entre l’artisan médiéval et le génie de la Renaissance.

Les œuvres de Domenico Ghirlandaio mêlent dans leurs cycles vie religieuse et vie profane et rendent compte avec une grande précision des mœurs, coutumes et mode vestimentaire de la vie florentine du XVe. Les commanditaires de ses fresques ainsi que les notables de la ville sont aisément identifiables parmi les personnages qui animent ses scènes.

Très apprécié de la bourgeoisie de son époque, la peinture de Ghirlandaio fut considérée après sa mort comme moins originale que ses contemporains comme Botticelli.

Le tableau Le Viel homme et son petit-fils –1490, conservé au Louvre apporte un éclairage contemporain sur l’ensemble de ces œuvres. Ce tableau dégage une grande émotion, l’intensité du regard échangé entre le grand-père et l’enfant est poignante.

Le public contemporain est attentif à la douceur de la lumière et à l’équilibre des compositions.

Ghirlandaio est un grand fresquiste et techniquement l’un des artistes les plus habile de son siècle.