Figure décorative sur fond ornemental – 1925-26 Henri Matisse

 

Henri Matisse (1869-1954)

 

Figure décorative sur fond ornemental

1925-26

Huile sur toile
Dim 130 x 98 cm

Conservé à Paris,  au Musée national d’art moderne Georges Pompidou.

 

Le peintre

Henri Matisse étudie le droit et ne s’intéresse à l’art qu’à l’âge de 21 ans.
En 1891 il est à Paris pour étudier la peinture et le dessin.
Il commence par un enseignement académique traditionnel.
Il s’inscrit à l’académie Julian et suis également les cours du soir de l’École des arts décoratifs.
Puis, il entre dans l’atelier de Gustave Moreau ; après trois ans auprès de G. Moreau, il intègre l’École des Beaux-Arts en 1895.
En 1904, il passe l’été à Saint Tropez, sa palette se fait plus claire et plus ensoleillée.
En 1905, il est à Collioure.
En 1906, il visite Briska en Algérie.
En 1907, il visite l’Italie.
Matisse effectue de nombreux voyages, à Moscou, en Espagne et au Maroc.
Entre ces voyages il séjourne à Paris et à Collioure.
En 1917, Matisse s’installe à Nice où il restera jusqu’à la fin de sa vie.
En 1944 sa femme est arrêtée et sa fille Marguerite déportée pour avoir participé à la Résistance.
Matisse passe les dix dernières années de sa vie entre Paris, Vence et Nice.
Actif jusqu’à ses derniers jours, Matisse meurt le 3 novembre 1954.
Il repose au cimetière de Cimiez à Nice.

 

Le tableau

Matisse peint ce tableau pendant l’hiver 1925-26 à Nice.

Le tableau représente une figure assise sur un tapis dans un décor très présent.

Figure décorative sur fond ornemental
Est la toile charnière de l’époque niçoise 1919-1930.

Le fond ornemental provient d’un des panneaux de tissu que Matisse posait à l’aide d’une tringle en décor au grès de ses compositions. Ce tissu à médaillons enfermant des bouquets de fleurs luxuriants apparaît dans plusieurs tableaux : Odalisque à la culotte rouge -1924-25, Deux odalisques -1928, Odalisque assise au fauteuil -1928, Odalisque assise à l’échiquier -1928 et Le Repos des modèles -1928.

Figure décorative sur fond ornemental sera exposé au Salon des Tuileries en juin 1926 où il est remarqué et fait l’objet d’articles admiratifs.

Cette toile, dès 1926 et jusqu’à aujourd’hui, est l’une des œuvres de Matisse les plus reproduite.

En 1938, Matisse vend le tableau à l’état français.

 

Composition

Matisse met l’accent sur la construction et le volume.
La composition est structurée par une architecture de lignes très fermes.

L’espace géométrisé, est saturé d’éléments d’ornementation : la tenture, le miroir vénitien, le pot en porcelaine chinoise, la coupe de citrons, le tapis à bandes à motifs, le matelas rayé, la tapisserie du siège.

Le contour des médaillons de la tenture est en parfaite résonance avec les moulures baroques du miroir vénitien.

La tenture tient deux rôles, c’est un élément décoratif et un écran spatial créant une intimité, une atmosphère de renfermement.

Une seule trajectoire dans ce tableau, les lignes obliques ascendantes du sol (les rayures du matelas et les bandes du tapis), sont sectionnées brutalement par Les verticales du décor (la plante, la figure, le miroir et le siège).
Ce conflit génère une zone de force d’où s’échappe une grande vitalité.

Ces obliques donnent l’illusion d’un espace situé devant la tenture.
L’espace ainsi déterminé est ponctué par trois objets qui renforcent la sensation de profondeur ; dans l’angle inférieur droit de la toile le dossier du siège amorce une diagonale qui conduit le regard jusqu’au pot de la plante. Le regard est accroché au passage par la coupe remplie de citrons.
Les citrons dirigent notre œil sur le devant de sa toile.

La figure est calée dans une position très droite, de profil.
Son dos est rigide, à angle droit au niveau de l’épaule et de la cuisse gauche.
Un linge blanc, drapé, casse les lignes de la cuisse gauche.
Le volume et la souplesse du drapé allègent la rigidité de la figure.
Les traits qui façonnent l’odalisque sont simplifiés, distordus.
Le dos et la cuisse gauche de la figure sont ébauchés, le cou épaissi, le ventre arrondi, les formes sont taillées dans la masse. Les ombres et l’entremêlement des bruns allant de plus foncé au plus clair, suggèrent le relief.
Cela prend son sens si nous sommes devant une sculpture.

