Primatice (1504-1570)
Tapisserie de Fontainebleau
1540-1547
Laine et soie, fils d’or et d’argent
Environ 340 x 610 cm
Danaé
Conservé au château de Fontainebleau , galerie François 1er, quatrième travée sud.
L’artiste
Francesco Primaticcio dit le Primatice est né à Bologne, alors dans les États pontificaux et mort à Paris. C’est un peintre, architecte et sculpteur italien de la Renaissance tardive er du maniérisme.
À 22 ans il part à Mantoue, il est l’élève de Giulio Romano et travaille à la décoration du Palais du Te, expérience fondatrice au cours de sa formation.
En 1532 il entre au service de François 1er en France.
Cette Renaissance française donne lieu à une synthèse de l’art français et de l’art italien, qualifiée au XIXe « d’École de Fontainebleau ». L’École connut la célébrité dans l’Europe entière et eut un grand rayonnement. Largement diffusé par la gravure, son style maniériste influença non seulement la peinture, mais l’art décoratif sous toutes ses formes.
Le Primatice, créateur génial aux talents multiples, il consacre l’essentiel de sa vie à servir par son œuvre la France et ses rois, de François 1er à Charles IX.
Il retrouve à la cour de France un autre italien, Rosso Fiorentino, arrivé en 1530.
Fontainebleau est alors un centre artistique en pleine effervescence.
Sous la direction de Rosso Fiorentino, une vaste équipe d’artistes œuvre à la décoration de la galerie François 1er, tandis que Primatice est chargé de celle des appartements royaux. La mort soudaine de Rosso Fiorentino, en 1540, laisse le champ libre pour trente ans à Primatice.
Au cours de séjours réguliers en Italie, il fait venir des œuvres antiques ou leur moulages, et importe des dernières inventions du maniérisme italien.
Deux jours après la mort d’Henri II en 1559, Catherine de Médicis confie les travaux au Primatice qui devient surintendant des maisons royales le 12 juillet 1559.
Primatice consacre ses dernières années au monument funéraire d’Henri II et à la rotonde des Valois à Saint-Denis.
Peintre du roi, à la fois dessinateur, sculpteur, architecte, le Primatice fait évoluer l’art en introduisant en France le raffinement et le maniérisme italien, l’héroïsme épique créant ainsi un style personnel, un style primaticien, dont l’influence va gagner toute l’Europe.
De 1527 à 1547, les transformations du château furent incessantes. Bâtiments, jardins, fontaines, tableaux, mobilier et livres concoururent à en faire la résidence favorite de François 1er, ainsi que l’endroit idéal pour organiser des fêtes somptueuses : l’empereur Charles Quint y fut reçu avec éclat en décembre 1539 et les enfants de France y furent baptisés.
La fresque
La galerie a été réalisée vers la fin des années 1529 dans le but de relier le vieux donjon où se trouvait le logement de la reine Louise de Savoie et les anciens bâtiments de l’abbaye. L’abbaye, située à l’ouest du château, est un couvent fondé par saint Louis.
La galerie débouchait alors dans la grande salle de la reine, lieu ouvert à la circulation. Après la mort de la reine, le roi s’installe dans le vieux donjon et commence alors des travaux de décoration dans la galerie, qui dureront de 1533 à 1539.
La fonction de la galerie change, elle ne débouche plus dans une salle du donjon, mais, grâce au percement d’une nouvelle porte, dans la chambre du roi. Il ne s’agit plus alors d’un passage public facilitant la communication entre deux bâtiments, mais d’un espace privé, une extension des appartements du roi qui en détient les clefs.
Ses dimensions exceptionnelles pour un lieu privé, environ 6m sur 64, délimitent un corridor très long et relativement étroit qui impose de nombreuses contraintes au décor.
Dans la partie inférieure du mur, sur une hauteur de 2,25m, des panneaux de boiserie de Seibec de Carpi se succédaient sans discontinuer, et au-dessus, sur une hauteur similaire, alternaient sur chape un mur 6 fenêtres et 7 compartiments composés d’une grande fresque entourée de motifs en stuc et en fresque. Les grandes fresques représentent des figures mythologiques ou allégoriques, sur des thèmes divers. Elles sont dues à Rosso. Le plafond de la galerie est compté de caissons en bois variés aux formes géométriques et au XVIe, un plancher très luxueux reproduisait ses formes, mais il a disparu.
