Donner à boire aux assoiffés -1646-52 Michael Sweerts

 

Michael Sweerts (1618-1664)

 

Donner à boire aux assoiffés

1646-1652

Huile sur toile

Dim 72 x 97,5 cm

 

Conservé au Rijksmuseum à Amsterdam

 

 

Le peintre

Une grande part de la biographie de Sweerts nous échappe.
Il naît à Bruxelles, son père est marchand de drap.
Il vit à Rome dix ans, de 1640 à 1650.
Dès son arrivée à Rome, il est considéré comme un peintre accompli, bénéficiant de sa renommée auprès d’une clientèle fortunée.
En 1646, Il est mentionné à Rome, comme responsable chargé de réunir les contributions des artistes de l’Europe du Nord pour la fête de saint Luc.
Il entre dans le cercle du prince Camillo Francesco Maria Pamphili, neveu du pape Innocent X. Ce prince lui obtient le titre pontifical de chevalier du Christ. C’est un commanditaire.
Au sommet de sa gloire il retourne dans sa ville natale.
En 1655, il est à Bruxelles
En 1656, il dirige à Bruxelles, une académie de dessin. Il publie une série de 21 gravures. Il a peut-être séjourné en France, ses œuvres témoignant de l’influence des frères Le Nain.
En 1661, il est à Amsterdam.
En 1662, Sweerts, profondément dévot, embarque pour la Palestine avec les membres de la Société des missions étrangères. Il voyage à travers la Palestine, la Syrie, l’Arménie et quitte les missionnaires en Perse (actuel Iran). Il continue aux cotés de jésuites portugais vers Goa, en Inde, où il meurt en 1664.

 

 

Le tableau

Ce tableau appartient à une série : Les sept œuvres de miséricorde -1646-52 Visiter les malades, Vêtir les dénudés, Donner à boire aux assoiffés, Héberger les sans-logis, Nourrir les affamés, Secourir les prisonniers et Ensevelir les morts.

Les sept Œuvres de miséricorde sont établies par l’évangile de saint Matthieu
(25, 35-36) : « Car j’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez accueilli ; j’étais nu et vous m’avez habillé ; j’étais malade et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venu jusqu’à moi ».
La septième, l’ensevelissement des morts a été ajoutée au Moyen-Âge.

Cette série a appartenue à Joseph Deutz, riche marchand hollandais.

 

 

Composition

C’est une scène de rue.
Un groupe de personnages déguenillés se rassemble autour d’un tonneau.

Au premier plan, un garçon aux jambes nues et aux vêtements déchirés boit d’un air concentré, illuminé par un rayon de lumière.
Au bord inférieur de la toile
Un tas de cailloux d’ombre et de lumière conduit notre regard jusqu’au couvercle du tonneau au sol au milieu du chemin.
Cette ligne de force, parallèle à l’oblique générée par les hommes, butte sur le groupe de personnages amassés à l’arrière-plan.

La scène se passe aux abords d’une ville.
À l’arrière-plan, on distingue une colline bâtie de maisons, tout au fond l’arc d’un pont enjambe le paysage. Sur les hauteurs se dresse les tours d’une église, embrasées de lumière donnant aux murs une couleur ocre-rosé.

Le jeune-homme est assis à l’extrême droite de la toile, sur la même ligne, un pèlerin barbu, debout, dans l’axe du tableau, est courbé sur son bâton. Il tient un bol d’eau dans sa main droite.
Dans son prolongement, le tonneau.
L’assemblée des assoiffés s’échelonne du premier plan au fond du tableau.
Le peintre représente une multitude d’assoiffés.

Un carré de ciel bleu en toile de fond, s’oppose à l’obscurité de l’abri où se tient le groupe de personnages.

La composition est traversée dans sa diagonale, par des lignes de force qui conduisent notre regard des ténèbres au bleu du ciel.
La ligne amorcée par le jeune-homme s’envole vers le ciel.
Cette dynamique est porteuse d’espoir.

La gamme chromatique est restreinte, des pointes de rouge orangés, des nuances de noirs -sombre, doré ou bleuté, des ocres rosés.
Ces ocres rosés appartiennent au peintre et sont un indice pour identifier ses œuvres.

La composition fonctionne sur une forte opposition d’ombre et de lumière.
La lumière fuse de la gauche du tableau. Elle raconte la scène.
Les figures principales sont baignées de lumière, tandis que l’entourage disparaît dans la pénombre.

 Sweerts reprend le clair-obscur de Caravage, il fond l’assemblée des personnages dans sa toile.