Matisse insère la figure dans le décor, en l’appuyant sur l’empilement des médaillons ornementaux de la tenture.
L’odalisque est sur le même plan que les objets qui l’entourent. Sa sérénité et son immobilité, l’assimilent à un objet décoratif parmi ceux de la pièce.

Matisse souligne ses contours d’une ligne noire.
Le noir met en lumière les formes. Le noir enchâsse la figure dans le décor.
La couleur noire orchestre l’ensemble de la composition.
Matisse l’utilise pour souligner les objets, et éclairer sa composition.
Le bleu que renvoie le miroir est plus pâle que le bleu des médaillons, cette nuance crée un effet de profondeur.

L’organisation de la toile naît de la confrontation de toutes les couleurs.
Les contrastes des couleurs primaires  illuminent la toile.
Le rouge contre le vert et le jaune contre le bleu, dégagent une grande énergie. 
Les couleurs vives du fond absorbent les objets disposés au premier plan.
Le feuillage vert de la plante se confond avec les motifs de la tenture.
L’œil doit faire une mise au point pour détacher la plante verte de la tenture fleurie.

La touche en larges aplats renforce la planéité de la composition.
Les coups de pinceaux sont francs et opaques.

 

Analyse

 I- Le pinceau de Matisse évolue tout au long de sa vie artistique et s’articule en trois périodes.

Les débuts jusqu’à la première décennie du XXe, puis les années 1919 à 1930, dite la période niçoise et enfin les années 1930 jusqu’à la fin.
Un fil conducteur articule cette évolution :
Matisse est à la recherche de la simplification dans ses compositions.

Au début, il est à Paris dans l’effervescence artistique de la fin du XIXe et du début du XXe. Matisse est exposé à une scène artistique dynamique alliant des styles et des mouvements divers comme l’Académisme (qu’il rejette), l’Impressionnisme et Le pointillisme (ses premiers tableaux témoignent de ces influences). Matisse voyage en Algérie. À son retour il peint le Nu bleu –1907.
Les couleurs antinaturalistes et la facture exubérante de ce tableau, expriment une grande modernité. Plus qu’un simple souvenir de voyage, ce tableau indique la direction que son art va suivre au cours des décennies suivantes.
Matisse passe ses étés dans le sud de la France. Attiré et séduit par la lumière de Cézanne et profitant de la compagnie stimulante du jeune Derain, il commence à produire des œuvres expressionnistes qui inaugurent le Fauvisme.
Ses grands tableaux La Desserte, harmonie rouge –1908 La Musique –1909 et
La Danse II – 1909-10, illustrent son exploitation des possibilités décoratives de l’art.
Ces trois tableaux sont commandés par Serge Chtchoukine, un collectionneur russe, La Danse II et La Musique ornent l’escalier de son palais moscovite.
En 1908 Matisse écrit :
« Expression et décoration ne sont qu’une seule et même chose ».
Chez Matisse, il y a une différence subtile entre les « arts décoratifs » et l’intention décorative de sa peinture.

Lorsqu’il conçoit ses panneaux décoratifs en 1910, il amorce la dissolution de cette distinction.

Matisse fait un clin d’œil à l’autre mouvement dominant, le Cubisme, avec
Tête blanche et rose en 1914.

Sa période niçoise.
La guerre terminée, Matisse cède à l’enchantement de la nature méditerranéenne et s’installe à Nice.
Il peint des intérieurs plongés dans la pénombre et des fenêtres ouvertes.
À partir de 1927, ses œuvres deviennent des compositions puissantes en réaction au caractère intimiste de ses toiles d’après-guerre.
L’odalisque nue ou habillée à l’orientale dans un harem richement décoré, domine son œuvre.
Sur le thème de la danse, il compose deux versions successives.

À partir des années 30, il délaisse la production d’odalisques, le modelé de figure et les accessoires d’atelier.
Matisse inaugure la technique des papiers de couleur découpés.
Les collages deviennent son principal mode d’expression.
La réalisation des grandes gouaches découpées représente un aboutissement important de sa peinture.
Dans les années 1940 il expérimente les collages presque abstraits.
Les couleurs vives et les formes planes de l’Asie –1946 le rappellent.
De 1948 à 1951 Matisse décore la chapelle du Rosaire des Dominicaines de Vence.
À propos de la chapelle Matisse dira : « cette chapelle est pour moi l’aboutissement de toute une vie de travail et la floraison d’un effort énorme, sincère et difficile ».