Aujourd’hui les fresques principales monopolisent l’attention des spécialistes en quête d’un programme iconographique.
Danae
Cette fresque représente un mythe grec.
Contrairement aux décors de la galerie qui s’inscrivent dans des cadres rectangulaires, Danae est dans un ovale, elle décore un des deux cabinets de retrait que l’on peut imaginer prévus pour la commodité d’entretiens particuliers.
Au XVIe Danae est assimilée à Vénus et figure dans la pose alanguie propre à la déesse « pudique ». C’est autant de prétextes à la description érotisée du corps nu de la femme mêlé aux remous des draperies et des coussins évocateurs de désir vécu et du savoir faire artistique.
Si la composition de Primatice respire encore la réminiscence de Michel-Ange, elle rappelle aussi ses affinités avec la Danae du Corrège dans les années 1530.
En parallèle avec la peinture du Titien conservée à Naples, dont la réalisation indique la connaissance de l’œuvre de Primatice, Gentile a souligné le rôle de la nourrice de Danae (généralement absente du récit mythologique) et qui fait le geste de retenir dans une jarre la pluie d’or, tandis que Cupidon l’en empêche pour favoriser l’entreprise amoureuse de Jupiter.
Un oracle ayant prédit à Acrisios, roi d’Argos qu’il serait tué par son petit-fils, le roi emprisonne sa fille Danae dans une tour d’airain.
Zeus s’infiltre dans la tour auprès de Danae métamorphosé en pluie d’or.
De cette union naît un fils, Persée. De rage , Acrisios met sa fille et son petit-fils dans un coffre qu’il jette à la dérive. Ils parviennent à Sérifos, où le roi Polydecte tente de forcer Danae à l’épouser. Pour éloigner Persée, il l’envoie combattre la gorgone Méduse. Persée reviendra, après de nombreuses aventures. Avec la tête de la gorgone, il changera le roi en pierre et réussira à ramener sa mère à Argos.
Danae occupe la partie droite de la composition, semi-allongée sur une multitude de coussins,, prête à recevoir la pluie d’or qui occupe le centre de la composition dans son axe et en partie haute. Son regard est tourné vers le putto Cupidon .
À gauche, la nourrice de Danae retient un vase que Cupidon cherche à lui prendre pour récupérer l’or.
En haut , au centre, la pluie d’or tombe de façon compacte, comme une langue pendant du nuage jupitérien. Froide et dédaigneuse, Danae écarte les jambes et soulève le coin de son drap pour récupérer l’or.
Dans le fond s’élèvent deux colonnes rouges sur des piétements verts, prolongées par un grand rideau bleu.
La sinuosité des courbes est mise en valeur par le parallélisme des lignes qui créent les valeurs, comme le regardeur le voit sur les drapés du premier plan.
La lumière traitée de façon sensible, véritable rayon pénétrant dans la pièce par la droite, n’inonde que les figures de Danae et Cupidon, laissant dans l’ombre à la fois le visage de la servante et le fond architecturé qui clôt l’image.
Le modelé s’adoucit, le contraste s’installe entre le clair et le sombre, créant rondeur et souplesse conférées à la nudité offerte.
Encadrement par Rosso :
Stucs : à droite et à gauche, trois figures féminines portent une corbeille de fruits sur leurs têtes.
Fresques: en haut le char d’Apollon et le char de Diane, en bas des enfants chanteurs et musiciens.
La tenture frappe par ses tonalités franches et lumineuses.
Le bleu et le vert dominent, rehaussés par des tons rouges.
Les tapissiers parisiens de cette époque utilisaient avec prédilection le bleu et le vert, mais aucune de leurs tentures conservées aujourd’hui ne présentent la luminosité et l’étonnante gamme chromatique de cette pièce, qui doit certainement sa richesse tonale à son commanditaire royal.
Cette fresque à sujet mythologique de la Grande Galerie de Fontainebleau montre des combinaisons de couleurs originales qui ne sont pas sans rappeler les fresques peintes par Michel-Ange pour la chapelle Sixtine.
Le jaune est changé en vert dans les parties ombrées.
Les fresquistes de Fontainebleau savaient parfaitement rendre le modelé des corps par de délicates gradations de teintes.
La Danae présente encore son état initial : les grisailles sont détériorées mais aucune restauration n’a été entreprise (seuls des ponts de consolidation sont visibles).
