Jean Fouquet (1420-1481)
Étienne Chevalier présenté par saint Étienne
1452-1458
Huile sur panneau de chêne
Dim 93 x 85 cm
Panneau gauche d’un diptyque dit Diptyque de Melun
Conservé à Berlin à la Gemäldegalerie
Le peintre
Né à Tours, Fouquet est tourangeau, de naissance, de tempérament, de séjour et d’habitudes. Il a probablement accompli son apprentissage dans l’atelier d’un artiste flamand. Et reçoit sans doute une formation d’enlumineur à Paris avant de se rendre en Italie (entre 1444 et 1447). Lors de son séjour italien Fouquet assimile plusieurs notions mathématiques qui deviendront fondamentales dans sa peinture.
Puis, il fonde un atelier dans sa ville natale.
Il est l’un des plus célèbres artistes enlumineurs français du XVe.
Dans les années 1470, il est gratifié du titre de peintre du roi. Il fut le peintre de Charles VII et de Louis XI.
Peintre officiel de la Cour, il réalise des portraits, des ouvrages enluminés et des décors architecturaux le tout avec grand talent et réalisme. Il dirige un atelier florissant avec ses deux fils comme collaborateurs.
Un de ses plus grands chefs d’œuvres est un livre d’heures : Les heures d’Étienne Chevalier, exécuté entre 1452 et 1460, qui comprenait à l’origine 200 feuillets. Au XVIIIe, les miniatures sont découpées et collées sur des tablettes en bois. Aujourd’hui il ne subsiste en France, qu’une quarantaine de miniatures, conservées au château de Chantilly.
Le tableau – Volet gauche du Diptyque de Melun
Étienne Chevalier, originaire de Melun, était le trésorier du roi de France Charles VII (règne : 1422-1461). Il fut également l’un des membres du conseil royal jusqu’à sa mort. Outre ses fonctions financières, il remplit également des missions diplomatiques en Angleterre, en Bretagne et en Bourgogne. Il fut désigné comme l’exécuteur testamentaire de la maîtresse du roi, Agnès Sorel, en 1450, puis du souverain Charles VII, en 1461. C’est pour son goût pour les arts qu’Étienne Chevalier est resté célèbre. Il meurt en 1474, au terme d’une remarquable carrière administrative qui lui avait ouvert les portes des plus hautes sphères du pouvoir.
Ce portrait dans lequel il apparaît en compagnie de son saint patron, constitue la panneau gauche d’un superbe diptyque, le Diptyque de Melun.
Le panneau droit du diptyque, séparé du panneau gauche vers 1775, montre la Vierge, dont le visage est celui d’Agnès Sorel, maîtresse du roi qui offre un sein dénudé à l’Enfant Jésus. La Vierge à l’Enfant trône, entourée de séraphins rouges et de chérubins bleus. L’Enfant est tourné vers le panneau de gauche. Il regarde et pointe du doigt Étienne Chevalier, faisant ainsi la liaison entre les deux panneaux.
Le diptyque était ceint à l’origine d’un cadre de velours bleu brodé d’or, d’argent et de perles et orné de médaillons de cuivre émaillés d’or. Le Musée du Louvre conserve un exemplaire de médaillon.
Étienne Chevalier a commandé ce diptyque à Fouquet entre les années 1452 et 1455. Il était destiné à la collégiale Notre-Dame de Melun dans laquelle il fut conservé jusqu’à son démembrement.
Il accompagnait la sépulture d’Étienne Chevalier et celle de son épouse.
Si Étienne Chevalier a mené une carrière essentiellement parisienne, il est resté attaché à sa ville natale, Melun où il choisit de se faire inhumer.
Le diptyque est probablement resté dans la collégiale Notre-Dame de Melun jusqu’à ce que les chanoines engagent en 1773 la restauration de leur église. Sur les conseils de l’architecte Victor Louis, ils supprimèrent toutes les chapelles de la nef. Ces travaux furent très couteux.
C’est sans doute dans ces conditions difficiles que les chanoines acceptèrent de se défaire du diptyque en 1775. Diptyque qu’ils avaient refusé jadis à Henri IV.
Composition
Pendant de la Vierge d’Anvers, (volet droit du diptyque) où les corps immaculés semblent être taillés dans du marbre.