II- Matisse est le précurseur de l’exploitation des possibilités ornementales de l’art lorsqu’il  réduit les personnages à de simples éléments décoratifs.

Qu’il s’agisse de scènes d’intérieur européenne, d’exotisme africain ou d’exubérance intemporelle et déspacialisée, ses compositions réunissent  décor et  personnage,  représentés dans une gamme de couleurs intenses.

Matisse revendique pour sa peinture le droit au plaisir des yeux.
L’impact de sa toile est décoratif.
La force picturale du tableau tient aux couleurs qui sont un foyer d’énergie.
Matisse construit avec la couleur, il transforme le modelé.
Sa peinture est audacieuse.
Il « simplifie la peinture ».
Son maître Gustave Moreau avait pressenti cette évolution.

Pour ce tableau Matisse s’est entouré d’un tapis chamarré, d’une tenture indienne, de meubles baroques. Il crée un univers de « Luxe, calme et volupté ». (Titre d’une de ses toiles datant de 1904).

Les odalisques sont un thème récurrent dans l’œuvre de Matisse.
Dans ce tableau il rompt avec la tradition qui fait de la forme humaine un sujet privilégié. IL peint la nature morte (la coupe de citrons), l’arrière-plan (la tenture fleurie) et les arts décoratifs (le miroir vénitien, la poterie chinoise) au même niveau que la figure. Il efface la hiérarchie spatiale.

L’intention du peintre est de représenter un modèle aux formes inachevées afin de réduire la figure à un objet.

Le rôle de la figure dans ce tableau est d’incarner le volume dans un espace géométrisé et rigoureusement plat.
La figure a changé de substance, elle n’en demeure pas moins très présente, indolente et insouciante avec son corps vigoureux et sculpté.
La figure purement picturale est dépourvue d’anecdote.
Elle est l’envers parfait des modèles romanesques.

Tout au long de sa vie de peintre Matisse perfectionne son approche de la ligne et travaille la notion de volume dans l’espace.

Nu Assis dans un Fauteuil, Nu Allongé, Nu Assis réalisés en 1922 participent à la recherche de sa simplification des formes et à la place du corps féminin dans l’espace.

Avec Nu Bleu peint en 1952 matisse aboutit sa réflexion sur la figure dans l’espace. Dans ce tableau de papiers gouachés, découpés et marouflés sur toile, Matisse est confiant dans la relation forte qu’il instaure entre les morceaux.
Nu Bleu respire dans l’espace, la lumière circule comme elle circulait dans les toiles représentant des fenêtres.
Ce sont les vides, intervenant entre les morceaux découpés, qui mettent l’accent sur les articulations. Ce sont les vides qui figurent les pleins, le gonflement des volumes. Les vides inscrivent la figure dans son espace.
La forme délivrée, jaillit dans l’espace, comme une sculpture.
C’est le rôle spatialisant de l’odalisque.
Le modelé de la figure qui oblige à lire à la fois en dedans et en dehors du lieu où elle se situe.

Dans Figure décorative sur fond ornemental, la ligne devenue rigide s’oppose à la souplesse de son volume. Le modelé est rendu par les oppositions de lignes droites et de courbes. L’ornementation qui a pour objet la mise en valeur de la surface, enlève à la figure toute médiation avec la réalité.
Tout se passe comme si la figure, la plante et le dossier du siège étaient des ornements décoratifs de la tenture.
Ces éléments décoratifs  ne parviennent pas à déplacer la perspective.
C’est notre regard qui corrige l’image.

Ce tableau est un pied de nez à la photographie.
Avec son travail de déformation et d’écart par rapport au modèle, Matisse peint l’éveil à la vie des objets, l’apparition de la figure comme entité nouvelle.

Ce tableau révèle les prémices de ce que le peintre aboutira dans ses collages,
la puissance du vide généré par l’image.

Dans tous les tableaux de Matisse, l’invisible est essentiel.

 

Conclusion

De nombreux peintres figuratifs ou abstraits se réclameront de Matisse et de ses découvertes. Son œuvre domine la première moitié du XXe, en face celle de Picasso.

C’est en 1905 au sortir du Salon d’Automne que Matisse avec son tableau Femme au chapeau acquiert sa notoriété. Le tableau est acheté par les Stein. Dès lors Matisse intéresse les collectionneurs de l’avant-garde, les américains et les russes lui achètent régulièrement ses toiles.

Matisse est l’artisan d’une œuvre intemporelle, marquée par une évolution logique, née de sa constante recherche et de sa capacité à se renouveler