La modification des initiales et insignes royaux est par conséquent la seule intervention commune qui puisse être observée dans les six fresques de la série.
Depuis 1532, Primatice partageait avec Rosso la responsabilité de tous les décors mis en chantier. Après la mort de Rosso, il fut à Fontainebleau le maître d’œuvre de tous les ouvrages tant de construction que de décor.
Les cariatides de part et d’autre de Danae portent sur leur tête un panier rempli de fleurs sur lesquelles reposent les poutres, comme si un bouquet avait la force de supporter un tel poids. Cette tapisserie montre à quel point les différends éléments décoratifs de la galerie étaient imbriqués les uns dans les autres, ce qui procurait un sentiment de continuité forte entre le plafond, les fresques et les boiseries.
Les ornements se déploient en concurrence avec le mur.
Que l’on considère le décor dans son invention globale ou que l’on envisage dans le détail de ses motifs ; l’invention du décor répond à une cohérence interne dont la force explique à la fois l’exubérance des ornements et le fait que la galerie a servi de prototype décoratif à tout le siècle.
Au Moyen-Âge et jusqu’au XVe, Danae, représentée dans sa tour, fut dépeinte comme une allégorie de la chasteté, véritable incarnation de la pureté .
L’unique œuvre de Primatice dans la galerie du Rosso est la tapisserie de Danae.
Quoique soumis aux mêmes impératifs formels, les deux artistes ont chacun leur propre style, et l’œuvre de Primatice ne peut être confondue avec celle du Rosso, dont le style est plus nerveux et plus mouvementé, voire dramatique.
Les gracieuses figures féminines de stuc dues à Primatice sont purement décoratives, non chargées d’expression. Quant à la fresque, elle n’est pas moins révélatrice de la différence de personnalité de ces deux artistes.
Son sujet, Danae, est traité de façon beaucoup plus statique que ne le sont les compositions du Rosso, où, si le personnage principal est immobile, comme il s’en présente quelque cas, l’angelot et la servante, apportent le mouvement.
Par la richesse de leur invention et la qualité de leur exécution, les stucs prennent autant d’importance que les peintures.
Le décor mural de la galerie s’achève par un haut lambris de boiseries sculptées, en chêne et en noyer.
Dans cette galerie, François 1er était chez lui. Il en était épris au point de s’en réserver l’usage et d’en porter la clef sur lui. Il se plaisait à présenter lui-même aux visiteurs de marque ce grand ouvrage qui, de plus, témoignait de son mécénat.
Jamais ne disparurent le monogramme de François 1er, la salamandre et la devise, qui se répétaient tout au long du lambris.
Dans la galerie de Fontainebleau, la salamandre mythique, qui vit dans le feu, ne crache pas des flammes, mais un épi de blé.
La salamandre du Roi ne se répète pas seulement sur le haut des lambris de la galerie, elle figure en stuc, au couronnement de chaque décor d’entre-fenêtres, dans des positions variées.
Analyse
Tapisserie, orfèvrerie et joaillerie furent les formes d’art les plus étroitement associées aux monarques de la Renaissance, notamment François 1er, qui sait à quel point elles servaient son prestige.
L’atelier qu’il fonda à Fontainebleau réalisa un saisissant ensemble de six tapisseries reproduisant les œuvres décorant la célèbre galerie François 1er du château de Fontainebleau.
François 1er appréciait particulièrement les tapisseries représentant des œuvres d’art.
De 1528 à 1540, le roi fit reconstruire le château de Fontainebleau, où il venait se détendre. Pour décorer cette résidence, il fit appel à deux artistes italiens, Rosso Fiorentino et Primatice, qui fournirent des plans à une équipe d’artisans français, italiens et flamands pour orner l’intérieur du palais de fresques, de stucs et autres décors muraux, le tout dans le style maniériste en vogue.
L’espace le plus prestigieux demeure la longue galerie François 1er.
François 1er grandit dans une cour tournée vers la l’Italie après l’occupation française de la Lombardie en 1499, et lui-même s’y rendit en 1524-1525. Il tenta en vain d’engager Raphaël et Michel-Ange à son service, mais parvint à attirer Léonard de Vinci, qui passa les trois dernières années de sa vie en France.
Benvenuto Cellini travailla quelques temps pour François 1er, Giulio Romano ne succomba pas aux propositions du roi, mais il lui envoya un élève, Primatice ,collaborant avec Rosso Fiorentino.