Cette irréalité des corps du volet droit, ajoutée à une absence d’espace, évoque un lieu divin par opposition au volet gauche qui reflète le monde de la réalité terrestre, avec Étienne Chevalier agenouillé présenté par son saint patron, Étienne, qui est debout.
C’est une composition à la géométrie parfaite.
Toutes les lignes de fuite se rejoignent en un point unique, à la jonction du menton de la Vierge (sur le volet d’Anvers).
Dans le volet gauche, les deux personnages sont dans un espace mesurable, à trois dimensions, une architecture à échelle humaine, construite selon les lois de la perspective codifiées par Brunelleschi et Leon Battista.
Saint Étienne est debout, en robe bleue. Sa tête blonde est tonsurée et d’une expression fervente et digne. Le visage est vivant et beau, idéalisé.
Le saint a placé sa main droite sur l’épaule du trésorier. Ce geste du saint, introduit son commanditaire auprès de la Vierge.
Le saint tient de sa main gauche un livre rouge à fermoir doré, un riche missel sur lequel est posé un silex évoquant son martyr par lapidation. La pierre luit dans la lumière.
Autre évocation de son martyr, le filet de sang coulant à l’arrière du crâne sur le col blanc, les gouttes de sang maculent son col.
Juste derrière la tête du commanditaire, sur la base d’un pilastre, son nom gravé apparaît.
Fouquet représente le commanditaire agenouillé, en houppelande pourprée, les mains jointes et s’applique sur la représentation de son visage. Sa tête est couronnée de cheveux noirs. Les creux et les saillies, les sourcils, les ossatures, les rides, Fouquet peint une étude attentive de la vie et restitue un visage rigoureusement vrai.
Fouquet exploite le vocabulaire de l’antique avec les marbres polychromes, les feuilles d’acanthe de la première Renaissance florentine.
Ce fond de marbres à pilastres accentue la réalité de la scène.
Le peintre est attentif au rendu des matières et des matériaux.
Les colorations fraîches et claires se juxtaposent.
Les couleurs des vêtements du trésorier et de son saint se détachent sur le mur à dominante claire.
Un pourpoint rouge, fourré de brun pour le trésorier, une dalmatique bleue sur laquelle sont brodées deux bandes dorées au motifs damassés de couleur carmin, pour le saint.
La lumière entre par la gauche.
L’aération des fonds lumineux et légère et fine.
Fouquet peint une composition stricte où rien n’est fortuit.
Analyse
La France fut déchirée par des conflits politiques pendant presque toute la Renaissance, ce qui n’était pas favorable à la vie artistique.
En dépit de ces circonstances, la France donna naissance à des artistes remarquables.
Ainsi émerge un artiste d’exception, Jean Fouquet.
Fouquet sait excellement combiner les traditions réalistes des Flandres avec les traditions expressives des miniaturistes français, sous l’effet irrésistible de l’art italien.
La composition de ce panneau témoigne de l’influence de l‘art italien dans la stricte perspective de l’espace tridimensionnel, se démarquant radicalement de la peinture française encore dominée par le style gothique.
Le vocabulaire architectural de ce volet est celui de la première Renaissance florentine.
Fouquet pose consciencieusement sur ce panneau des figures d’une réalité palpable dans un cadre architectural rigoureux.
Le mur incrusté de marbres précieux, la rigueur de l’épure, les pilastres aux feuilles d’acanthe, le pavement en marbre polychrome à motifs, sont inspirés de l’antique et répondent au goût italien.
Fouquet associe les deux figures au panneau de droite où il a représenté la Vierge en tournant ses personnages vers la droite.
Les deux figures sont d’allure monumentale, coupés sous la taille.
C’est une innovation chez Fouquet, les portraits flamands étant cadrés de près, dans un espace réduit.
Ces deux personnages ont la puissance et le volume des œuvres italiennes.
L’exécution des visages, des mains, des draperies, des accessoires est d’une sûreté et d’une délicatesse comparables à celle des meilleurs artistes florentins. On devine les apports d’un Pisanello, d’un Masaccio ou d’un Fra Angelico. Jean Fouquet a appris d’eux à voir plus clair, penser plus ferme, peindre juste.
Son admiration ne se change jamais en imitation, il ne copie pas.
Fouquet est un peintre français avec son style propre aux qualités essentielles et durables.
C’est à la fois dans l’observation, la composition, l’expression et l’exécution que Fouquet déploie son originalité.