 

Analyse

I – Dans l’art du XVIIe Michael Sweerts est un peintre exceptionnel par l’empathie dont il fait preuve envers les couches pauvres de la société.

Alors que de nombreux peintres de genre mettent en scène des paysans exubérants et des fêtes populaires tapageuses, Sweerts représente paysans, mendiants et citadins pauvres avec dignité et retenue, en se gardant de toute condescendance.

La volonté de Sweerts de décrire la réalité des pauvres et des sans-logis qu’il restitue avec toute la gravité et la monumentalité d’un peintre d’histoire, distingue les sept Œuvres de miséricorde de cette production.

Il a réalisé aussi des portraits, des images pieuses et des intérieurs d’ateliers d’artiste, mais la profonde compassion à l’égard des indigents rend son tableau remarquable.

 La toile est peinte à la fois dans un style, dramatique, un ténébrisme baroque hérité de Caravage et classique.

Sweerts fait la part belle à la représentation des œuvres antiques.
Dans ce tableau il brosse le corps jeune et académique d’un jeune-homme.
S’il a choisi de le placer en pleine lumière, ce corps est traité humblement.
Il est étonnamment vivant, l’homme boit sans ostentation, dans une attitude très naturelle.
Ce personnage a la solennité d’un héros (apport de la peinture classique).

Sweerts dépeint des émotions humaines, universelles de la classe indigente.

 Le jeune-homme assis dans la lumière, illustre le propos du tableau et lui donne son sens.
Courbé sur son bol d’eau, il boit, son attitude est pleine de grâce.
Nous ne voyons pas les traits de son visage.
Ainsi le regardant adapte l’image à son imaginaire et la représentation en retire une grande puissance.
La compassion de Sweerts est palpable.
Sweerts peint ce personnage avec une grande empathie.
Sa toile est empreinte d’une touchante humanité.

 Un seul regard est tourné vers nous.
Le regard plein de douceur de l’enfant coiffé d’un large chapeau, assis, attendant son tour ou peut-être déjà repu. Il se tient entre l’homme assis et le pèlerin debout.
Ce regard nous invite à entrer dans la toile.

Le peintre se détache de la référence biblique, son décor architectural neutre, met en avant la puissance des sentiments exprimés.
Il expose des pauvres mais, il le fait sur un ton réservé.

Sweerts, d’une touche légère et avec sa lumière caractéristique, sait captiver une humanité vivante et singulière.

 

II – Avec subtilité, Sweerts glisse dans ses œuvres plusieurs pistes de lecture.

Les tableaux de Sweerts, mythologiques ou religieux se savourent tant par leur esthétique que par leurs portées intellectuelles.

Dans un heureux partage d’ombre et de lumière, il peint les plus modestes.
Ses personnages sont issus du peuple.

Si le jeune-homme assoiffé est représenté à droite de la composition, il occupe cependant « la place centrale ».
Sweerts divinise l’humain.

Cette composition est pleine de sous-entendus subtils.
Sweerts extériorise ses pensées sur l’être humain et sa vérité invisible à l’aide de ses pinceaux.
Il nous tend un miroir pour nous dévoiler notre profondeur.
Il nous montre l’autre versant de notre esprit.

Le regardant est en phase avec le tableau parce que la composition de Sweerts est sans ostentation. L’harmonie qui se dégage de cet attroupement de personnages nous touche.
La pureté de leur émotion nous atteint.

En peignant une conscience de groupe, Sweerts leur donne une présence forte.
Le monde est désenchanté, à partir de cette réalité sociale, le regardant trouve une signification et un sens à sa vie.

En faisant l’apologie des indigents, le peintre, profondément religieux sauve son âme.

 

Conclusion

Sweerts est un peintre et graveur actif au temps du baroque, contemporain des maîtres flamands Rubens et Van Dyck et des artistes phares du siècle d’or hollandais, Rembrandt et Vermeer.

 À son époque, ses allégories (notamment celle des cinq sens), ses portraits et autres tronies sont baignés d’une lumière au velouté caractéristique.
Sweerts rejoint le meilleur de la peinture de genre de son temps et se classe au rang des plus grands, Vermeer et Pieter de Hooch.
Transcendant l’héritage du passé son Portrait d’une jeune-femme –1661 rivalise de grâce et de douceur avec La jeune-fille à la perlepeinte cinq ans plus tard.

Aujourd’hui, il semblerait, au vu des résultats obtenus par ses œuvres en salle des Ventes, que Sweerts, artiste brabançon du XVIIe, soit sorti de l’oubli.

Redécouvert timidement au début du XXe, il est l’un des artistes les plus énigmatique de son temps.

Moins de 130 de ses œuvres sont actuellement recensées.