Tissées avec des fils d’or, d’argent et de soie, les somptueuses tentures réalisées dans l’atelier de François 1er reproduisaient les peintures et les stucs des maîtres italiens.
Il s’agit d’un véritable tour de force car les tapisseries reprennent de façon réaliste à la fois les œuvres de la célèbre galerie François 1er et ses éléments architecturaux en trompe-l’œil, boiserie et poutres.
Le roi était si fier de sa galerie qu’il ne voulait pas s’en séparer.
Il pouvait emporter ses tapisseries avec lui dans ses déplacements et faire ainsi connaître les œuvres de Fontainebleau .
Danae
Cette image de Danae recevant Zeus amoureux sous la forme d’une pluie d’or a donné lieu à de nombreuses interprétations.
Certains spécialistes y voient une allusion aux maîtresses de François 1er, tandis que pour d’autres, Danae représente soit la mère du roi, Louise de Savoie, soit sa femme, Eléonore, dans leur rôle de créatrices de vie et de paix.
Danae reçoit Jupiter sous la forme d’une pluie d’or.
Persée sera le fruit de cette union.
Cette fresque fut peinte par Primatice, mais elle était sans doute prévue au programme d’origine par Rosso dans un cabinet hors œuvre.
Dans le cabinet symétrique était peinte l’union de Sémélé et de Jupiter.
Cette travée médiane était donc vouée à des images de volupté.
Les amours de Zeus sont ici un alibi pour représenter des jeunes femmes charmantes pour le plaisir des yeux du roi François 1er, qui considérait qu’une cour sans femme était comme un jardin sans fleurs.
Les humanistes vivent dans la familiarité des héros et des dieux de l’Antiquité qui sont une source infinie d’inspiration pour les artistes. La mise en scène de ses personnages dans différentes expressions artistiques (peinture, sculpture ou tapisserie) satisfait l’élite cultivée, souvent mécène, sensible aux aspects sensuels voire érotiques des représentations.
Cette référence antique est omniprésente à Fontainebleau à travers les décors de la galerie François 1er.
Cette extraordinaire évocation mythologique et héroïque présentait aussi de nombreuses allusions à la personne du roi et aux vicissitudes politiques du royaume.
La Renaissance est la période la plus emblématique de l’histoire du château.
François 1er, Henri II, Catherine de Médicis et ses enfants ont transformé le château médiéval en prestigieux foyer culturel et artistique, au rayonnement européen.
Rosso Fiorentino, Primatice, Cellini, ont été les grands noms italiens de cette période de grands travaux où, selon Vasari, François 1er souhaitait faire de Fontainebleau « la nouvelle Rome ».
La galerie François 1er se situe au premier étage et relie les appartements royaux à la chapelle de la Trinité. Elle magnifie le pouvoir royal, mais aussi le cheminement du monde matériel vers le monde spirituel.
Les souverains de la Renaissance sont sensibles aux manifestations artistiques et intellectuelles de l’humanisme. Il s’intéressent à la création artistique de leur temps et mènent une intense politique de mécénat.
Conclusion
Cette galerie est une évocation de la politique culturelle de François 1er, bâtisseur de nombreux châteaux, grand collectionneur, créateur du corps des lecteurs royaux (à l’origine du Collège de France), de l’imprimerie royale, protecteur d’écrivains et de traducteurs qui ont contribué à la diffusion du savoir.
La décoration de la galerie fut confiée à un équipe d’artistes dirigée par Rosso. Dans ses compositions souvent complexes, souvent dramatiques et tendues, transparait l’influence de Michel-Ange. Deux peintures de cette galerie ne sont pas de Rosso, la Danae et La Nymphe de Fontainebleau (XIXe).
Les décors de la grande galerie de Fontainebleau ont subi une scrupuleuse restauration, menée avec rigueur dans les années 1960, à l’initiative d’André Malraux.
Les fresques ont retrouvé leur authenticité par la suppression des repeints qui, en certains cas, étaient allés jusqu’à modifier des éléments de la composition.
On a apporté le moins possible de retouches.
La délicate harmonie des couleurs, la matité caractéristique de cette technique de peinture dépourvue d’empâtements, s’étaient perdues.
Ce fut une résurrection.
Sources
Valérie Auclair –L’invention décorative de la galerie François 1er au château de Fontainebleau –2007
Gerlinde Gruber – Les tentures à sujets mythologiques de la grande galerie de Fontainebleau –1995