Sans rien perdre des traditions franco-flamandes qui avaient éveillé en lui l’amour profond de la vie, il choisit dans les enseignements de l’Italie seulement ce qui peut éclairer et épurer cet amour.
Cette double assimilation, regardant tantôt vers le Nord tantôt vers l’Italie s’opère chez Jean Fouquet avec aisance et liberté.
Le col blanc du saint illumine son visage. Fouquet a représenté un bel homme. Un saint idéalisé à la manière italienne.
La lumière entrant par la gauche est diffuse. Elle éclaire le visage du saint, son col blanc et les mains jointes du trésorier.
La lumière s’accroche et cisèle la pierre.
Le visage du trésorier reste dans l’ombre, bien que peint avec grand soin ; l’ombre de la barbe, les rides d’expression, l’intensité du regard sont visibles. Fouquet a peint un portrait intelligent et décidé.
Fouquet donne vie au visage d’Étienne Chevalier qu’il représente de trois -quart, à la manière flamande.
Fouquet capte ainsi fidèlement la personnalité du modèle.
Le cadrage serré qui privilégie les visages aux dépens des bustes, crée une sensation de proximité.
Le buste du commanditaire, dégagé jusqu’à la taille est pourvu, contrairement aux modèles flamands, d’une carrure qui s’inscrit dans l’espace et procure à la figure un aplomb affirmé.
Le regard minutieux de Fouquet, attentif à peindre le moindre détail en se servant de glacis à l’huile superposés, confère à son portrait une illusion de vie.
Étienne Chevalier a une présence presque photographique qui tranche avec la figure du saint plus linéaire et plus abstraite.
En donnant résolument à ses personnages des types et des costumes de son époque, Fouquet comme les flamands, assure à son panneau une vraisemblance palpable et immédiate.
Fouquet aux côtés de son commanditaire peint un saint en costume traditionnel.
En même temps que la houppelande du XVe Fouquet peint avec une habileté joyeuse de coloriste la dalmatique bleue, vêtement majestueux du saint patron.
Les draperies abondantes de ce panneau, calmes et larges, exactes et vraies, leur goût noble se retrouveront plus tard chez Poussin, Ingres ou Watteau.
Jean Fouquet mêle l’attention au détail des flamands à la monumentalité italienne, tout en adoptant un style propre.
Un style où la disposition de son commanditaire, éloignée des usages en vigueur au Nord comme au Sud, montre un visage sévère, détaillé et énergique.
Conclusion
Étienne Chevalier a commandé un livre d’heures au même moment que le diptyque de Melun. Le livre a été lui aussi démembré, il comptait 200 feuillets.
Quarante feuillets, acquis par le Duc d’Aumale, sont aujourd’hui conservés au Musée Condé de Chantilly. Les autres pages sont dispersées entre le MoMA de New-York, la British Library et Upton House à Londres, le musée du Louvre, le Musée Marmottan et la Bibliothèque nationale de France à Paris.
Courtisans, gens d’église et de robe, gentilshommes et bourgeois, ouvriers et paysans, Fouquet les met tous en scène avec perspicacité.
La variété infinie des êtres intéresse Fouquet autant que la variété des choses.
La gravité et la réserve du peintre révèlent à la fois l’honnête homme et l’esprit élevé ; le tact de Fouquet le distingue parmi les écrivains ou artistes, des mœurs françaises du XVe.
Sa retenue si contraire aux habitudes de ses contemporains, jean Fouquet l’a doit-il à son séjour en Italie, parmi des artistes d’une culture plus délicate ou bien à la fréquentation de protecteurs et de conseillers bien choisis, dans la société cosmopolite de Tours.
Fouquet, peintre de la première Renaissance française est un grand artiste.
L’un des plus complet et des plus originaux qu’ait produit le XVe.
Les qualités du peintre ont été louées de son vivant et au siècle suivant. Tombé progressivement dans l’oubli, il a été peu à peu redécouvert par les érudits du XIXe avant de connaître une seconde notoriété.
Les recherches sur Jean Fouquet ont été couronnées par des expositions et monographies consacrées au peintre en 1981 au Musée du Louvre et en 2003 à la Bibliothèque nationale de France.
Dans son manuscrit Filarete écrit : « …ce Fouquet est vraiment puissant à faire, avec son pinceau, des figures vivantes ».